L’Armée des Ombres

Mauvais souvenirs, soyez pourtant les bienvenus

« Tu peux serrer dans ta main une abeille jusqu’à ce qu’elle étouffe. Elle n’étouffera pas sans t’avoir piqué. C’est peu de chose, dis-tu. Oui, c’est peu de chose. Mais si elle ne te piquait pas, il y a longtemps qu’il n’y aurait plus d’abeilles. »

Jean Paulhan, « l’abeille », Les Cahiers de la Libération, n°3, février 1944.

La France a connu bien des heures sombres. Le cinéma s’en souvient. Alors que les troupes d’Hitler défilent dans Paris, que le Maréchal Pétain accepte les conditions indignes d’un Armistice avec l’ennemi, avant de se voir octroyé les pleins pouvoirs par l’Assemblée Nationale, chez bon nombre de Français, l’espoir s’éteint. Des choix tragiques qui vont pousser certains à faire des choses dégueulasses. « Mauvais souvenirs, soyez pourtant les bienvenus… vous êtes ma jeunesse lointaine. » Cette phrase de Courteline, Jean-Pierre Melville choisit de la placer en exergue de son adaptation de « l’Armée des Ombres », un film immense porté par l’impérieuse nécessité de ne jamais oublier, de ne plus se taire sur la réalité de ce qui s’est fait ou ce qu’on a été contraint de faire. Lire la suite

ONODA, 10 000 nuits dans la jungle

En première ligne pour la Patrie

« Je croyais sincèrement que le Japon ne se rendrait jamais tant qu’un seul Japonais serait encore en vie. Et réciproquement, si un seul Japonais était encore en vie, le Japon ne pouvait s’être rendu. Après tout, c’était là le serment mutuel que nous, les Japonais, avions fait. »

Hirō Onoda, Au nom du Japon, La Manufacture des livres, 2020.

Comme chacun le sait, passé la guerre de Troie, Ulysse et ses compagnons ne purent rentrer tout de suite à bon port, les dieux en avaient décidé autrement. Le destin du lieutenant Hirō Onoda au sortir de la Seconde Guerre Mondiale ne fut pas très différent. Isolé sur une île, condamné à poursuivre la lutte éternellement avec une poignée d’hommes, il vécut tel Ulysse loin de son foyer. Longtemps considéré dans son pays comme une légende, devenu une sorte de mythe vivant à son retour à la civilisation, il est fort étrange qu’aucun cinéaste ne se soit penché sur son sort. C’est désormais chose faite grâce au Français Arthur Harari qui nous fait partager, dans « Onoda, 10 000 nuits dans la jungle », l’odyssée d’un soldat égaré. Lire la suite

La fantastique histoire vraie d’EDDIE CHAPMAN

X Man

« The devil is more interesting than God. »

    Christopher Plummer (1929-2021)

Quelle incroyable carrière ! Le shakespearien Christopher Plummer a croisé les plus grands : d’Anthony Mann à Spike Lee, de Robert Wise à Ridley Scott, en passant par John Huston et Nicholas Ray. « Des maîtres hollywoodiens, je n’ai vu que l’ombre » disait-il pourtant. Il s’est glissé dans celle des géants, côtoyant la crème de la crème, voyageant sur tous les continents durant presque soixante-dix ans de carrière. Il disait avoir puisé sa vocation dans la lecture d’une biographie de John Barrymore, de quoi largement enchanter tout un univers. C’est justement « la mélodie du bonheur » qui l’emporta vers un premier succès, une sérénade qui finit par lui casser les oreilles à longueur d’interview. Était-ce alors pour conjurer ce rôle lénifiant d’officier autrichien qu’il accepta de jouer si souvent les salauds ? L’année suivante, il devenait illico l’espion qui trahissait en narrant « la fantastique histoire vraie d’Eddie Chapman ». Lire la suite

La colline des hommes perdus

L’incorruptible

« J’ai toujours su de quoi il était capable. John Huston, quand il l’a engagé pour « l’Homme qui voulut être roi », le savait également. Sean a toujours su jouer comme un géant. »

              Sidney Lumet

Il s’appelait Sean. Sean Connery. Grâce à lui, tout le monde aura su comment prononcer cet étrange prénom d’origine gaélique. Car bien évidemment, aux yeux de tous, il demeurera le premier à servir sous le matricule 007. « Il est presque impossible de tenter d’effacer l’image de Bond » avouait-il d’ailleurs en 89. Ce grand fauve au physique athlétique avait pourtant déjà pu prouver à de multiples reprises, et dans des genres divers et variés toute l’étendue de ses talents d’acteur : Moine enquêteur dans « le Nom de la Rose », aventurier mégalo dans le remarquable « homme qui voulut être roi », et père d’un autre dans « Indiana Jones et la dernière Croisade », et tant d’autres…. Son rôle de policier chez « Les Incorruptibles » de De Palma lui permit d’obtenir son premier Oscar,… pour un second rôle. De quoi mettre en rogne, comme ce flic qu’il interprétait dans le très sombre « The Offence » de Sidney Lumet. Le même Lumet fut d’ailleurs un des premiers (avec Hitchcock) à lui proposer un rôle puissant et traumatisant dès les années 60, au sommet de « La colline des hommes perdus. » Lire la suite

La GRANDE VADROUILLE

Drôles de guerre

« « La Grande Vadrouille » autorise l’amateur de cinéma sortir du « ghetto » des films de recherche, et à se mêler à tous les publics pour son bon plaisir naïf, innocent. C’est un fait qui pourrait modifier beaucoup de choses dans les conditions de production du cinéma français, écartelé entre la gaudriole de service et le risque du sublime. Souhaitons que les obstinés de la doctrine « pure et dure » le comprennent à temps : « La Grande Vadrouille » est au cinéma de divertissement ce que « Pierrot le Fou » est au cinéma d’art et d’essai. »

Henry Chapier

« Mon plus grand désir d’acteur, c’est de faire des films destinés à faire rire les enfants et les parents à la fois dans ce monde trop triste. »

 Louis De Funès

Ach, la France ! Quel beau pays. Ses grands poètes, ses peintres illustres, ses compositeurs de génie. Ses paysages à couper le souffle, ses monuments de prestige, et puis Paris ! Quelle belle prise pour les Allemands qui, durant « la Grande Vadrouille » vers l’Atlantique, purent faire réquisition de ce merveilleux patrimoine. Mais alors que se font entendre les hauts cris de ceux qui à Oury ne disent pas hourrah, les arcboutés de la critique qui hurlent au sacrilège devant une guerre où l’on ne meurt pas, monte le rire kolossal d’un public qui ne se lasse pas, et ce depuis plusieurs générations. Lire la suite

Une Vie Cachée

Gott mit uns

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« Contre vents et marées, savoir se maintenir. »

Goethe.

Par-delà les nuages qui nimbent les cimes des montagnes du Tyrol, se dissimulent au regard des hommes une rivière, des bois, des prairies, des champs, quelques vaches et autres moutons, un village, de la vie. « Une vie cachée ». Et c’est donc là-haut que, naturellement, Terrence Malick a emporté sa caméra pour s’élever vers l’incommensurable, y capter le sublime, et tenter de comprendre le mystère qui fit qu’autrefois un homme choisit de ne pas s’abandonner à la folie des autres. Lire la suite

Au COEUR de l’ORAGE

Ici commence le pays de la Liberté

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« Anne et Dubreuilh étaient descendus de leurs bicyclettes et regardaient quelque chose. Henri les rejoignit et vit que c’était des croix : des croix blanches sans nom, sans fleurs. Le Vercors. Ce mot couleur d’or brûlé, couleur de chaume et de cendre, rude et sec comme une garrigue mais traînant après soi un relent de fraîcheur montagnarde, ce n’était plus le nom d’une légende. Le Vercors. C’était ce pays de montagne au poil humide et roux, aux forêts transparentes, où le dur soleil faisait lever des croix. »

Simone de Beauvoir, Les Mandarins, 1954.

Si aucune région de France n’a le monopole de la douleur, il est des endroits reculés où les cicatrices semblent encore à vif. Le Vercors est une citadelle inexpugnable, un havre d’écrivain (Jean Prévost), un massif d’inspiration (d’où l’on peut entendre « le silence de la mer »), un refuge pour l’insurgé. C’est surtout une formidable terre d’espoir dans un pays « Au cœur de l’orage ». Son insolente existence, insupportable aux yeux de l’envahisseur, conduira ses habitants au douloureux sacrifice, celui auquel le cinéaste Jean-Paul Le Chanois entend rendre hommage, afin d’offrir à ses martyrs leur droit à l’immortalité. Lire la suite

MARIE-OCTOBRE

Les 10 salopards

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« A la Libération, le Comité d’épuration me convoqua. Je rencontrai Decoin dans un couloir. Il m’embrassa et me demanda, très étonné, ce que je faisais là. Je répondis que je n’en avais pas la moindre idée. « Mais c’est idiot, tu n’as rien à te reprocher. Rentre chez toi. Je m’occupe de ton dossier, si tu en as un. » Je suis repartie et je n’ai plus jamais entendu parler de rien. »

Danielle Darrieux, Danielle Darrieux : filmographie commentée par elle-même, Ramsay, 2003.

Vienne la nuit, sonne l’heure. Sur la route qui rejoint le domaine de la Chênaie, le gong lointain de Radio Londres, et quelques accords du Chant des Partisans se  font entendre, encore, à la nuit tombée, dans le brouillard de l’après-guerre. Ils seront neuf survivants à se retrouver, répondant à l’appel de « Marie-Octobre » tandis que, dissimulé derrière le paravent du décor, Julien Duvivier place ses pions sur l’échiquier du psychodrame. Lire la suite

Le VENT se LEVE

S’il te plaît, dessine-moi un avion…

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« Moi, tu le remarques bien, je ne parle guère le français. Pourtant, avec toi, je préfère cette langue à la mienne, car pour moi, parler français, c’est parler sans parler, en quelque manière, sans responsabilité, ou, comme nous parlons en rêve. »

Thomas Mann, La montagne magique, 1924.

Dans toute sa carrière, Hayao Miyazaki aura peut-être eu un seul regret, celui de n’avoir jamais porté à l’écran son livre favori : « le Petit Prince ». Cette « histoire d’aviateur écrite par un aviateur » et d’un enfant tombé du ciel dans le désert saharien (là où souffle le « ghibli », ce vent chaud baptisé ainsi par les pilotes italiens durant la Seconde Guerre Mondiale) aurait épousé à merveille la fantaisie de celui qui bâtit des châteaux dans le ciel et chorégraphia les voltiges d’un pilote d’hydravion à tête de cochon. Au crépuscule de sa carrière, il préfère se poser sur le sol de son pays natal, raconter en pointillés une trentaine d’années de la vie de celui qui, faute de pouvoir chevaucher les nuages, dessina des machines volantes destinées à d’autres. Lire la suite

Les HEURES SOMBRES

Rester vertical

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« Tout homme naît et se forme pour une grande heure de sa vie. C’est la plus belle heure de Churchill que je dirai. Et sa plus belle heure a été la plus belle heure d’Angleterre. Ce sera sa gloire. Dans le granit des âges et l’amour des générations, il apparaîtra prophète d’Angleterre, prophète de la plus belle heure d’Angleterre, Churchill d’Angleterre. »

Albert Cohen, écrits d’Angleterre.

Tenir bon. S’il y a bien un homme qui a incarné, aux heures les plus pénibles de la Seconde Guerre Mondiale, cet idéal à l’échelle d’une nation c’est bien Winston Churchill. « Les heures sombres » sont, pour le réalisateur britannique Joe Wright, celles qui couvrent ce mois de mai 1940, alors que la botte nazie marche sur l’Europe de l’Ouest et s’apprête à écraser la quasi-totalité de l’armée anglaise confinée dans la poche de Dunkerque. Tandis que le soldat Nolan s’occupe de la logistique du rapatriement, Wright se charge des négociations à la Chambre. Une chose est sûre, pour tous les deux, le temps presse car les Allemands sont à leur porte. Lire la suite