Boléro

All that Jazz !

« C’est sûrement la plus belle musique de film qu’on ait faite, alors qu’il n’a pas été fait pour un film. Aujourd’hui, vous pouvez mettre la musique du Boléro sur n’importe quel film, ça marche. »

Claude Lelouch

En 2023, un collectif de neurologues s’est fendu d’un ouvrage ayant pour objectif d’aller farfouiller dans la cervelle de Ravel afin de comprendre la nature de l’affection qui lui gâcha les dernières années de son existence. Verdict : « une maladie neurodégénérative se manifestant par une aphasie, une apraxie et une agraphie », en bref « une variante logopénique d’aphasie primaire progressive. » Pourtant, rien dans ce jargon chirurgical ne nous permet de comprendre la mécanique singulière qui a engendré le « Boléro », encore moins ce qui maintint le maestro si loin de toutes les femmes qui lui tournaient autour. C’est justement dans l’épaisseur de ce papier à musique qu’Anne Fontaine entend se faufiler et restituer à la note près sa version de la vie intime du génie. Lire la suite

ANATOMIE d’une CHUTE

Une affaire de femme

« J’aime les chiens d’une très vieille et très fidèle tendresse. Je les aime parce qu’ils pardonnent toujours. »

Albert Camus, La chute, 1956.

Justine Triet pouvait-elle espérer un tel triomphe critique ? Une telle avalanche de récompenses ? Du haut de ses quatre films, elle inscrit indubitablement son nom parmi ceux qui comptent aujourd’hui dans le cinéma français. Ce n’est que justice pour celle qui s’est démené pour mettre en scène à plusieurs reprises des personnages plus ou moins versés dans le Droit : de Virginie Efira en avocate dans « Victoria » à Arthur Harari qui « s’y connaît en code pénal » dans « la Bataille de Solférino », les signes avant-coureurs de ce film de procès de manquaient pas. Elle préside donc désormais au succès de « Anatomie d’une chute », à la recherche d’une vérité dont les nuances, comme le clamait Clouzot, « s’accommodent mal de la lumière brutale des assises. » Lire la suite

Le Règne ANIMAL

What the phoque ?

« Vois,
Comme je vis mal,
Je n’ai plus que toi, animal »

Jean-Louis Murat, Je n’ai plus que toi, 1991.

Originaire de Clermont-Ferrand mais gascon de cœur, Thomas Cailley a peut-être un jour jeté un coup d’œil à l’intérieur de la grotte des « Trois-Frères ». Là, il y aura aperçu le « Chamane dansant », cas unique et exemplaire de représentation thérianthrope peint par de lointains ancêtres sur la paroi millénaire. Y figure un être mi-homme mi-animal, couvert d’une peau de bison, coiffé de bois de cerf, s’adonnant à une danse tribale. A moins qu’il ne soit un chasseur en approche d’une proie. De ces deux interprétations, Cailley n’aura d’égard que pour la plus noble, faisant de la seconde une menace pour « le Règne animal ». Lire la suite

BURN OUT

Busy rider

« Speeding motorcycle, won’t you change me ?
In a world of funny changes
Speeding motorcycle, won’t you change me ? »

Daniel Johnston, Speeding motorcycle, 1983.

Lorsque Yann Gozlan, invité par le festival Reims Polar, dut présenter son film favori, il ne s’est pas senti « Captifs » de son tout premier long métrage. Il ne s’est pas senti non plus « Un homme idéal » qui lui valut pourtant une première reconnaissance publique, et n’a pas voulu replonger dans la « Boîte Noire » qui avait reçu le Prix du public lors de ce même festival deux ans plus tôt. C’est « Burn out », son troisième long, passé quelque peu sous les péages, qu’il a voulu remettre sur le circuit. « C’est celui dont je suis le plus fier » disait-il déjà à l’époque. C’est en tout cas celui qui pousse l’accélérateur jusqu’au point de rupture. Lire la suite

FLANDRES

Terres brûlées

« Le bois dont l’homme est fait est si courbe qu’on ne peut rien y tailler de tout à fait droit. La nature ne nous impose que de nous rapprocher de cette idée. »

Emmanuel Kant, Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, VIème proposition, 1784.

On ne peut comprendre la raison d’être des hommes qu’à travers les paysages dans lesquels ils évoluent. De cela, Bruno Dumont en est résolument convaincu. Après sa tentation américaine à « Twentynine Palms », le voici de retour sur sa terre primitive, dans les austères « Flandres » qui furent son berceau, matrice de son inspiration cinématographique. « … Ces souvenirs chauffent mon sang, pénètrent mes moelles… » écrivait le poète Emile Verhaeren. Ils éclairent ici un nouveau chapitre de ses chroniques à l’état brut, pour assister à l’accouchement des sentiments à lueur des temps barbares. Lire la suite

REIMS POLAR jour 5 : Borderline + les Complices + Palmarès

Gardés à vue

« Mon père dit qu’un homme est la somme de ses propres malheurs. On pourrait penser que le malheur finirait un jour par se lasser, mais alors, c’est le temps qui devient votre malheur, dit papa. »

William Faulkner, Le Bruit et la Fureur, 1929.

Samedi, c’est jour de récompenses. Après s’être gobergés cinq jours durant d’images, de sons et de flûtes de champagne, les jurés des diverses sélections ont enfin rendu leur verdict devant une salle comble et un public en effervescence. Avant que le couperet ne tombe, il faudra ramasser les morceaux d’un Olivier Marchal ému aux larmes pour présenter son coup de cœur pour « Borderline », puis subir les facéties des « Complices » de Cécilia Rouaud profitant d’un public captif pour tenter de nous dérider un peu. Lire la suite

BOÎTE NOIRE

Ecoutez voir

« Yann est un grand cinéphile et j’adore ça : il a l’art d’utiliser ce qu’on aime tous dans le cinéma américain en le mettant au service d’une élégance très française. »

Pierre Niney

Le 24 mars 2015, le vol 4U9525 de la Germanwings s’écrase sans laisser le moindre survivant dans les Alpes françaises. L’annonce de l’origine de la catastrophe provoqua un choc au moins aussi brutal que le crash lui-même : le Bureau Enquête et Analyse (BEA) conclut en effet à un geste suicidaire du pilote, emportant dans sa dépression funeste 144 passagers et 6 membres d’équipe. La faille était donc humaine, l’avionneur respire. La tragédie n’a certainement pas échappé aux radars de Yann Gozlan qui, cinq ans après la tragédie, imagine un cas similaire en plongeant dans la « Boîte Noire » du vol EA024, pour une fiction qui nous emporte dans de formidables zones de turbulence. Lire la suite

La NUIT du 12

Fire walk with her

« Il est des crimes qui vous habitent ; des crimes qui vous font plus mal que les autres et vous ne savez pas toujours pourquoi. Vous êtes cueilli par surprise, au moment où vous vous y attendiez le moins, par un détail qui vous laissera le cœur en pièces. Ils se fichent en vous comme une écharde dans la chair et tout autour la plaie ne cesse plus de s’infecter. »

Pauline Guéna, 18.3 – une année à la PJ, 2020.

Vingt pour cent de crimes non résolus. La statistique est effrayante. Suffisamment pour en faire le terreau d’un polar dans lequel s’engouffre Dominik Moll. S’inspirant des écrits en immersion de Pauline Guéna, il remonte jusqu’à « la nuit du 12 », une nuit noire d’octobre dans la vallée de la Maurienne où fut commis un abominable féminicide, une histoire à rendre fou enquêteurs comme spectateurs. Lire la suite

L’Armée des Ombres

Mauvais souvenirs, soyez pourtant les bienvenus

« Tu peux serrer dans ta main une abeille jusqu’à ce qu’elle étouffe. Elle n’étouffera pas sans t’avoir piqué. C’est peu de chose, dis-tu. Oui, c’est peu de chose. Mais si elle ne te piquait pas, il y a longtemps qu’il n’y aurait plus d’abeilles. »

Jean Paulhan, « l’abeille », Les Cahiers de la Libération, n°3, février 1944.

La France a connu bien des heures sombres. Le cinéma s’en souvient. Alors que les troupes d’Hitler défilent dans Paris, que le Maréchal Pétain accepte les conditions indignes d’un Armistice avec l’ennemi, avant de se voir octroyé les pleins pouvoirs par l’Assemblée Nationale, chez bon nombre de Français, l’espoir s’éteint. Des choix tragiques qui vont pousser certains à faire des choses dégueulasses. « Mauvais souvenirs, soyez pourtant les bienvenus… vous êtes ma jeunesse lointaine. » Cette phrase de Courteline, Jean-Pierre Melville choisit de la placer en exergue de son adaptation de « l’Armée des Ombres », un film immense porté par l’impérieuse nécessité de ne jamais oublier, de ne plus se taire sur la réalité de ce qui s’est fait ou ce qu’on a été contraint de faire. Lire la suite

Le Monde d’Hier

Souvenirs d’un républicain

« Il faut vaincre ses préjugés. Ce que je vous demande là est presque impossible, car il faut vaincre notre histoire. Et pourtant, si on ne la vainc pas, il faut savoir qu’une règle s’imposera, Mesdames et Messieurs : le nationalisme, c’est la guerre ! La guerre, ce n’est pas seulement le passé, cela peut être notre avenir. C’est nous, c’est vous, Mesdames et Messieurs les députés, qui êtes désormais les gardiens de notre paix, de notre sécurité et de cet avenir. »

François Mitterrand, discours au Parlement européen, Strasbourg, 17 janvier 1995.

Moins d’un an après son discours à Strasbourg, après avoir mené son mandat à terme, François Mitterrand succombait du cancer qui le rongeait depuis des années. L’autre maladie qu’il redoutait tant s’est depuis étendue sur l’Europe, une menace bien plus insidieuse, un poison qui contamine les esprits, corrompt la vérité et entrave les libertés. Mitterrand avait senti monter le sentiment nationaliste en Europe, remugle encore vivace provenant des âges sombres de notre Histoire. Le cancer ne lui aura pas laissé le temps de le voir s’inviter au second tour de l’élection présidentielle en 2002, puis prendre ses aises dans les urnes, dans les sondages d’opinion, provoquant en duel la République à chaque nouveau scrutin. Le cinéaste et scénariste Diastème l’a vu, lui. Il en a tiré d’abord un film sur « un Français », premier coup de tête à la démocratie, premier avertissement. Huit ans plus tard, les choses ne semblant pas aller vers le mieux, il tente de nous faire comprendre que « le monde d’hier » décrit par Zweig est peut-être bien celui dans lequel nous vivons aujourd’hui. Lire la suite