COBAIN : Montage of Heck

I hate myself and I want to die

« If I die before I wake
Hope I don’t come back a slave »

Nirvana, even in his youth, 1989.

Vers 1988, le jeune Kurt, mouton noir errant de la famille Cobain, tue le temps dans sa piaule d’Aberdeen en fumant des kilos d’herbe, étouffant son mal-être en gratouillant quelques morceaux à la guitare. Il immortalise le tout sur une « mixtape » qu’il intitule « montage of heck » (autrement dit un « assemblage de m… »). L’intitulé de ce témoignage en dit déjà beaucoup sur l’estime que le futur front man de Nirvana se portait à lui-même. Plus de vingt ans après son suicide, alors qu’il est entré au panthéon des icônes du rock, membre éminent du macabre « Club des 27 », sa fille Frances Bean tient à descendre le mythe de son piédestal, à rencontrer l’image vraie de ce géniteur dont elle ne garde aucun souvenir. Avec l’accord tacite de Courtney Love (la Yoko Ono du grunge, la maquerelle des archives Cobain) et de la mère du chanteur défunt, le réalisateur Brett Morgen (auteur de l’étourdissant « Moonage Daydream ») obtient carte blanche pour pénétrer dans l’intimité de la famille Cobain afin qu’il puisse brosser un portrait « réel et honnête » du père disparu. Here we are now, entertain usLire la suite

SHINE a LIGHT

Roulement de tambours

« Je suis béni. Le batteur avec qui j’ai commencé est l’un des meilleurs au monde. Avec un bon batteur, on est libre de faire ce qu’on veut. »

Keith Richards

« Cette manière qu’il a de se tenir le dos droit et de bouger ses mains – il est tellement calme et décontracté… C’est vraiment le noyau dur du groupe. »

Martin Scorsese in Conversations avec Martin Scorsese, Richard Schickel, 2011.

Le magazine qui porte le nom de son groupe l’avait élu douzième meilleur batteur de tous les temps. Il faut dire qu’il envoyait le Charlie, droit dans son costard, plus flegmatique que jamais. Son truc, c’était plutôt le jazz, celui qu’on apprend quand on est gamin, en traînant au fond des clubs londoniens, en regardant faire les cadors des baguettes. Puis vinrent Mick, Keith, Brian et Bill, et il décida de rouler pour eux. La rencontre entre Martin Scorsese et les Rolling Stones était tout aussi inévitable. « Shine a light », c’est « du rock à l’état pur » dit le réalisateur, un documentaire qui consacre l’avènement des pierres qui roulent au panthéon du rock anglo-saxon. « It is the evening of the day », et Charlie Watts s’en est allé rouler tambour au paradis du rock’n’roll. Lire la suite

Pink Floyd THE WALL

Goodbye, cruel world

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« Pour être honnête, je n’aurais jamais dû faire « Pink Floyd The Wall ». C’est une étrange accumulation de circonstances qui m’a conduit à endosser cette responsabilité. Ce n’est pas que je suis honteux ou déçu du résultat. Au contraire, j’en suis très fier. Mais la fabrication du film a été un exercice si misérable que je ne retire aucun plaisir à m’en souvenir. »

Alan Parker, Mojo Magazine, 2010.

Dans les années 80, si un réalisateur anglais devait sortir du lot, c’était bien Alan Parker. Associé à la clique des clinquants venus du clip, sa manière d’esthétiser le drame avait su toucher le plus large des publics avec des sujets parfois brûlants : le racisme aux Etats-Unis, le traumatisme du Vietnam, les déboires d’un fumeur de haschich dans les geôles d’Istanbul, une dénonciation de la peine de mort…. La guerre, l’enfance, la folie, l’amour, tout semblait déjà cristallisé dans une œuvre fleuve né d’album phare, un film concept en forme de trip rock : « The Wall ». Lire la suite

GIMME DANGER

Rock’n’roll animals

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« Ils disent que la mort vous tue, mais ce n’est pas la mort qui vous tue, – l’indifférence et l’ennui vous tuent. »

James Osterberg (aka Iggy Pop), I Need More, 1993.

« J’ai trouvé le premier album des Stooges dans une benne à ordures – et ça a vraiment changé ma vie. »

Jack White

Quatre types dans une salle de concert font un foin du diable. Quoi de plus ordinaire vu d’aujourd’hui. Mais à la fin des années 60, du côté d’Ann Arbor, Michigan, à quelques encablures du vacarme de la Motor City, cela était moins courant. Ces quatre comparses n’avaient pour seule ambition que de sortir du bruit ambiant, de faire vibrer les bidons d’essence, de traverser en dehors des clous au mépris des règles en vigueur. « Gimme Danger » crachent les enceintes empilées sur les bords de scène, comme sur l’écran noir de ce rockumentaire signé Jim Jarmusch. Lire la suite

Only LOVERS left ALIVE

Lunettes noires pour nuits blanches

"only lovers left alive"

« Les écrivains parlent de l’odeur douceâtre et fiévreuse de la mort alors que le premier camé venu te dira que la mort n’a pas d’odeur, et en même temps qu’elle exhale une odeur qui coupe le souffle et fige le sang… non-odeur sans couleur de la mort… nul ne peut la humer à travers les volutes roses et les filtres de sang noir de la chair… l’odeur de mort est tout ensemble odeur indiscutable et complète absence d’odeur… c’est cette absence qui frappe tout d’abord l’odorat parce que toute vie organique a une odeur… »

William S. Burroughs, le festin nu, 1959.

La nuit est un monde à part. Jim Jarmusch, ce « grand guépard blanc » (comme le décrit très joliment le journaliste Philippe Azoury) la connaît bien. Il la parcourt, l’explore, s’en inspire et l’injecte dans ses films. Filmant la lente pérégrination vers l’au-delà d’un mort en sursis ou bien la cavale en Noir & Blanc d’un trio de fugitifs pas piqués des hannetons, il aime à dire que tous ses films sont des films de vampires. « Only lovers left alive », tout en allitérations, l’est plus particulièrement parce qu’il met en scène d’authentiques suceurs de sang, des êtres millénaires qui préfèrent, comme leur auteur, aux lumières de la célébrité le discret anonymat de la vie la nuit. Lire la suite

The Devil and DANIEL JOHNSTON

Sorry entertainer

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« Funeral home, funeral home
I’m going to a funeral home
Got me a coffin shiny and black
I’m going to the funeral and I’m never coming back. »

« Salut je m’appelle Daniel Johnston, j’ai enregistré cet album alors que je faisais une dépression nerveuse. » C’était un folksinger au cerveau grillé, un célèbre inconnu cintré de la planète rock’n’roll. Il était l’équivalent de Syd Barrett du Pink Floyd, de Roky Erickson son compatriote d’Austin, ou bien encore de Brian Wilson, le Beach Boy lunatique à qui il est comparé dans le film-documentaire que Jeff Feuerzeig consacre à « The devil and Daniel Johnston ». Daniel est parti sans prévenir, sans mot dire. Il a rejoint son fidèle admirateur Kurt Cobain qui, en le voyant venir au paradis du rock, lui aura sûrement lancé un « Hi, how are you ? »

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PHANTOM of the PARADISE

Du côté de chez Swan

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« At The Paradise our performers are contracted to entertain you at any cost ! And entertain you they will. Trust me… »

Swan (notes de pochette de la B.O. du film)

« Un touriste dans un rêve
Un visiteur il semble
Une chanson à moitié oubliée
Où est ma place ?
Dis-moi ce que tu vois »

Paul Williams, Touch, sur « Random Access Memories », Daft Punk, 2013.

Il voit tout. Derrière son miroir sans tain, dans l’ombre de son balcon, devant l’écran de ses moniteurs, il observe, contrôle, dirige, élit et condamne, distribue des palmes à ses futurs martyrs. Il est le démiurge d’un Elysée de gloire, recrute des innocents pour en faire des coupables, les place dans la lumière avant de les renvoyer dans leurs loges, puis les précipite dans l’abîme de l’oubli. Il est le paon d’une cage en folie, le cygne qui luit dans le noir, il est l’orchestrateur d’une décadanse dionysiaque, il est le Diable de la boîte, le créateur du « Phantom of the Paradise ». Listen to the music… Lire la suite

JOURNEYS

Hey, hey, bye bye

Neil-Young-Journeys

« Je me suis littéralement retrouvé à la naissance du rock blanc, et j’ai grandi avec lui. Parfois, quand j’avais une vingtaine d’années, il m’arrivait, avec mes amis, de rouler en voiture en mettant la musique à fond, et je me demandais ce que nous pourrions bien écouter une fois la soixantaine venue. Et il s’avère que nous écoutons toujours du rock’n’roll. Je me demandais quand je cesserais d’aimer cette musique, mais ce n’est jamais arrivé, c’est une relation à vie. »

Jonathan Demme, pour le Vif.be, 2015

« There is a town in North Ontario… » Au regard des premières images de Neil Young au volant de sa Ford Crown Victoria de 1956, reviennent en mémoire ces paroles extraites d’un titre de son premier album solo et qui lui valurent son surnom de Loner : « Vous comprendrez quand vous le verrez, rien ne peut le libérer, faites un pas de côté, laissez le champ libre, c’est un solitaire. » Bien des cinéastes sont tombés amoureux de cette voix et de sa guitare, tels Jim Jarmusch qui consacra un rockumentaire à son groupe Crazy Horse, ou Jonathan Demme qui s’y est repris à trois fois pour faire le tour du sujet. Depuis sa première collaboration avec Neil Young pour le générique de « Philadelphia », le réalisateur s’est passionné pour ce musicien si fertile, qui a su traverser sans ciller les modes musicales et influencer bien des artistes sur plusieurs générations. Après « Heart of Gold » et « Neil Young Trunk Show », « Journeys » constitue pour Demme la troisième captation scénique du Loner.  Lire la suite