La CHEVAUCHEE FANTASTIQUE

Ringo unchained

« Je n’ai subi qu’une fois l’influence de quelqu’un : avant de tourner Citizen Kane, j’ai vu quarante fois La Chevauchée fantastique. »

Orson Welles

Ceux qui ont fait le voyage jusqu’à la frontière entre Arizona et Utah, au plein cœur du parc naturel de Monument Valley, ont pu admirer le panorama grandiose depuis un point précis appelé John Ford Point. C’est là que, il y a des décennies, le grand réalisateur plaça sa caméra pour mieux embrasser ces merveilles d’Amérique, grandes cathédrales de schiste et de grès qui font l’arrière-plan idéal à la construction d’un mythe de cinéma : celui du Far-West. Pour sillonner cette vaste étendue minérale et majestueuse, il utilise un moyen de transport rudimentaire, un frêle esquif brinquebalant tiré par un attelage à six chevaux, véhicule tout tracé pour une « Chevauchée Fantastique », le temps d’un film fondateur qui sera le berceau d’une star. Lire la suite

VAMPIRES

Alive after death

« Au fond, tous les films fantastiques cherchent à exprimer les émotions humaines. Une créature venant de l’espace par exemple, symbolise la part de ce qu’est le mal en nous. Les vampires aussi sont les figures du mal humain. Il s’agit toujours de fabriquer des métaphores dans une forme plus populaire et divertissante. »

John Carpenter

Un soleil ardent, un désert à perte de vue, une végétation rare et une chaleur suffocante, les « Vampires » de John Carpenter n’ont visiblement pas choisi l’endroit le plus ombragé pour commettre leurs méfaits. On sait le réalisateur amateur de transgression, prompt à faire valser les codes, et il ne s’en privera pas dans cette adaptation du rugueux roman de John Steakley qui dépoussière le mythe en l’arrosant d’une bonne dose d’hémoglobine, d’alcool, de sexe et de « Bloody Sam ». La messe passe en mode western, et la chasse au mort-vivant promet des cris et de la terreur, mais surtout du sang et des armes. Lire la suite

Le DERNIER des MOHICANS

Quand les tambours s’arrêteront

« N’allez pas là où le chemin vous mène. Allez là où il n’y a pas encore de chemin et laissez une nouvelle trace. »

Ralph Waldo Emerson

Lorsqu’on remonte le cours de l’Hudson River, que l’on en atteint les méandres se lovant dans le creux du massif des Catskills, peut-être peut-on humer encore aujourd’hui l’odeur de la poudre qui envahit naguère l’atmosphère humide des lieux ? Peut-être entend-on encore résonner le canon qui, le jour comme la nuit, tonnait et pilonnait inlassablement les remparts du Fort William Henry ? « Sur toute la vaste étendue de ces frontières, il n’existait peut-être aucun district qui pût fournir un tableau plus vrai de l’acharnement et de la cruauté des guerres sauvages de cette époque, que le pays situé entre les sources de l’Hudson et les lacs adjacents. » écrit James Fenimore Cooper dans « le Dernier des Mohicans ». L’écrivain peignait alors un témoignage vibrant d’une nation en gestation, panorama fertile dont s’emparèrent par la suite peintres et cinéastes. Le dernier en date n’est autre que Michael Mann, et son œuvre sublime en honore les immenses fondations. Lire la suite

Le GRAND SILENCE

Un homme et une balle

« Être une page blanche, partir de rien, du silence. Dès lors on n’a pas besoin de faire beaucoup de bruit pour être écouté. »

Jean-Louis Trintignant (11.12.1930 – 17.06.2022)

Comme une balle. Au volant de son bolide, Jean-Louis Trintignant filait à tombeau ouvert dans « un homme et une femme ». Cet acteur majeur du cinéma français avait la passion de la vitesse. Sous son timbre doux comme l’agneau, l’orgueil chevillée au corps. Bourreau des cœurs, il était là quand « Dieu créa la femme », puis il nous a raconté sa « Nuit chez Maud », tout sauf un « Conformiste », n’en déplaise à Bertolucci. Tout au long de sa vie, il a dû faire bien des embardées, parfois vers le succès (grâce à Lelouch, Gavras, Haneke), d’autres vers le drame. Il disparaît à 91 ans, après une vie bien remplie. Maintenant, c’est « le Grand Silence ». Lire la suite

Quand les tambours s’arrêteront

Ombre Apache

« – Vous dites les « Indiens ». Mais il ne s’agit pas juste des Indiens. Il s’agit des Apaches (…) Savez-vous ce que veut dire « Apache » ? C’est un mot zuni qui signifie « ennemi ». Les autres Indiens les ont désignés ainsi – eux-mêmes se nomment les « N’De ». En réalité, « ennemi » est bien le terme qui convient : ennemis de la race humaine et de tout ce qui est vivant. »

William Riley Burnett, Adobe Walls : A Novel of the Last Apache Rising, 1953.

Lorsqu’il faut citer le nom d’un chef Apache, Geronimo le Chiricahua est souvent le premier à sortir. On connaît moins son équivalent Mescalero, l’insurgé Victorio, qui mena une guerre sans merci contre les armées mexicaines et états-uniennes entre 1879 et 1881. C’est précisément le contexte choisi par Harry Brown pour situer les évènements de son roman « Stand at Spanish Boot », le récit d’un massacre qui se poursuivra face à la caméra de Hugo Fregonese « Quand les tambours s’arrêteront ». Lire la suite

FIRST COW

Cookie’s fortune

« C’est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons. »

Arthur Rimbaud, le Dormeur du Val, 1870.

Le temps s’écoule comme un long fleuve tranquille, charriant des souvenirs qu’il dépose sur ses berges. C’est au bord des cours d’eau que la cinéaste américaine Kelly Reichardt suit la piste de ses inspirations, depuis la « River of Grass » de sa jeunesse floridienne jusqu’au barrage de « Night moves », en passant par les sources chaudes de « Old joy ». En traversant la Columbia River, elle fait un bond de deux siècles en arrière accompagnée d’une vache, la « First Cow » qui ouvre la voie lactée d’un pays qui vient d’apparaître sur les cartes. Lire la suite

The POWER of the DOG

Par la peau du cuir

« Deliver my soul from the sword ; my darling from the power of the dog. »

Psaume 22:21, King James Bible, 1611.

A la lumière rasante d’une fin de journée, dans le relief accidenté d’un massif montagneux à l’heure où les troupeaux se rassemblent pour passer la nuit, parfois une forme apparaît. Les hommes qui s’installèrent à l’ombre des géants, dans les endroits reculés du sauvage Montana connaissent bien ce phénomène. L’écrivain John Savage également, mais il détestait cette région pour cette même raison. Il l’a d’abord traduit en mots, avant que la cinéaste Jane Campion ne le fasse en images. « The Power of the Dog » surgit parmi ces ombres vivantes, comme un aboiement sourd qui se fait entendre lorsque la caravane passe. Lire la suite

BONE TOMAHAWK

Du sang dans la plaine

« Bettinger avala une cuillerée de soupe.
– Ouais.
– Vous mangez épicé ?
– ça me maintient éveillé.
– J’y ai mangé une fois. C’était très bon, mais mon trou de balle m’a dit « jamais plus ». »

S. Craig Zahler, Exécutions à Victory, 2014

Quand on erre dans le désert, depuis trop longtemps, on finit par se retrouver le ventre creux. Pas un animal à portée de Winchester, pas le moindre gibier de potence à se mettre sous la dent. Seul veille le chant des tribus ancestrales porté par le vent, celles qui peuplaient jadis cette terre avant d’être effacées par la civilisation. A moins qu’il ne s’agisse d’un cri de ralliement, celui d’un prédateur vorace qui s’apprête à passer à table. La caméra dans une main, le « Bone Tomahawk » dans l’autre, c’est S. Craig Zahler qui régale. Dans la Vallée des Affamés, le repas est servi. Lire la suite

PAT GARRETT et BILLY le KID

Knockin’ on heaven’s door

« Moi, ce qui me tire les larmes, c’est d’entendre le cœur de Sam battre avec douceur, apaisement, sérénité (eh oui !) dans la version director’s cut de Pat Garret and Billy the kid.
C’est vrai, cet homme était un vrai monstre, mais un monstre de tendresse. »

Alain Corneau, préface de Sam Peckinpah, la violence du Crépuscule, François Causse, 2001.

Parfois, quelques notes suffisent. Un lamento de guitare flotte sur l’horizon, quelques arpèges de soleil mexicain s’égrènent sur une photo sépia qui marque la fin d’une époque. « Times they are a-changin’ » chantait Bob Dylan sur un de ses vieux albums. La phrase est quasiment prononcée telle quelle lorsque « Pat Garrett & Billy the Kid » trinquent une dernière fois ensemble à la table de « Bloody » Sam Peckinpah, western magistral et mélancolique en forme d’adieu au genre, une élégie dans laquelle le chanteur apparaît et se sent tout petit. Lire la suite

The RIDER

un homme nommé cheval

« Je ne me sens pas vivant si je ne suis pas sur un cheval. »

Brady Jandreau invité sur le plateau de l’émission Quotidien le 13 mars 2018.

Certains pilotent des bolides, d’autres se jettent dans le vide, et puis il y a ceux qui tentent de chevaucher la mort. On connaît mal le monde du rodéo de ce côté de l’Atlantique alors qu’aux Etats-Unis, c’est une institution. Il y a les stars de la Ligue professionnelle et puis il y a toutes les vedettes locales qui gagnent leur titre de gloire dans des championnats de seconde zone. C’est plutôt là, qu’on trouvera « The Rider », un cavalier devant les éternels, qui ne vit que pour l’adrénaline des saddle bronc competitions, pour entendre les acclamations des spectateurs et quelques fragments d’extase que capture au lasso la nomade Chloé Zhao. Lire la suite