Le Garçon et le Héron

Fais comme l’oiseau

« Peindre d’abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite quelque chose de joli (…) »

Hayao Miyazaki est vraiment une tête de cochon (paraît-il). Sur chaque œuvre, il tient à avoir le contrôle absolu, quitte à faire lui-même ce dont les autres seraient incapables. Cela donne à chacun de ses animés un caractère artisanal unique, cela produit des pièces d’orfèvrerie. Un travail minutieux, souvent harassant, qui le conduit parfois à baisser les bras, à jeter le crayon. A plusieurs reprises, il a annoncé sa mise en retrait. La première fois c’était juste après la sortie de « Princesse Mononoke », il comptait confier la suite de l’épopée Ghibli au jeune prodige Yoshifumi Kondo (auteur du merveilleux « Si tu tends l’oreille »). Et puis Kondo est mort, et Miyazaki-san a repris le travail. Ensuite, ce fut en 2013, avec la sortie de « Le Vent se lève ». Un film plus autobiographique, très personnel, parfaite conclusion pour une œuvre sans fausse route. Mais non, là encore, le sensei a repris la plume, s’est à nouveau jeté sur les planches à dessin. Et voilà que surgissent « le Garçon et le Héron », une merveille, une de plus qui, cette fois, se glisse dans les couloirs du temps. Lire la suite

Your NAME

Le joyau dans le ciel

« Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom »

Paul Eluard

« Pourquoi ces larmes ? » Dès lors que Miyazaki et Takahata eurent décidé de mettre un terme à leur carrière artistique (Takahata disparaîtra deux ans plus tard, quant à Miyazaki, l’avenir laisse entrevoir de bonnes nouvelles), les fanas de la firme au Totoro avaient le moral dans la vallée du vent. Aucun des successeurs présumés des grands maîtres du studio Ghibli n’avait su se montrer à la hauteur de leurs spirituels modèles. Et puis un jour de la fin août 2016, le public nippon a vu débouler sur l’horizon de la Japanime une comète tout à fait inattendue. Elle laissa pleuvoir dans son sillage des débris incandescents, pareils aux étoiles qui filaient aux pieds de la Sophie du « Château ambulant » qui, apercevant son Hauru redevenu petit garçon donnant naissance à Calcifer, leur avait lancé : « Hauru ! Calcifer ! Attendez-moi, je vous promets de revenir. Attendez-moi dans le futur ! » Alors, le public nippon s’est dit que ce rendez-vous pris il y a plusieurs années allait enfin se concrétiser, prendre la forme d’un nouveau chef d’œuvre. En voyant ce bolide joliment peint fendre l’azur, et retomber en pluie d’étoiles arc-en-ciel sur un crépuscule en feu, les insulaires spectateurs se pressèrent devant l’écran pour lui demander son nom (« Your name » ?) Il répondit qu’il n’était ni Miyazaki, ni Takahata, mais Makoto Shinkai, et qu’il allait leur offrir ce moment de bonheur tant espéré. Lire la suite

SUZUME

Elle et son chat

« Les hommes ont libéré les forces terribles que la nature tenait enfermées avec précaution. Ils ont cru s’en rendre maîtres. Ils ont nommé cela le Progrès. C’est un progrès accéléré vers la mort. »

 René Barjavel, Ravage, 1943.

« Bonnes Etoiles » et galaxie rose bonbon brillent dans le ciel de Makoto Shinkai depuis le succès fracassant de son long métrage d’animation « Your Name », il y a sept ans déjà. Séismes à répétition et réveil des dieux ancestraux frappent le sol de « Suzume », son nouvel animé qui a de nouveau raflé la mise au Japon, et s’est frayé une place en compétition officielle dans les griffes de l’Ours berlinois. Celui qu’on a peut-être abusivement appelé « le nouveau Miyazaki » n’en finit plus de conquérir les cœurs cinéphiles et les amateurs de fééries amoureusement dessinées à la pointe des pinceaux, d’enchanter la planète de chants et de couleurs à l’aube des catastrophes annoncées. Lire la suite

BELLE

A la recherche de la nouvelle star

« Avec du temps et du courage, il n’est point d’infortune qu’on ne puisse vaincre. »

Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, La Belle et la Bête, 1756

Un autre monde, certains en rêvent. Aujourd’hui, cet autre monde est possible, conçu par de brillants cerveaux et développé dans les circuits de silicium des supercalculateurs. En octobre 2021, Mark Zuckerberg rebaptise son empire « Meta », diminutif du Métavers dans lequel il compte bien aspirer tout ou partie de l’humanité. Quelques mois plus tôt, sortait sur les écrans nippons « Belle » de Mamoru Hosoda, célèbre conte revisité à l’ère des mondes virtuels et des réseaux sociaux. L’artiste japonais crée pour l’occasion son propre métavers : U, diminutif de Universe, façonné aux couleurs du XXIème siècle et projetant les ambitions de Zuckerberg dans une dimension vertigineuse. Lire la suite

MIRAÏ, ma petite sœur

Il était un frère

« Vivre avec des enfants donne beaucoup d’inspiration : avant c’était des livres, des films, des conversations qui me poussaient vers la création. Aujourd’hui, le temps que je passe avec mes enfants, à jouer avec eux, à leur apprendre des choses, à les gronder même, eh bien, tout cela m’apporte quelque chose d’unique en termes d’inspiration. »

Mamoru Hosoda dans Mad Movies n°302, décembre 2016.

Depuis qu’il a fondé sa propre maison de production, les affaires prospèrent et la filmographie s’agrandit pour Mamoru Hosoda. Après « Ame et Yuki, les enfants loups », après « le Garçon et la Bête », voici qu’arrive directement de la maternité, « Miraï, ma petite sœur », dernière-née du studio Chizu (en attendant l’arrivée de sa « Belle » par chez nous). Toujours une histoire de famille, une source d’inspiration inépuisable pour cet amoureux d’Ozu et de Takahata. Lire la suite

MARY et la fleur de la sorcière

Ponoc sur la falaise

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« Beaucoup de gens penseront que ce n’est pas une étape majeure, mais d’autres y verront une avancée cruciale. Et en voyant ce genre d’histoire, peut-être ceux qui ont du mal à avancer dans leur vie, qui n’ont pas confiance en eux, y gagneront un peu de courage et seront touchés »

Hiromasa Yonebayashi

Le vent se lève, il était temps de partir. Après presque vingt ans de bons et loyaux services au sein de la maison Ghibli, Hiromasa Yonebayashi éprouvait le besoin de prendre son envol. Désormais maître à bord du Studio Ponoc, il décolle la tête de Totoro pour mettre celle de « Mary et la fleur de la sorcière » en guise de logo, histoire de bien marquer son film du sceau de l’émancipation. Lire la suite

Si tu tends l’oreille

Chat blanc avec une oreille noire

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Kon-chan

De l’océan bleu au-dessus de la montagne,
Jusqu’au beau ciel clair se fondant doucement dans
la lumière, les vents, les arbres, l’eau et la terre,

Repose en paix.

Je ne t’oublierai jamais

23 janvier 1998, Hayao Miyazaki.

Qui pour prendre la suite ? Les candidats à la succession de Miyazaki et de Takahata ne sont pas légions. Le fils prodigue Goro n’aura pas donné satisfaction, même avec son honorable « colline aux coquelicots », et Yonebayashi, promu meilleur espoir en reprenant les projets du sensei (tels « Arrietty » puis le splendide « souvenirs de Marnie »), a aujourd’hui pris la tangente vers le studio Ponoc. Un nom pourtant a longtemps fait l’unanimité des deux figures tutélaires de la maison Ghibli. Aujourd’hui disparu, et même quasi-oublié, on en entend encore l’écho, « Si tu tends l’oreille »… Lire la suite

Le conte de la PRINCESSE KAGUYA

L’adieu aux larmes

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« La joie de t’avoir connu
Est si vive, si profonde
Qu’elle pénètre tout mon être
Même au jour lointain
Où je ne saurai plus rien
Que vienne même le moment
Où ma vie prendra fin. »

Kazumi Nikaidô, La Mémoire de la Vie, 2013

« Si je fais ça, Paku va me remonter les bretelles, hein ? » Il s’appelait Isao Takahata, mais son compère Miyazaki l’appelait Paku. Il était l’autre Ghibli. C’est un véritable don du ciel qu’il nous a offert en guise d’adieu, un conte de lune et de larmes aux couleurs aquarellées, « le conte de la Princesse Kaguya ». Lire la suite

Le VENT se LEVE

S’il te plaît, dessine-moi un avion…

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« Moi, tu le remarques bien, je ne parle guère le français. Pourtant, avec toi, je préfère cette langue à la mienne, car pour moi, parler français, c’est parler sans parler, en quelque manière, sans responsabilité, ou, comme nous parlons en rêve. »

Thomas Mann, La montagne magique, 1924.

Dans toute sa carrière, Hayao Miyazaki aura peut-être eu un seul regret, celui de n’avoir jamais porté à l’écran son livre favori : « le Petit Prince ». Cette « histoire d’aviateur écrite par un aviateur » et d’un enfant tombé du ciel dans le désert saharien (là où souffle le « ghibli », ce vent chaud baptisé ainsi par les pilotes italiens durant la Seconde Guerre Mondiale) aurait épousé à merveille la fantaisie de celui qui bâtit des châteaux dans le ciel et chorégraphia les voltiges d’un pilote d’hydravion à tête de cochon. Au crépuscule de sa carrière, il préfère se poser sur le sol de son pays natal, raconter en pointillés une trentaine d’années de la vie de celui qui, faute de pouvoir chevaucher les nuages, dessina des machines volantes destinées à d’autres. Lire la suite

Dans un RECOIN de ce MONDE

Sayonara Hiroshima

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« Ceci est notre cri.
Ceci est notre prière.
Pour construire la paix dans le monde »

Texte inscrit à la base de la statue hommage à Sadako Sasaki située dans le Parc de la Paix d’Hiroshima.

Tous les 6 août à 8 heure 15, et ce depuis près de soixante-dix ans, la cloche du Parc du Mémorial de la Paix ordonne le silence à Hiroshima. Il aura fallu le temps d’un flash, d’un clignement de paupières, pour que l’équilibre du monde bascule, pour qu’une des plus importantes tragédies humaines se produise. La mémoire de cet instant est aujourd’hui figée dans les restes squelettiques du dôme de Genbaku, tout comme elle est présente dans l’esprit de nombreux Japonais. C’est assurément le cas chez Sunao Katabuchi qui, après un premier voyage à rebrousse-temps dans la ville martyre avec « Mai Mai Miracle », revient rendre un nouvel hommage « Dans un recoin de ce monde ». Lire la suite