Le procès GOLDMAN

Le sens de l’innocence

« Je suis né de l’ombre, je suis né dans l’ombre et mon désir fut longtemps qu’on ne m’arrache pas à l’ombre où je suis. »

Pierre Goldman, Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France, 1975.

Au hasard des allées de pavés encombrées et étroites de la quatrième division du cimetière du Père Lachaise, on peut tomber, tout à fait par hasard, nez à nez avec la sépulture de Pierre Goldman. Une tombe simple, froide, apparemment oubliée, comme il en existe des milliers dans cette vaste nécropole. Et pourtant. Ils étaient dix mille paraît-il à son enterrement. Alors que son petit frère Jean-Jacques n’est pas encore la coqueluche des plateaux de « Champs-Elysées », le nom de Goldman enflamme le monde médiatique à l’occasion d’un premier procès retentissant en 1974, puis lors de sa révision en 1976. Avec l’aide de sa co-scénariste Nathalie Herzberg, et le conseil de deux avocats de l’époque (les maîtres Chouraqui et Kiejman, décédé huit jours avant la première du film à Cannes), le cinéaste Cédric Kahn exhume « le Procès Goldman » car il semble encore avoir beaucoup à dire sur notre époque. Lire la suite

OPPENHEIMER

Tête nucléaire

« On rencontre parmi les scientifiques comme dans tous les ensembles d’hommes rapprochés par les circonstances, des êtres exceptionnels par leur rayonnement, par leur influence directe et en quelque sorte naturelle, des « Olympiens », pour employer un terme à la mode. Robert Oppenheimer était l’un de ces hommes que l’on ne peut oublier. »

Professeur Pierre-Victor Auger dans une lettre publiée dans le Monde du 21 février 1967.

« Savez-vous ce qu’est le projet Manhattan ? » demande l’Indienne Priya au Protagoniste de « Tenet ». Christopher Nolan développe la réponse et entre dans le détail en consacrant un film entier au personnage de « Oppenheimer », génie prométhéen des lettres et des sciences qui présida à l’élaboration de l’arme la plus meurtrière et destructrice que l’être humain ait jamais conçue. Pour la première fois, le cinéaste britannique quitte les marges de la fiction pour entrer de plain-pied dans la science, pour pénétrer la vie d’un personnage qui a marqué son temps. C’est aussi l’occasion de mettre le doigt sur l’instant où le monde a basculé. Lire la suite

BURNING DAYS

Les dolines de la terreur

« Ça suffit ! La parole est au peuple ! »

Slogan de campagne du Parti Démocrate turc, 1950.

La terre a soif, les jours sont secs. En turc on dit « Kurak Günler ». Dans la province de Konya, une des régions les plus arides du cœur de l’Anatolie, on observe ici et là des phénomènes troublants et inquiétants : le sol soudain s’effondre pour laisser place à un trou béant de plusieurs mètres de diamètre. C’est là que le réalisateur turc Emin Alper a choisi de planter la ville fictive de Yaniklar, bourgade de province asséchée par la corruption. Bientôt sur le grill des élections municipales, les « Burning Days » la font entrer dans une nuit sans fond. Lire la suite

Le Monde d’Hier

Souvenirs d’un républicain

« Il faut vaincre ses préjugés. Ce que je vous demande là est presque impossible, car il faut vaincre notre histoire. Et pourtant, si on ne la vainc pas, il faut savoir qu’une règle s’imposera, Mesdames et Messieurs : le nationalisme, c’est la guerre ! La guerre, ce n’est pas seulement le passé, cela peut être notre avenir. C’est nous, c’est vous, Mesdames et Messieurs les députés, qui êtes désormais les gardiens de notre paix, de notre sécurité et de cet avenir. »

François Mitterrand, discours au Parlement européen, Strasbourg, 17 janvier 1995.

Moins d’un an après son discours à Strasbourg, après avoir mené son mandat à terme, François Mitterrand succombait du cancer qui le rongeait depuis des années. L’autre maladie qu’il redoutait tant s’est depuis étendue sur l’Europe, une menace bien plus insidieuse, un poison qui contamine les esprits, corrompt la vérité et entrave les libertés. Mitterrand avait senti monter le sentiment nationaliste en Europe, remugle encore vivace provenant des âges sombres de notre Histoire. Le cancer ne lui aura pas laissé le temps de le voir s’inviter au second tour de l’élection présidentielle en 2002, puis prendre ses aises dans les urnes, dans les sondages d’opinion, provoquant en duel la République à chaque nouveau scrutin. Le cinéaste et scénariste Diastème l’a vu, lui. Il en a tiré d’abord un film sur « un Français », premier coup de tête à la démocratie, premier avertissement. Huit ans plus tard, les choses ne semblant pas aller vers le mieux, il tente de nous faire comprendre que « le monde d’hier » décrit par Zweig est peut-être bien celui dans lequel nous vivons aujourd’hui. Lire la suite

La RUPTURE

Au revoir

« La postérité ne retiendra rien de moi, nos sociétés sont sans mémoire. Mais je l’accepte sans difficulté. »

Valéry Giscard-d’Estaing in « VGE, le théâtre du pouvoir » de William Karel, 2002.

L’année où l’on célèbre De Gaulle, le troisième président de la Vème République expire son dernier « au revoir ». On ne compte plus les films ou les téléfilms qui se sont penchés sur les heures glorieuses du général micro. Bien moins héroïque, le septennat de VGE est le grand oublié de la fiction, jusqu’à ce que Laurent Heynemann ne revienne sur ces années où Giscard était à la barre, sur cette « Rupture » désormais historique entre un président et son Premier Ministre. Lire la suite

Da 5 Bloods

De l’or pour les braves

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« Le vrai pouvoir de Chadwick Boseman était supérieur à tout ce que nous avons vu à l’écran. De Black Panther à Jackie Robinson, il a inspiré plusieurs générations et leur a montré qu’on pouvait être tout ce que l’on désire – même des super-héros. »

Joe Biden

Il est parti sans prévenir, brutalement. Il s’est retiré, sans bruit, tel une « panthère noire » rejoignant l’ombre de la brousse, à tout jamais, laissant la place à la légende. Il avait incarné les plus grands : Jackie Robinson, James Brown, le juge Marshall, avant de devenir, aux yeux du plus grand nombre, le puissant roi du Wakanda, champion d’une Afrique triomphante dans l’univers de la Marvel. Chadwick Boseman est déjà mort dans « Da 5 bloods », un soldat tombé pour le drapeau, un des innombrables martyrs du Vietnam dont le fantôme habite les meilleurs moments de ce film que Spike Lee a réservé aux abonnés de Netflix.

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Pink Floyd THE WALL

Goodbye, cruel world

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« Pour être honnête, je n’aurais jamais dû faire « Pink Floyd The Wall ». C’est une étrange accumulation de circonstances qui m’a conduit à endosser cette responsabilité. Ce n’est pas que je suis honteux ou déçu du résultat. Au contraire, j’en suis très fier. Mais la fabrication du film a été un exercice si misérable que je ne retire aucun plaisir à m’en souvenir. »

Alan Parker, Mojo Magazine, 2010.

Dans les années 80, si un réalisateur anglais devait sortir du lot, c’était bien Alan Parker. Associé à la clique des clinquants venus du clip, sa manière d’esthétiser le drame avait su toucher le plus large des publics avec des sujets parfois brûlants : le racisme aux Etats-Unis, le traumatisme du Vietnam, les déboires d’un fumeur de haschich dans les geôles d’Istanbul, une dénonciation de la peine de mort…. La guerre, l’enfance, la folie, l’amour, tout semblait déjà cristallisé dans une œuvre fleuve né d’album phare, un film concept en forme de trip rock : « The Wall ». Lire la suite

BACURAU

La vengeance du Sertão à plumes

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« Le dernier texaco vient de fermer ses portes
Y a guère que les moustiques pour m’aimer de la sorte
Leurs baisers sanglants m’empêchent de dormir
Bien fait pour ma gueule ! J’aurais pas dû venir »

Bernard Lavilliers, Sertão in « O Gringo », 1980

« Les minorités doivent se plier aux majorités : elles s’adaptent ou elles disparaissent. »

Jaïr Bolsonaro

Au Nord, c’était le Sertão. Terre aride pleine de rage, zone ingrate et épineuse, depuis toujours foyer du Cangaço. Dans un Brésil d’anticipation, Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles y plantent « Bacurau », bourgade imaginaire sise dans une vallée asséchée, absente des cartes, un oiseau rare, ultime destination pour ceux qui croient encore aux idéaux libertaires cultivés en permaculture. La route qui mène à Bacurau est bordée d’une lande brûlée par le soleil, désertique et inhospitalière, au premier abord. « Si tu viens, vas en paix » dit l’écriteau qui en indique la direction, comme si, passé la frontière, aucun retour possible, destination cercueil. La mort a frappé en effet à Bacurau, elle frappera encore.

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Fahrenheit 9/11

… Et tu retourneras à la poussière.

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« Débris de gens du monde entier. United Colors of Babel. »

Frédéric Beigbeder, Windows on the World, 2003

C’était aussi un mardi. « 8h30. Le ciel est bleu mais personne n’en profite. » écrit encore Beigbeder. Et pour cause. Un point d’incandescence s’illumine sur la planète en cette année « 2001 » si redoutée par Herbert et Kubrick. L’anticipation rejoint la réalité lorsque deux avions de ligne détournés par des terroristes percutent les tours du World Trade Center. L’évènement inaugurait « l’ère la plus dangereuse que le monde ait connu » (selon les termes du grand prédicant Rumsfeld). Un nouveau siècle débute, placé sous le signe de la grande menace, l’avènement d’un Big Brother orwellien baptisé « Patriot act ». Mais c’est à un autre grand nom de la science-fiction, la plume éminente et éclairée de Ray Bradbury, que Michael Moore a choisi de porter la température de son fracassant documentaire « Fahrenheit 9/11 ». Lire la suite

BLACKkKLANSMAN

General Lee

blackkklansman

« Cela dit, l’avenir n’est pas très brillant. Il y a de plus en plus de répression et de brutalités à l’égard des Noirs. Le Klu Klux Klan se réorganise, assassine des gens, gagne des élections, fait élire ses membres, sans que les deux grands partis fassent quoi que ce soit pour l’arrêter. »

Larry Clark, propos recueillis par Jeanine Euvrard, in Cinema Action : le cinéma Noir américain, 1988.

On croirait à un gag. Et pourtant l’histoire de Ron Stallworth, le flic Noir qui a infiltré le Klu Klux Klan, est authentique. Spike Lee ne manque pas de le rappeler avec insistance après que ce soient inscrites en lettres majuscules le titre de son adaptation du « Blackkklansman ». Back to the seventies, cols pelle à tarte et coupe afro pour un revival grinçant qui vire au brulot politique directement adressé à ce Public Enemy qui a mis la main sur le bureau ovale. Lire la suite