SNOW THERAPY

Vertige de l’amour

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« J’ai été pris dans l’avalanche, J’y ai perdu mon âme. Quand je ne suis plus ce monstre qui te fascine, Je vis sous l’or des collines. Toi qui veux vaincre la douleur, Tu dois apprendre, apprendre à me servir. »

Leonard Cohen, Avalanche, 1970 (traduction Jean-Louis Murat, 1991)

Le mal aigu des montagnes est un syndrome bien connu des spécialistes. Il se manifeste de différentes manières chez les individus concernés : maux de tête, nausées, insomnies, grosse fatigue. Ce sont toutefois d’autres symptômes qui apparaissent au sein du noyau familial qui s’offre une « Snow Therapy » sous le regard du metteur en scène suédois Ruben Östlund. Pas de bronzés à l’horizon des larges pistes impeccablement damées du « Paradiski » où il a donné rendez-vous à Tomas, Ebba et leurs enfants Vera et Harry.

Ici, on ne se bouscule pas à l’arrivée du tire-fesse, dans l’habitacle des télécabines ou autour d’une fondue savoyarde. La petite famille descendue du Nord va pouvoir jouir d’un séjour zen en altitude, des bienfaits de la haute montagne dans un hôtel de luxe, et d’un domaine skiable particulièrement confortable. La perspective de se laisser glisser à flanc de montagne sur le doux tapis immaculé est la promesse d’un moment de détente bien mérité, de retrouvailles heureuses qu’on immortalise dès le premier jour au sommet par l’entremise d’un photographe insistant qui ne voudrait pas rater l’occasion de faire de cette échantillon touristique un cliché. Mais ce qu’il cadre en réalité est une image qui ment, et qui va bien vite éclater en morceaux sous les coups de boutoir d’un réalisateur habitué à prendre ses concitoyens en faute. La petite vie de couple avec enfants aurait en effet pu suivre son cours sans heurt si Östlund n’avait pas fomenté un évènement destiné à entamer la cohésion apparente de ce joli petit monde. « C’est inspiré d’un couple d’amis en Colombie qui ont été victimes d’une attaque dans un magasin. Elle a plongé dans les cabines d’essayage, lui a couru se cacher derrière le comptoir donc elle était plus exposée que lui. Heureusement ils n’ont rien eu. Sur le chemin du retour à leur hôtel, ils en ont parlé. Elle lui a dit « Tu t’es enfui loin de moi ». Lui demandait « Qu’est-ce que tu attendais de moi ? Que je sois un super héros ? ». Et depuis, à chaque fois qu’elle buvait trop, elle ramenait sans cesse cette histoire sur la table comme si un manque de confiance s’était installé entre eux. » explique-t-il à Matthieu Payan du site Abus de Ciné.

Même si l’époque y est propice, pas question de mêler ses personnages à un attentat, Östlund préférant s’en remettre à un phénomène naturel, un « act of god » comme disent les anglo-saxons, qui se traduit d’ailleurs curieusement à travers le titre francophone choisi pour l’étranger par le terme de « Force Majeure ». Ayant fait ses armes cinématographiques en réalisant plusieurs films de glisse, le Suédois évolue sur des pentes qu’il connaît sur le bout des skis. Il sait combien la splendeur souveraine des montagnes peut être source de drames et d’angoisses insidieuses, capable de faire surgir des monstres de ses parois enneigées. Ce grand hôtel d’altitude, plutôt luxueux, avec ses couloirs moquettés, son restaurant cosy, ses sanitaires aseptisés devraient sembler nous accueillir à bras ouverts, mais Östlund prend bien soin de filmer les intérieurs sous un angle carcéral, parfois sous le regard d’un rôdeur bien curieux, sans compter les cloisons poreuses interdisant toute véritable intimité. Pas de sorcière dans la baignoire de la chambre 237 mais lorsque l’on voit ce couple dans le grand miroir de la salle de bain, rendu muet par le bourdonnement des brosses à dents électriques (encore un de ces gadgets tue-l’amour), on sent que les choses ne tournent plus très rond entre eux.

De dîners embarrassants en confessions gênantes en compagnie d’amis de passage, Östlund s’amuse à fissurer la coque de cette cellule familiale modèle, jusqu’à atteindre une situation explosive dont l’écho se fait entendre dans toute la vallée à la tombée de la nuit, lors du déclenchement d’avalanches contrôlées. « C’est à la fois spectaculaire et dramatique, et je crois bien que c’est mon phénomène naturel préféré » dit-il encore, cette fois sur le site Film de Culte. En cas de péril, un vieil adage veut que l’on mette à l’abri en priorité les plus vulnérables. Mais Tomas (qu’on a connu plus flegmatique en Hubot chez les fameux « Real Humans ») est soudain pris de panique devant le monstre de poudreuse qui grossit à mesure qu’il se rapproche. A ce moment critique où l’on pense voir venir sa fin, c’est plutôt « ma femme et mes enfants après » qui dicte la conduit du père de famille, un comportement dont les conséquences douloureuses vont se faire sentir dès les premiers instants qui suivent, une fois le danger écarté.

La lâcheté et le déni du mâle dominant vont alors faire s’écrouler, aux yeux de sa moitié et de sa progéniture l’image du père protecteur, comme si un pan du bel édifice familial qu’ils s’étaient bâtis ensemble s’était soudainement écroulé en même temps que cette avalanche. La gravité ayant force de loi, en particulier à cette altitude, elle vient alors peser dans l’atmosphère générale de l’hôtel, devenant presque suffocante pour tout le monde. Il sera alors difficile, en quelques jours passés en leur compagnie, de recoller les fragments de la confiance pulvérisée dans la poudreuse, de rendre sa dignité à ce père devenu aux yeux de ses proches et des spectateurs, un abominable homme des neiges.

Son portrait acide du père défaillant aura vite fait de taxer Ruben Östlund de perfide misanthrope, accusation dont il se défend bien vite en retournant le problème de la manière suivante : « Si vous n’arrivez pas à avoir de l’empathie pour Tomas, c’est votre problème, pas le mien. » Comme le note très justement Pascal Binétruy dans un article de la revue Positif, Ruben Östlund « a horreur du mensonge romantique auquel il oppose la vérité animale des comportementalistes », quitte à froisser et à créer un malaise chez le spectateur par identification. Le réalisateur s’est trouvé un point de vue qui dérange, mais qui interpelle également. Couronné du Prix du Jury en 2014 dans la sélection « Un Certain Regard », « Snow Therapy » faisait déjà la preuve d’un cinéaste en pleine ascension, une marche significative qui n’allait pas tarder à le conduire vers d’autres éminences.

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10 réflexions sur “SNOW THERAPY

    • Ce qui se passe entre les membres de la famille n’est pas très rigolo non plus au bout d’un moment. Östlund a le chic pour filmer ces moments de gênes qui nous crispent.

      Je vais aller farfouiller dans tes archives pour retrouver trace de ton écrit.

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  1. Ce qu’il cadre est en réalité est…

    J’ai beaucoup aimé ce film.
    Je suis persuadée que mon homme se serait jeté sur moi. Personne ne le saura mais c’est bon d’en être sûre…
    Moi j’ai eu de l’empathie pour Thomas pas parce qu’il est blond et qu’il prend des douches (quoique ça peut aider) mais parce que, même s’il est en partie responsable de leur éducation, ses deux moutards donnent vraiment envie de foutre le camp en sens inverse… Je me souviens de leurs hurlements permanents et de ce moment surréaliste où ils somment leurs parents de quitter la chambre/appartement… Et les 2 blonds s’exécutent !!!
    Je ne me souviens plus du tout de la blonde.
    Par contre très bien de cet hôtel de luxe qui ressemble effectivement à une prison. Hyper flippant. Bien vu.

    J’avais aussi beaucoup apprécié le retour en bus 🙂

    Je n’ai jamais skié et je ne skierai jamais. La montagne me laisse un peu de glace ah ah ah. Mais ces avalanches provoquées sont impressionnantes.

    Je m’aperçois en lisant cette nouvelle analyse au scalpel que je ne sais pas toujours si tu as aimé ou pas un film. Simplement aimé ou pas.

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    • Rien n’échappe à ton œil de lynx 😉

      Bien vu aussi ce film d’Östlund récent lauréat de la Palme d’Or.

      Je ne skie pas plus que toi mais j’avoue aimer la montagne (plutôt l’été du coup). Elle est à la fois apaisante et écrasante, à l’image de ce qui se dégage de ce film. J’ai adoré l’idée des explosions nocturnes, comme une sorte de bombardement qui vient secouer la pax familia, symbole de cet orage qui qui bouleverse la tranquillité apparente. J’étais comme toi atterré par la réaction des parents face aux deux gosses qui les tyrannisent (et ils se marrent en plus après !) ça doit être un truc de scandinave, on ne peut pas comprendre.

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  2. Il faudrait que je le revoie. En fait j’avais été sensible à la démarche du réalisateur, il est certain qu’il a un talent pour la mise en scène. Je suis moins convaincue par sa manière de raconter l’histoire qui ne m’a pas passionnée. Néanmoins, j’ai très envie de découvrir son prochain film…

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  3. Bonjour princecranoir, j’avoue que mon esprit a pas mal vagabondé quand je suis allée voir le film qui m’a un peu ennuyée pour pas dire plus. Et pourtant les critiques sont bonnes mais je n’ai pas accroché. Bonne après-midi.

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