PORCO ROSSO

Pirate de lard

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« Tout était bleu, d’un bleu si pur que jamais je n’en avais vu de semblable (…) C’est alors que je les aperçus. Au loin, devant moi et un peu plus haut que moi, je vis une mince et longue ligne noire d’avions qui passaient à travers le ciel; ils avançaient sur une seule file, bien serrés (…) et la file s’étendait sur toute la largeur du ciel, aussi loin que mes yeux pouvaient porter. »

Roald Dahl, A tire d’aile, 1945.

Quand on se promène entre ciel et mer, on peut faire parfois d’étranges rencontres. Certains aviateurs ont pu croiser le Baron Rouge durant la Première Guerre Mondiale ; beaucoup d’entre eux d’ailleurs n’en sont pas revenus. D’autres prétendent aussi qu’au-dessus de l’Adriatique, quelques années plus tard, on a pu voir voler un autre écarlate aéroplane, un Savoia S.21 couleur du temps des cerises piloté par un drôle d’Italien à tête de lard qu’on a vite surnommé le « Porco Rosso ». C’est en tous cas ce que le maître nippon de l’animation Hayao Miyazaki va tenter de nous faire croire tout au long d’un chef d’œuvre d’une heure et demie.

Bien avant que « le vent se lève », quel plus bel hommage le sensei pouvait-il rendre à son père ingénieur aéronautique pendant la guerre ! Toujours avec Joe Hisaishi pour co-pilote musical, Miyazaki fait de cet animé une affaire personnelle, un projet presque égoïste où il peut coucher en images sa passion pour les aéroplanes et les voltiges aériennes. « Pour être précis, j’adore les avions qui ont été produits dans les années 20 et jusqu’au milieu des années 30. » explique-t-il « Tous ceux que nous voyons aujourd’hui ont subi l’influence de ce qui a été créé à cette époque où les hommes étaient très productifs et faisaient preuve de beaucoup d’imagination. » Et c’est peu dire qu’il n’en manque pas lui-même quand il se lance dans l’histoire farfelue d’un as à tête de cochon mais au cœur tendre.

Après avoir dépeint le Japon de sa jeunesse dans « mon voisin Totoro », il se projette désormais dans la lointaine Italie, berceau de l’hydraviation et de toutes ces machines volantes aux lignes rétro-futuristes dont il est très tôt tombé amoureux. Le récit fait la part belle à cet ancrage dans le réel (l’Adriatique, les vieux postes à galène, l’Italie fascisante, un pays en crise où on se rattrape sur le litre de kérosène), à cette parenthèse enchantée de l’âge d’or des hydravions qu’il raccroche sans tarder aux univers préférés des enfants (la bande de pirates affreux, sales mais pas trop méchants qui sévit dès l’introduction) et à des échappées poétiques (le sillage mortuaire du cimetière d’aéroplanes et la mer de nuages tout droit sortis des lignes de Roald Dahl). « C’est plus du côté d’Antoine de Saint-Exupéry, un écrivain que je vénère, qu’il faut chercher une influence. » précise Miyazaki qui n’a jamais cessé de clamer son admiration pour son « Petit Prince ».

Ici les pilotes d’avions ne se transforment pas en mouton mais en cochon, eu égard apparemment à leurs état de service au combat. Marco Pagotto n’est donc pas revenu indemne de la Grande Guerre. Son avion couleur sang en témoigne, ainsi que sa face de groin et son regard coupable toujours dissimulé derrière une petite paire de lunettes noires. A travers lui, Miyazaki nous rappelle combien la guerre change littéralement les hommes et les âmes. Aussi noble et romantique l’imagine-t-il, le héros n’en revient-il pas moins esseulé, privé de ses amis (« les meilleurs sont toujours ceux qui partent » aime-t-il à dire). Sous le crayon de Miyazaki, sa face de porc sera son anathème (motif repris pour punir les parents trop curieux de Chihiro) et cet entre-deux-guerres son purgatoire. Point de conte de fée à l’horizon car, comme le dit Marco « Porco » : « les princes qui se retransforment en homme grâce à un baiser, ça marche pour les grenouilles mais pas pour les cochons. » Encore que…

Claquemuré dans son petit coin de paradis perdu (un lagon bleu aux eaux transparentes où il aime se dorer la côtelette), vendant ses services au plus offrant, il a même renoncé à ses amours d’antan. Le duel qui l’oppose à un concurrent hollywoodien venu pavaner sur son espace aérien file la métaphore avec le second conflit mondial. Miyazaki en profite pour mettre un pouce en l’air à l’adresse de ses prédécesseurs américains (Fleischer, Disney), de tous les pugilistes Fordiens et autre « aviators » si chers à Howard Hughes (autre grand amateur d’hydravions). Le yankee Donald Curtis, aspirant vedette de série B et voltigeur volage, vient alors se titiller la moustache sous les beaux yeux d’une diva de cabaret fuselée comme Bacall sous le regard d’un Porco sapé comme Bogart tirant stoïquement sur sa Gitane. Cette opposition a tout de la joute puérile et stérile qui se finit par une rixe où seul l’amour sort vainqueur, querelle de cour de récré interrompue par la sagesse de la jolie femme.

Les filles, comme toujours chez Miyazaki, sont là pour redresser le manche. « Les femmes ont pour rôle de remettre les hommes en contact avec la réalité. » dit-il. Qu’elles soient garçon manqué (Fio, l’avionneuse au « cul de souris ») ou bien élégantes chanteuse (Gina, la Circé du club Adriano posé sur la Méditerranée comme un « château dans le ciel »), il leur offre le beau rôle, les convie même à jouer les filles de l’air ; le vieux Piccolo ne dit-il pas qu’elles sont « plus courageuses que les hommes et tout aussi efficaces ? » Ce vétéran milanais expert en aérodynamique a tout d’un chef d’atelier de la maison Ghibli. Sa petite entreprise emploie toutes les petites mains expertes à disposition, faisant fi du sexisme et de toute discrimination.

Dans les dessins-animés de Miyazaki, comme dans les films live, on croise étrangement les mêmes « acteurs », une galerie de tronches qui jouent les seconds rôles, comme des signatures apposées au bas de son œuvre : il y a ces petites vieilles qui prendront les traits de Sophie dans « le château ambulant », ou ce vieux pirate moustachu qui fera le taciturne Kamaji dans « le voyage de Chihiro »). Le chevalier du ciel propulsé au moteur Ghibli (studio qui tire son nom d’un avion de reconnaissance italien) suit la trace du génie de son auteur, ce panache de nostalgie qui voudrait nous faire dire à Hayao Miyazaki : « S’il vous plaît, dessine-nous encore des avions. »

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10 réflexions sur “PORCO ROSSO

  1. Mon second film préféré de Miyazaki san après Princesse Mononoké. Un film d’aventure pur où le temps d’une scène les larmes coulent. Il suffit d’une scène pour comprendre définitivement le personnage de Porco Rosso et voir à quel point son don (sa survie) n’est pas une bénédiction des dieux. Là où l’on voit que Miyazaki san peut être très violent et radical avec ses personnages ,quitte à les mettre dans des situations totalement inconfortables. Sans compter l’amour impossible.

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  2. Une profonde mélancolie se dégage en effet de cette histoire et le passé tragique du personnage donne une profondeur inattendue à ce film aux dehors tout à fait inoffensifs. C’est bien là toute la subtilité du maître capable de produire un spectacle véritablement transgénérationnel, qui marie évasion poétique et vérité historique, dans la droite ligne des écrits de Saint-Ex.

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  3. Les femmes sont là pour redresser le manche ! C’est élégant !
    J’avais aimé ce cochon volant sentimental et le rouge est ma couleur préférée, c’est important.
    Mais, aéroplanement parlant je préfère Le vent se lève et le Château ambulant est pour moi le sommet d’Hayao.

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