La petite VADROUILLE

Esprit canal

« Il faut avoir le courage dans la vie de quitter sa péniche, sinon on vogue au fil de l’eau en se faisant du cinoche et on crève sans être allé ailleurs qu’au cinoche. »

René Fallet, L’amour baroque, 1971.

« Tiens bon la vague » ou « tiens bon la barre » ? On a vite fait de s’embrouiller dans les paroles de cet hymne d’Hugues Auffray qui a pourtant, et plus d’une fois, été entonné à tue-tête. En 2001, Bruno Podalydès s’était contenté d’une petite traversée quelque peu mouvementée sur le « Liberté-Oléron ». Puis il avait troqué la voile quatorze années plus tard contre la pagaie d’un kayak qui glissait « Comme un Avion » sur les rivières du Gâtinais. Il a ferré cette fois un plus gros poisson, et sait qu’il lui faudra alors un plus gros bateau. Hissez haut, le voici reparti sur les eaux placides, non pas vers « Santiano » mais pour « la Petite Vadrouille », une odyssée en eaux calmes pour une ode à la joie et onde à l’amour.

Dans « la Belle Equipe », film de Julien Duvivier sur lequel planait l’ombre de Jean Renoir, une bande de copains sans le sou décidait de monter une guinguette sur la Marne pour se refaire la cerise et boire du petit vin blanc sous les tonnelles. Quand on s’promène au bord de l’eau, on finit par tomber sur cette « Petite Vadrouille » dont le titre s’inscrit dans le sillage de Gérard Oury, place son rire sous l’égide de l’amiral de Funès, mais cultive aussi un lointain cousinage avec le Duvivier : une même histoire de bande, des amis qui se doivent mutuellement de l’argent, un bar à chants (comme d’autres ouvrent des bars à chats) où on peut commander un demi comme si on vivait dans un film de Demy, un plan pour empocher un petit pactole et se remettre à flot. Objectif : faire cracher un richard qui a des vues sur la compagne de l’un d’entre eux.

Bruno Podalydès se réclame plus ouvertement de Lubitsch et de son « To be or not to be », son goût de l’arnaque et du postiche, ses mouvements de troupe – souvenir nostalgique de son année militaire au Service Cinématographique des Armées ? Ce qui est sûr, c’est qu’il porte impeccablement l’uniforme, aime parler dans le micro, et entend bien se faire appeler « capitaine » par ses camarades de bord. Marin d’eau douce assumé, il débute comme un Haddock de pédalo avant de se voir confié une « Pénichette » de plus grande envergure. Pas question d’emporter son navire dans une terrible jungle, Podalydès se rêve moins Fitzacarraldo d’opérette qu’herbe folle poussant sur le terreau du malicieux Resnais. Cela ne l’empêche nullement de rester à la Bach, se pavanant sur une infante défunte ou glissant majestueusement sur les flots du « Beau Danube bleu ».

Sa troupe habituelle fait office d’équipage de fortune : Isabelle Candelier (en Castafiore d’opérette), Jean-Noël Brouté (guitariste à peu près), Sandra Muller (une Rosine aux airs de Bécassine), sans oublier l’indispensable frère Denis en cruise promoteur indépendant, quelques rejetons de la famille qui voguent par-ci par-là, et une désormais indispensable Sandrine Kiberlain dans un rôle pas très éloigné de la cadre stressée des « Deux Alfred ». Podalydès s’est dégotté en sus un mousse qu’il a nommé Ifus, sorte de jeune chien fou peut-être sauvé des eaux, mais prêt à se remettre au jus pour attraper une corde. Tout ce beau monde est réuni pour accueillir un hôte de marque, un acteur de classe, panama sur la tête et havane qu’il tutte à sec : Daniel Auteuil. Parfaitement à l’aise dans son pyjama de soie, sanglé dans son blaser d’entrepreneur au portefeuille blindé, tout en politesse condescendante et sourire de requin, il se laisse balader dans cette douce escroquerie avec une idée derrière la tête : coincer entre deux biefs celle qui lui a concocté cette croisière à « quatorze mille boules ».

Déjà dans « Comme un Avion » flottait ce même désir de déconnexion, une pareille envie d’escapade qui opte cette fois pour les détours d’un week-end coquin sur un rythme indolent (pas plus de cinq nœuds comme le sait tout amateur de navigation fluviale ou grand connaisseur de « l’Homme du Picardie »). Un doux parfum de vaudeville se mêle au burlesque de ce petit théâtre flottant (Jacques Tati n’est jamais très loin du port) qui traverse les paysages du Nivernais, sous l’œil placide des vaches et des canards du voisinage qui font office de spectateurs. Le réalisateur a comme toujours son enfance dans le rétro, cette passion de garnement pour les vieux coups pendables, les comédies de remariage, la drague désuète et les apartés cocasses (« Elle est nerveuse cette cigale ! »). Chaque écluse fait l’objet d’une saynète croquignolesque, de petits gags désuets, « des trucs d’une grande naïveté et qui passent parce que ce gars, Bruno, est un poète » dit justement Daniel Auteuil.

Cette vieille garde un poil nombriliste accoste sur la rive gauche, se laisse doubler par une jeune génération qui file toutes voiles dehors vers le monde demain. A la légèreté de ses pieds nickelés, Podalydes ajoute un groupe de jeunes conscients de la gravité ambiante, des déçus de la société dont ils ont écopé. Ces pacifistes utopistes voudraient vivre de nonchalance et d’eau fraîche. Eux, dont l’avenir est suspendu au-dessus de l’eau sont en quête d’autres horizons, semblent détachés du monde matériel, aspirent à un épilogue heureux. « Continuer sans accepter », le slogan s’inspire des formules qui s’affichent à chaque nouvelle page internet. Podalydès nous ouvre à d’autres formes de navigation, plus cool, de celles qui vous font larguer les amarres. De bief en bief, on prend plaisir à se laisser couler, tranquillement mais gaiement, au gré de cette croisière amusante et hypnautique, éloge de la lenteur et de la préciosité du baise-main. « La Petite Vadrouille » a dans ses compartiments ce qu’il faut de désopilance et de bonne humeur pour nous embarquer loin de la furie du monde.

28 réflexions sur “La petite VADROUILLE

  1. Ce que je vois actuellement est si bruyant ou perturbant que tu me donnerais presque envie de REvoir ce grand petit film doux et charmant.

    Comme toi j’ai embarqué et me suis laissé cueillir au fil de l’eau calme. Ce film a clairement le petit truc en plus que d’autres n’ont absolument pas… Comment être drôle sans être vulgaire, naïf sans être niais. Podalydes, très élégant dans son costume de capitaine tu as raison, a la réponse et le secret. Il est tellement drôle, inénarrable derrière son micro, touchant dans ses sentiments. Et sa petite troupe rivalise de talent, de fraîcheur et de drôlerie.

    Les dialogues sont un régal. C’est pour moi le meilleur Podalydes qui ne m’avait pas toujours convaincue. Et mieux que le meilleur Podalydes, un film très beau en lui-même (malgré l’avalanche de références que tu cites) et que les médecins devraient glisser en fin d’ordonnance.

    Et la scène de la balançoire est une merveille de beauté.

    Guiguette sur la Marne

    comme Haddock de pédalo

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    • Je le reverrai assurément avec un grand plaisir (d’ailleurs il m’a donné envie de retourner pagayer vers « comme un avion »).

      Le coup de la balançoire (un rappel d’une « Partie de Campagne » de Renoir ?) est d’une élégance et d’une poésie étonnantes. Ce film regorge d’autres petites touches du genre (la poubelle qui galope, la main qui pince les billets, le canapé en manche à air) qui auraient ravi Tati. Mais il y a aussi ce coup de vent un peu plus grave, cette jeunesse qui met les voiles vers l’inconnu et le temps des possibles, tandis que nos vieux poursuivent leur chemin sur leur canal paisible.

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  2. Un film délicieux en effet. Je te rejoins tout à fait sur la filiation du film avec la belle équipe de Duvivier et certains Renoir, sur un mode mineur. Bruno Podalydès propose comme je l’ai écrit chez moi, une douce utopie sociale et politique, une utopie fluviale qui fait du bien en ces temps de roulement de tambour.

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    • L’heure est grave, et pourtant le temps semble glisser sur l’eau de ces facéties signées Podalydès. Comme tu l’écris, pas totalement détaché de notre réel, mais le réalisateur choisit le parti du rire, et c’est tan mieux.

      Son charme suranné fait un bien fou, Entre Oury et Tati, au fil de l’eau comme chez Renoir tout en suivant la ligne Clair, celle de René comme celle d’Hergé.

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    • Cette histoire d’arnaque bancale est un régal, vraiment. Bien sûr, on est loin d’un rythme « Furiosa », mais apparemment, à en croire la tendance des entrées, le public en ce moment a besoin de ralentir plutôt que de foncer vers l’apocalypse. Un bol d’air et de rire utile, avant une sortie de scène qui pourrait bien nous rendre moroses.

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  3. Une croisière certe « délicieuse », avec des moments de grâces mais aussi un surréalisme naïf qui ne reste un peu « faineant » dans ses idées de rebondissements. De surcroît un Auteuil peu crédible en patron à la naïveté surjouée. C’est plaisant sans plus

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    • Plutôt que « fainéant », je dirais « cool » (terme que j’utilise dans mon texte), sorte de signature d’un Bruno Podalydès se laissant aller à de plus en plus de décontraction au fil des ans. J’ai souvenir de son personnage d’entrepreneur en pompe funèbre ayant nommé sa boîte « Obsè’cool ». J’aime ce genre de poésie naïve et légère.

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