REIMS POLAR 2024 jour 2 – Highway 65 + Hopeless

Rats des villes et flics des champs

Reims Polar quitte le Texas profond et file droit vers deux films en compétition : sur la « Highway 65 » direction Israël avant de bifurquer au pays des matins pas très calmes chez les « Hopeless » de la banlieue de Séoul. Lire la suite

REIMS POLAR jour 2 : Heat + About Kim Sohee

So lonely

« You don’t live with me, you live among the remains of dead people. »

Justine Hanna dans « Heat », Michael Mann, 1995.

Cœurs broyés et âmes englouties, on se tue au travail durant cette deuxième journée de Reims Polar. Deux salles, même ambiance pourtant dans deux registres bien différents. D’un côté un affrontement sanglant entre professionnels du grand banditisme et limiers de pointe aux commandes de « Heat ». De l’autre, une enquête à charge sur une dérive systémique qui ravage les rangs de la jeunesse coréenne à travers un titre à l’étrange consonnance anglo-saxonne : « About Kim Sohee » de July Jung. Lire la suite

Les BONNES ETOILES

Baby blues

« Petit baigneur
Fait des longueurs à longueur d’odyssée
Brasse petit verni
A bras raccourcis
Brasse petit gabarit »

Alain Bashung, ode à la vie, 1998.

Il est né le divin enfant. Et ils sont nombreux à se pencher sur son berceau. En guise de rois mages, le cinéaste japonais Kore-eda Hirokazu lui a dégoté trois pieds nickelés qui vont le balader à travers le pays. Après avoir clamé sa « Vérité » chez les Français, il a suivi « les Bonnes Etoiles » qui l’ont mené vers les rives des Matins Calmes. Il y a recruté une belle poignée de stars made in Korea car, lorsqu’il est question de famille et d’aventures, plus on est de fous et moins la vie est dure. Lire la suite

OLD BOY

Dent pour dent

« Je suis la plaie et le couteau !
Je suis le souffle et la joue !
Je suis les membres et la roue,
Et la victime et le bourreau ! »

Charles Baudelaire, L’Héautontimorouménos in « les Fleurs du Mal »,1857.

Jusqu’alors, on envisageait surtout la Corée comme le berceau d’un cinéma des matins calmes, terre nourricière d’auteurs à l’excentrique poésie, ivres de femmes et de peintures. Puis vint Park Chan-wook. Il secoua d’abord le box-office local avec son « J.S.A. », avant de gravir les marches du palais cannois et faire trembler les critiques les plus douillets : « un opus foutraque (…) demandant au spectateur quatre fois plus d’énergie qu’un film habituel » écrivait Philippe Azoury dans Libération avant que le président Quentin Tarantino ne prononce le résultat des délibérations. « Old Boy » reçut finalement le Grand Prix (la Palme d’or raflée au dernier moment par le très politique « Fahrenheit 9.11 »), au grand dam d’une salle sans voix, sans doute encore sonnée par cette débauche de langue coupée, de poulpe avalé, de dents arrachées et de chutes fracassantes. Lire la suite

DECISION to LEAVE

Dans la brume asiatique

« Où est passée cette personne ?
Ouvre les yeux dans le brouillard
Cache tes larmes »

Jung Hoon-hee, 안개,1972.

Le polar coréen a décidément les faveurs du festival de Cannes. Tout le monde a évidemment en tête le triomphe phénoménal du « Parasite » de Bong Joon-ho, mais il y eut avant lui la révélation Park Chan-wook qui rafla le Grand Prix des mains de Tarantino pour « Old Boy », le Prix du Jury de celles d’Isabelle Huppert pour « Thirst » et désormais un Prix de la Mise en Scène pour « Decision to Leave », film qui impressionna Vincent Lindon et ses jurés. Devenu depuis l’un des chefs de file du nouveau cinéma coréen, son prestige n’a cessé de grandir au fil des films, et ce n’est certainement pas avec celui-ci que sa côte vertigineuse va s’effondrer. Lire la suite

THIRST, ceci est mon sang

Vampire des sens

« Il rabattit le col de sa chemise et regarda la plaie dans un méchant miroir de quinze sous accroché au mur. Cette plaie faisait un trou rouge, large comme une pièce de deux sous ; la peau avait été arrachée, la chair se montrait, rosâtre, avec des taches noires ; des filets de sang avaient coulé jusqu’à l’épaule, en minces traînées qui s’écaillaient. Sur le cou blanc, la morsure paraissait d’un brun sourd et puissant ; elle se trouvait à droite, au-dessous de l’oreille. »

Emile Zola, Thérèse Raquin, 1867.

« Je pense que si Émile Zola vivait à notre époque, il serait réalisateur. »

Park Chan-wook

De la « littérature putride ». C’est en ces termes que Louis Ulbach décrivait le roman de Zola « Thérèse Raquin » dans Le Figaro en 1867. D’aucun pourrait aisément en dire de même de l’œuvre du coréen Park Chan-wook, cinéaste des passions mortelles et de l’amère vengeance, des manipulatrices aux irrépressibles désirs charnels et des brutes humaines qui n’auraient sans doute pas déplu à l’écrivain français. Lorsqu’il décrit son roman, Emile Zola évoque des personnages « dominés par leur chair et leur sang », rongés par une passion aussi dévorante qu’une maladie mortelle et transmissible. Il n’y avait pas plus généreuse matière pour donner à un cinéaste assoiffé d’images et de transgression l’envie d’écrire et de réaliser « Thirst », une transcription vampirique à la fois fidèle et hérétique d’un roman qui en son temps déjà fit couler beaucoup… d’encre. Lire la suite

the HOST

Et au milieu coule une rivière

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« – Vous êtes sans doute surpris, dit l’homme, de notre peu d’hospitalité. Mais l’hospitalité n’est pas d’usage chez nous, nous n’avons pas besoin d’hôtes. »

Franz Kafka, Le Château, 1926.

De la source à l’estuaire, le fleuve se gorge et se nourrit de ce qu’il charrie du fond de son lit. Il s’enrichit, se vitalise, prend de l’ampleur, gagne du débit, s’ouvre un passage vers l’horizon, vers la consécration. La carrière du cinéaste Bong Joon-ho semble avoir emprunté un trajet similaire. Film après film, son succès et son aura à l’international n’auront cessé de croître, de gagner le respect de la critique et du public. Alors, qui mieux qu’un cinéaste palmé pour nous plonger dans les eaux troubles de Séoul, saisissant « The Host » par la queue d’un genre encore inédit au sud du 38ème parallèle ?

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PARASITE

La ligne de démarcation

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« Et la maison était merveilleusement distribuée : des grands espaces vides, soigneusement conçus, s’emboîtaient sans heurt pour donner l’illusion qu’elle était encore plus vaste qu’elle ne l’était en réalité. (…) Le fantôme n’a pas vu le moindre détritus de la fête souillant la maison. C’était immaculé. »

Brett Easton Ellis, Lunar Park, 2005.

La fracture. S’il y a bien un pays qui en mesure les conséquences c’est bien la Corée. Politique et idéologique, celle-ci est depuis longtemps inscrite au patrimoine mémoriel du Nord et du Sud, dans l’ADN de chaque citoyen qui sait qu’à tout instant, le ciel peut lui tomber sur la tête. Mais depuis quelques temps, depuis l’essor économique de la moitié fréquentable de la péninsule, s’ajoute une fracture sociale, sourde et souterraine, qu’auront su ressentir nombre d’artistes autochtones. L’excellent Bong Joon-ho est de ceux-là. Descendu du wagon qui transperçait neige, le voici de retour sur ses terres, toujours au pied des inégalités, dans une traque au « Parasite » qui s’avère féroce et jouissive.

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DERNIER TRAIN pour BUSAN

Ticket choc

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A en croire son cinéma, en Corée du Sud c’est la catastrophe permanente. S’y déplacer par exemple, n’est pas sans risque. On a vu récemment qu’un « Tunnel » flambant neuf pouvait tout à coup s’effondrer sur l’automobiliste pressé, et avant cela un père de famille et sa fille de 9 ans avaient eu bien des déboires en voyageant à bord du « Dernier train pour Busan » piloté par Yeon Sang-ho. Pour traverser le pays d’un bout à l’autre, il est vrai que le train reste malgré tout une des solutions les plus pratiques. Et puisque la petite Soo-ahn, en garde chez son papa à Séoul réclame de voir sa mère qui a refait sa vie à l’autre bout de la presqu’île, un billet aller en KTX (équivalent de notre TGV)  s’impose. Alors, qu’est-ce qu’on attend ? En voiture ! Lire la suite

OKJA

Copain comme cochon

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« Il fait de l’anémie ? Mais bouffez-le votre cochon ! Bouffez-le ! »

Christian Clavier dans « les Bronzés font du ski », Patrice Leconte, 1979

Cinquante millions de Coréens, et lui, et elle, et moi. Tant de bouches à nourrir, tant de consommateurs à satisfaire, tant d’estomacs à rassasier. La population de la planète enfle comme les bides à bière des Américains et les ressources viennent à manquer. Immanquablement. Dans les années soixante-dix, on avait anticipé cette situation, et inventé in extremis le « Soleil Vert ». Aujourd’hui, c’est Bong Joon-ho qui trouve la solution à nos appétits viandards, et c’est son film « Okja » qui nous la donne. Lire la suite