CESAR et ROSALIE

Ni avec toi, ni sans toi

« J’aime bien Rosalie, je l’envie. Je pense qu’il y a des choses dans et de Rosalie qui me ressemblent et vice-versa. »

Romy Schneider

Il y a, dans les yeux de Romy Schneider, une lointaine lueur qui, remontant à la surface et éclairant son sourire, se change en une profonde incapacité au bonheur. Ce sentiment, qui saisit le spectateur dans bien des films dans lesquels elle a joués, n’aura peut-être jamais été aussi évident que dans le regard que portait sur elle Claude Sautet. « César et Rosalie » est déjà le troisième film qu’ils tournent ensemble, autant dire qu’il y a entre elle et lui une complice proximité. Elle a trouvé en lui son « metteur en scène préféré » et il a trouvé en elle cette « violence de vie qui lui donnait ce pouvoir de créer… » Lire la suite

BURNING DAYS

Les dolines de la terreur

« Ça suffit ! La parole est au peuple ! »

Slogan de campagne du Parti Démocrate turc, 1950.

La terre a soif, les jours sont secs. En turc on dit « Kurak Günler ». Dans la province de Konya, une des régions les plus arides du cœur de l’Anatolie, on observe ici et là des phénomènes troublants et inquiétants : le sol soudain s’effondre pour laisser place à un trou béant de plusieurs mètres de diamètre. C’est là que le réalisateur turc Emin Alper a choisi de planter la ville fictive de Yaniklar, bourgade de province asséchée par la corruption. Bientôt sur le grill des élections municipales, les « Burning Days » la font entrer dans une nuit sans fond. Lire la suite

FLANDRES

Terres brûlées

« Le bois dont l’homme est fait est si courbe qu’on ne peut rien y tailler de tout à fait droit. La nature ne nous impose que de nous rapprocher de cette idée. »

Emmanuel Kant, Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, VIème proposition, 1784.

On ne peut comprendre la raison d’être des hommes qu’à travers les paysages dans lesquels ils évoluent. De cela, Bruno Dumont en est résolument convaincu. Après sa tentation américaine à « Twentynine Palms », le voici de retour sur sa terre primitive, dans les austères « Flandres » qui furent son berceau, matrice de son inspiration cinématographique. « … Ces souvenirs chauffent mon sang, pénètrent mes moelles… » écrivait le poète Emile Verhaeren. Ils éclairent ici un nouveau chapitre de ses chroniques à l’état brut, pour assister à l’accouchement des sentiments à lueur des temps barbares. Lire la suite

Le MONDE, la CHAIR et le DIABLE

Harry, un ami qui nous voulait du bien

« J’ai rapidement compris qu’Hollywood était le révélateur de ce qui n’allait pas dans notre société. »

Harry Belafonte, 2018.

Dans une célèbre scène du film « Beetlejuice » de Tim Burton, une tablée de gens bien comme il faut se met soudain à danser au rythme d’un mento jamaïcain, comme envoûtés par une voix venue d’ailleurs. Cette voix venue de l’au-delà résonne aujourd’hui d’outre-tombe en effet, car c’est celle du chanteur et comédien Harry Belafonte. Cette voix qui s’est éteinte, elle fut aussi celle des ouvriers noirs de la Jamaïque, celle de ses ancêtres. C’est aussi celle qui s’élevait pour la défense des droits civiques aux Etats-Unis. Durant de longues années, au côté de son ami Sidney Poitiers disparu il y a un peu plus d’un an, Belafonte mit sa notoriété au service de la cause militante, de la mixité des peuples et de l’antiracisme, et ce jusque dans le « Blackkklansman » de Spike Lee qui signera ses adieux au grand écran. Cet idéal, il l’incarna très tôt, notamment dans ce film honni des suprémacistes blancs : « Le Monde, La Chair et le Diable » de Ranald MacDougall. Lire la suite

Your NAME

Le joyau dans le ciel

« Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom »

Paul Eluard

« Pourquoi ces larmes ? » Dès lors que Miyazaki et Takahata eurent décidé de mettre un terme à leur carrière artistique (Takahata disparaîtra deux ans plus tard, quant à Miyazaki, l’avenir laisse entrevoir de bonnes nouvelles), les fanas de la firme au Totoro avaient le moral dans la vallée du vent. Aucun des successeurs présumés des grands maîtres du studio Ghibli n’avait su se montrer à la hauteur de leurs spirituels modèles. Et puis un jour de la fin août 2016, le public nippon a vu débouler sur l’horizon de la Japanime une comète tout à fait inattendue. Elle laissa pleuvoir dans son sillage des débris incandescents, pareils aux étoiles qui filaient aux pieds de la Sophie du « Château ambulant » qui, apercevant son Hauru redevenu petit garçon donnant naissance à Calcifer, leur avait lancé : « Hauru ! Calcifer ! Attendez-moi, je vous promets de revenir. Attendez-moi dans le futur ! » Alors, le public nippon s’est dit que ce rendez-vous pris il y a plusieurs années allait enfin se concrétiser, prendre la forme d’un nouveau chef d’œuvre. En voyant ce bolide joliment peint fendre l’azur, et retomber en pluie d’étoiles arc-en-ciel sur un crépuscule en feu, les insulaires spectateurs se pressèrent devant l’écran pour lui demander son nom (« Your name » ?) Il répondit qu’il n’était ni Miyazaki, ni Takahata, mais Makoto Shinkai, et qu’il allait leur offrir ce moment de bonheur tant espéré. Lire la suite

UPON ENTRY

A la porte

« Frontières : En géographie politique, ligne imaginaire entre deux nations, séparant les droits imaginaires de l’une des droits imaginaires de l’autre. »

Ambrose Bierce, dictionnaire du diable, 1911.

Certains enferment leurs personnages dans un vaisseau spatial. D’autres préfèrent les enterrer vivant pendant la durée d’un film. Les barcelonnais Alejandro Rojas et Juan Sebastián Vásquez préfèrent, pour leur tout premier long métrage, s’intéresser aux bureaux sans fenêtre des services douaniers d’un aéroport, en pénétrant dans les limbes opaques et hostiles du département de l’immigration américaine. Cela donne une heure et quart d’une révoltante claustration pour un des films sensations du dernier Festival Reims Polar : « Upon Entry ». Lire la suite

REIMS POLAR jour 5 : Borderline + les Complices + Palmarès

Gardés à vue

« Mon père dit qu’un homme est la somme de ses propres malheurs. On pourrait penser que le malheur finirait un jour par se lasser, mais alors, c’est le temps qui devient votre malheur, dit papa. »

William Faulkner, Le Bruit et la Fureur, 1929.

Samedi, c’est jour de récompenses. Après s’être gobergés cinq jours durant d’images, de sons et de flûtes de champagne, les jurés des diverses sélections ont enfin rendu leur verdict devant une salle comble et un public en effervescence. Avant que le couperet ne tombe, il faudra ramasser les morceaux d’un Olivier Marchal ému aux larmes pour présenter son coup de cœur pour « Borderline », puis subir les facéties des « Complices » de Cécilia Rouaud profitant d’un public captif pour tenter de nous dérider un peu. Lire la suite

REIMS POLAR jours 3 et 4 : Master Gardener + Brighton 4th

Les graines du passé

« La sagesse des vieux est éternellement ténébreuse ; les actions des jeunes sont éternellement transparentes. »

Yukio Mishima, Confessions d’un masque, 1949.

Le festival Reims Polar s’envole vers les Etats-Unis pour les soirées de jeudi et vendredi. Destination New York et le Sud arboré du pays. L’animal et le végétal sont conviés à s’exprimer chacun à leur manière, selon les obsessions d’un réalisateur du cru, selon la sensibilité d’un cinéaste venu d’ailleurs. Il faudra d’abord se laisser déambuler dans les jardins savamment composés de Paul Schrader pour « Master Gardener », pour ensuite s’adonner la lutte des corps dans les quartiers caucasiens de « Brighton 4th » réalisé par le géorgien Levan Koguashvili. Lire la suite

REIMS POLAR jour 2 : Heat + About Kim Sohee

So lonely

« You don’t live with me, you live among the remains of dead people. »

Justine Hanna dans « Heat », Michael Mann, 1995.

Cœurs broyés et âmes englouties, on se tue au travail durant cette deuxième journée de Reims Polar. Deux salles, même ambiance pourtant dans deux registres bien différents. D’un côté un affrontement sanglant entre professionnels du grand banditisme et limiers de pointe aux commandes de « Heat ». De l’autre, une enquête à charge sur une dérive systémique qui ravage les rangs de la jeunesse coréenne à travers un titre à l’étrange consonnance anglo-saxonne : « About Kim Sohee » de July Jung. Lire la suite

Avant de t’aimer

La vie en pente raide

« Croyez-moi, je me suis battue pour produire et pour diriger mes propres films. […] J’ai toujours nourri le désir de réaliser des films. »

Ida Lupino citée par Robert Ellis, in “Ida Lupino Brings New Hope to Hollywood”, Negro Digest, août 1950.

C’est presque un acte manqué. « Not Wanted » dit le titre du premier film réalisé par Ida Lupino. Au bout de trois jours de tournage, elle doit reprendre la caméra des mains d’Elmer Clifton victime d’une attaque cardiaque qui faillit réduire à néant les premiers balbutiements de la très jeune société The Filmakers qu’elle a fondée avec son mari Collier Young. On peut dès lors considérer ce film comme son premier « bébé », et ce même si c’est le nom du vieux Clifton qui s’affiche au poste de metteur en scène. Qu’importe la signature au bas du générique, « Avant de t’aimer » (puisque tel s’intitule le film sous nos contrées) est une œuvre déjà magnifique sur un grave fait de société, profondément empreinte de la personnalité d’Ida Lupino et portant en germe les motifs qui jalonneront sa carrière de réalisatrice. Lire la suite