BELLE

A la recherche de la nouvelle star

« Avec du temps et du courage, il n’est point d’infortune qu’on ne puisse vaincre. »

Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, La Belle et la Bête, 1756

Un autre monde, certains en rêvent. Aujourd’hui, cet autre monde est possible, conçu par de brillants cerveaux et développé dans les circuits de silicium des supercalculateurs. En octobre 2021, Mark Zuckerberg rebaptise son empire « Meta », diminutif du Métavers dans lequel il compte bien aspirer tout ou partie de l’humanité. Quelques mois plus tôt, sortait sur les écrans nippons « Belle » de Mamoru Hosoda, célèbre conte revisité à l’ère des mondes virtuels et des réseaux sociaux. L’artiste japonais crée pour l’occasion son propre métavers : U, diminutif de Universe, façonné aux couleurs du XXIème siècle et projetant les ambitions de Zuckerberg dans une dimension vertigineuse. Lire la suite

PAPRIKA

Dreamception

« Le cinéma, c’est choisir de rêver. »

Satoshi Kon

On peut dire qu’en matière de rêves, le Japonais Satoshi Kon s’y entendait. Apparu dans les salles obscures de l’Hexagone au moment de la vogue éphémère pour l’anime nippon (dans le sillage de Miyazaki, d’Otomo et d’Oshii avec qui il affûta ses crayons et sa palette graphique), cet ancien mangaka était venu confirmer avec « Perfect Blue » que le dessin animé venu d’extrême orient pouvait donner à voir autre chose que les bagarres intergalactiques de Goldorak. Les dessins de Kon vont dès ses débuts chercher à questionner le réel, faire sauter les verrous étanches entre les mondes. Son ultime long métrage, « Paprika », est un film incroyable, un songe abyssal, une immense rêverie de fin de nuit, de celles dont on se souvient sans être sûr d’en être vraiment sorti. Lire la suite

E.T., l’Extraterrestre

L’ami qui venait d’ailleurs

« You can fly, you can fly, you can fly ! »

Sammy Cahn pour « Peter Pan », Walt Disney, 1953.

Il y a ceux qu’on croise au détour d’un raccourci que l’on n’aurait jamais dû prendre, qui débarquent de leur astronef clignotant pour désintégrer tout ce qui passe à portée de laser. Il y en a d’autres, plus sournois, « Choses » rampantes et gluantes, qui prennent la forme d’êtres humains pour mieux corrompre et anéantir. Et puis il y a des rencontres qui réchauffent le cœur et enchantent l’esprit, qui allègent les soucis en laissant croire à un monde meilleur. Cinq ans après avoir fait une belle « Rencontre du Troisième Type », la caméra de Steven Spielberg revient rôder sur les collines de Los Angeles à la recherche d’un « E.T. l’extraterrestre » planté par ses collègues au beau milieu d’une cueillette de champignons (décidément un bon coin). Elle y trouvera deux ou trois souvenirs de jeunesse, un succès populaire, un hymne universel et l’emblème d’un réalisateur en état de grâce. Lire la suite

AVATAR : la Voie de l’Eau

Sur la piste des géants

« – Nous n’abimerons pas Mars, c’est un monde vaste et trop avantageux.
– Vous croyez ? Nous autres, les Terriens, avons le don d’abimer les belles et grandes choses. »

Ray Bradbury, Chroniques martiennes, 1954.

Treize ans. Il s’en est passé en treize ans. Toute une génération a grandi avec l’« Avatar » de James Cameron quelque part dans son cortex, première perle d’une saga encore en gestation. Puis l’usine aux grandes oreilles a phagocyté la Fox. Elle a assis sa domination sur l’univers du blockbuster avec ses super-pouvoirs et ses guerres des étoiles. Alors, englouti le captain Cameron ? Noyé dans les entrailles du « Titanic », porté disparu dans les abysses de son projet pharaonique. Remontant des profondeurs insondables d’Hollywood, « Avatar : la voie de l’eau » émerge soudain, éclaboussant de sa 3D tous les écrans du monde pour une apnée de plus trois heures aux images à couper le souffle. Lire la suite

PREY

Pas une gueule de porte-bonheur

« Qu’importe le danger
Je l’affronterai
Qu’importe le nombre de flèches
Je les traverserai
Mon cœur est viril ! »

Chant du guerrier Crow

Depuis les fameux trophées rapportés sur son île par le Comte Zaroff dans les années 30, le cinéma rouvre périodiquement la saison de la chasse à l’homme. Un de ces jeux les plus dangereux reste peut-être celui qui opposa le « Predator » tombé du ciel à un groupe de mercenaires surarmés et lourdement testostéronés dans un film primal et remarqué signé John McTiernan. La Terre étant devenue son terrain de chasse privilégié, nombreux furent les giboyeurs à vouloir le croiser à toutes les sauces et même à d’autres espèces. Le dernier en date se nomme Dan Trachtenberg, réalisateur connu pour son très confiné « 10 Cloverfield Lane ». Suivi de près par les grands manitous de la Fox, il part à la conquête des Grandes Plaines, à la rencontre du grand « oiseau-tempête » et d’une jeune Indienne dont il espère faire une « Prey » plus consistante que les précédentes. Lire la suite

The NeverEnding Story

L’histoire prend fin

« Si quelqu’un me demandait si je me sentais comme un artiste, j’aurais un sentiment étrange, parce que je ne sais pas vraiment. Qu’est-ce qu’un artiste ? C’est peut-être quelqu’un qui produit quelque chose de beaucoup plus intime qu’un film, plus comme un compositeur, un écrivain ou un peintre. 
Ma passion, c’est de raconter une histoire. »

Wolfgang Petersen (1941 – 2022)

Mais qui est donc le petit garçon qui regarde avec tendresse ce dragon volant à tête de gros chien assoupi ? Derrière ce personnage d’Atreyu créé par Michael Ende pour son roman jeunesse « L’Histoire sans Fin », il y avait un grand armateur d’imaginaire. Wolfgang Petersen n’était peut-être pas le Mozart du septième art, mais il avait un goût certain pour les voyages en cinéma, capable de transporter le spectateur depuis les rivages homériques jusqu’aux confins de l’univers, et cela même « en Pleine Tempête ». Lire la suite

NOPE

Cowboy et envahisseur

« Dans la société américaine, lorsque vous êtes noir, le danger peut venir de n’importe quel endroit, à n’importe quel moment. Je me suis toujours demandé ce que des Noirs américains feraient devant une soucoupe volante, ils diraient : « Nope. » »

Jordan Peele in Le Monde, 7 août 2022.

S’arrêter un instant, lever la tête et contempler les nuages. Là-haut, le spectacle est permanent, vertige de formes en mouvement, univers de l’imaginaire et des idées passagères, céleste promesse d’espoir sur fond bleu ou sombre monde grondeur habité par des forces hostiles. « Watch the sky » disait-on dans un vieux film de SF, comme si, dans ce vingtième siècle nucléaire, l’humanité devait désormais prendre garde à ce qui nous tombe du ciel. Le comique Jordan Peele prend cette stranger « Thing » très au sérieux, se méfiant des images toutes faites sans renoncer au plaisir des yeux. A la fatalité il dit « Nope ». Lire la suite

Les CRIMES du FUTUR

Organe de toi

« Nous vivons une époque radicale, mon garçon. Vous ne la sentez pas ? Vous devez exagérer avec l’époque, exagérer jusqu’au point de rupture. »

David Cronenberg, Consumé, 2016.

Depuis maintenant des années, tel le personnage à l’esprit dérangé de son « Spider », David Cronenberg n’a eu de cesse de tendre des fils entre ses films, de tisser la toile d’une œuvre singulière, autant par la forme que sur le fond du sujet. Il n’aura eu de cesse de chercher la profondeur, d’explorer l’être humain, cette machine molle chère à Burroughs, soumise à la déformation et aux affres de l’usure des ans. Renouant avec le producteur de « Crash », puis de « eXistenZ », il a exhumé un script de vingt ans d’âge, lui a donné le titre d’un de ses premiers métrages, et contemple l’avenir avec circonspection, nous rend complices d’une performance à corps ouvert qu’il a intitulée : « les Crimes du Futur ».  Comme disait Allegra Geller dans « eXistenz » : « it’s gonna be a wild ride… » Lire la suite

Blade Runner

Missing Vangelis

« Quand j’ai revu les images, j’ai compris que c’était ça l’avenir. Pas un bel avenir, bien sûr. Mais c’est vers quoi nous allons »

Vangelis Papathanassiou, Los Angeles Time, 2019.

Il y a quelques mois, disparaissait Douglas Trumbull, l’un des orfèvres des effets spéciaux, véritable génie de la miniature qui œuvra à faire du « Blade Runner » de Ridley Scott ce chef d’œuvre indestructible. Ce 19 mai 2022, en pleine effervescence cannoise, c’est le musicien grec Vangelis, responsable de la signature sonore du film, qui s’efface sous la pluie des applaudissements, emporté par les chariots de feu de ses synthétiseurs, parti sur d’autres rives électroniques en planant sur ses symphonies futuristes. Lire la suite

PREMIER CONTACT

Prendre langue

« Quand vous verrez ma véritable image,
Vous verrez la flamme d’une bougie,
Alors vous sentirez les échanges solitaires des étoiles.
Souvenez-vous ! Souvenez-vous ! Souvenez-vous ! »

Frank Herbert, Try to remember, 1961.

L’arrivée d’une civilisation extraterrestre sur Terre n’est pas toujours synonyme d’invasion. Dans un épisode anthologique de la « Twilight Zone », des visiteurs venus des tréfonds de la galaxie débarquaient, un livre sous le bras, en se demandant « comment servir l’homme ». Mais le risque, c’est une incompréhension dans les termes. Pour ce « Premier Contact » de Denis Villeneuve avec la science-fiction, la question se pose également. S’emparant d’une nouvelle de l’écrivain américain Ted Chiang, le Québécois déploie les motifs du genre tout en s’interrogeant sur la manière dont ce langage peut être réinventé. Lire la suite