Fureur Appalaches
« Are you ready for the country ? » chantait Neil Young dans une de ses célèbres ballades. Scott Cooper connaît bien la musique puisqu’il fit sensation avec un premier film portant sur la biographie d’un chanteur folk inspiré de la vie de Merle Haggard. Pour son deuxième film, Scott Cooper ne quitte pas la campagne mais la joue plus industrielle, plus crasseuse et plus brutale. Figurant déjà pour certains critiques dans le top des films de cette année, « Les brasiers de la colère » peut se vanter d’être né sous une sacrée constellation d’étoiles puisqu’il réunit une brochette d’acteurs à faire pâlir d’envie bien des pontes hollywoodiens.
A la production d’abord, on trouve par exemple Ridley Scott qui fut un temps attaché à la réalisation du script et Leonardo DiCaprio pressenti pour être tête d’affiche. Le film remis entre les mains de Cooper, la liste des invités de marque s’allonge côté acteurs avec Forest Whitaker, Casey Affleck (qui remportera un prix pour son rôle dans le film), Willem Dafoe, Woody Harrelson, l’immense Sam Shepard, Zoë Saldana et pour couronner le tout, le protéiforme Christian Bale qui récupère finalement le rôle principal. Il se trouve que le Russ Baze qu’il interprète lui va comme un gant. On a déjà vu l’acteur se muscler pour quelques croisades nocturnes (les trois « Batman » de Nolan), devenir maigre comme un clou pour se retrouver prisonnier des Viets (le méconnu « Rescue Dawn » de Werner Herzog), et se rendre presque méconnaissable en junkie émacié dans « the fighter » de David O’Russell. Dans le même ordre d’idée, on le découvre ici profil bas, cheveux long et gras, petite barbichette et peau largement tatouée dans un rôle d’ouvrier métallo trimant dur pour gagner son pain dans la petite ville sinistrée de Braddock, Pennsylvanie.
Cooper nous souhaite la bienvenue chez les prolos, où l’on grandit à l’ombre des cheminées de l’aciérie, face à deux horizons possibles : le crime ou le « mill ». Si la voie de la sagesse a conduit Russ Baze sur les pas de son paternel du côté des soudeurs, son frangin Rodney interprété par Affleck se sent plutôt attiré par son côté soudard. Les neurones cramés dans les sables irakiens sous l’uniforme US, il paye désormais une dette éternelle en jouant des poings pour le bonheur de quelques parieurs dans des combats clandestins aux pieds des fourneaux éteints. Evidemment, la confrontation avec des crétins des Appalaches manquant cruellement de cordialité ne va pas arranger les affaires du vétéran qui n’a pas fini de voyager au bout de l’enfer. La guerre d’Irak qui s’achève dans le lointain avec l’émergence du candidat Obama, une chasse au cerf, les combats hors-la-loi qui se jouent comme des parties de roulette russe, comment ne pas penser à Cimino en goûtant sur l’écran à cette tranche d’Americana ?
Et pourtant, sous l’épiderme social qui recouvre le scénario de Brad Ingelsby rechapé par les bons soins de Cooper, il manque un petit quelque chose qui ferait hérisser le poil, qui mettrait le spectateur en empathie avec les personnages. Ce n’est pas faute de voir tous les acteurs se livrer corps et âme à leur personnage. Le réalisateur étant lui-même sorti de la fameuse école strasbergienne, il invite ses acteurs à faire offrande d’un bon morceau chair et quelques lambeaux d’esprit à la gourmandise de sa caméra. On retrouvera ainsi la jolie Saldana souvent au bord des larmes, le discret Shepard en parfait taiseux inquiet, Affleck en freluquet à fleur de peau et le patibulaire Harrelson redevenu un tueur né vraiment effrayant. Au centre du récit Bale joue le brave gars à qui on voudrait tendre la main. Mais à trop vouloir l’affliger de toutes les peines du monde, portant le fardeau d’une condition sociale que l’on jurerait vouée au malheur, on finit par ne plus y croire vraiment. Il est d’autant plus difficile d’intégrer le récit dans l’univers réaliste dont il se réclame en voyant défiler toutes ces têtes connues réclamant leur part d’exposition à l’écran. Cooper, dans ses interviews, se réclame du cinéma d’auteur français, allant de Truffaut à Cantet. On le sent friand de peinture écaillée, de mobil homes délabrés, de friches industrielles, porté par l’envie d’ancrer ses personnages dans un contexte économique durement frappé par la Crise. On le voit chercher des pistes visuelles pour mieux explorer ce coin de l’Amérique de l’intérieur, comme le feraient un Jeff Nichols sur les rives du Mississippi ou une Debra Granik dans les monts Ozark. Mais trop englué dans le pathos, enivré d’une bande-son ad hoc signée d’un ancien Tindersticks et feulée par la voix roots d’Eddie Vedder, il se laisse étourdir par son sujet, par le prestige de ses acteurs et l’envie de leur servir de tremplin à Oscars.
La seconde partie du film qui passe du plan social au pur revenge movie donne lieu à la fameuse « étude de la nature de la violence » revendiquée par le réalisateur. Elle embraye en tous cas sur une partie de chasse un peu plus enthousiasmante, même si elle retient parfois ses coups (l’utilisation quasi-systématique du hors-champ) et s’accompagne de quelque lourdeur stylistique (l’usage répété du montage parallèle). Mais le plus dommageable reste que Cooper semble hésiter sur la sanction finale. Il se rend coupable d’un ultime plan « moral » qui vient embrumer son propos, affaiblissant encore davantage une structure dramatique bancale. A la poursuite de l’« Indian runner » de Sean Penn, Cooper abandonne ainsi l’idée d’accomplir son chef d’œuvre, limitant « out of the furnace » à la performance de ses grands acteurs, ce qui néanmoins constitue la principale source de chaleur de ce film.
Le film est édité en DVD depuis le 15 juin 2014 chez Metropolitan Filmexport
Bonjour Cher PrinceCranoir!
Je viens te consulter à propos de cinéma et de la part de Stéphane qui publie récemment des billets/articles autour des sorties cinémas.
Je luis demandais conseil à propos de films noirs; policiers, thrillers, drames, etc. qu’il aurait pu me citer pour les visionner.
Il m’a conseillé de venir plutôt vers toi, pour cette veine là…..
Alors me voilà!
Henri
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Bonjour Henri,
Ce n’est donc pas le Brasier de la Colère qui t’amène, me voilà un peu rassuré.
Vaste sujet que celui du Film Noir dont l’origine est officialisée autour de 1940. Je me vois donc contraint de balayer 80 ans de cinémas pour t’orienter vers une dizaine d’incontournables qui brillent d’un éclat Noir et Blanc :
Quand la ville dort de J. Huston
En quatrième vitesse de R. Aldrich
L’inconnu du Nord Express d’A. Hitchcock
L’enfer est à lui de Raoul Walsh
Règlement de Compte de Fritz Lang
On passe à la couleur :
Mulholland drive de David Lynch
Sang pour sang des frères Coen
Le point de Non retour de J. Boorman
Taxi driver de Martin Scorsese
L’impasse de Brian de Palma
Voilà je pense de quoi occuper quelques heures de visionnage.
Bons films.
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Un grand merci, Super!
C’est dans la boite!
Effectivement je n’en n’ai vu que trois de cette liste, c’est bon, je te dis en gros à l’année prochaine pour une tournée suivante!!!
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Je viens de voir un beau Stephen Frears Point limite. Fall Safe, hypnotique…!
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Pas vu. Je note.
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Je ne connais que la version loufoque de ce roman tournée par Kubrick sous le titre « Doctor Strangelove » 😉
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très bon, come beaucoup de Stephen Frears…
Mais dis-moi, en matière de cinéma, quels sont les plus grands films, de ton point de vue, qui t’aient marqué….
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Difficile question. Il y en a beaucoup.
Récemment, j’ai publié un texte sur le Nosferatu de Murnau. C’est un film qui m’a marqué très jeune.
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J’en ai vu un de terrible récemment, avec Kinski je crois….
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Mais ce Nosferatu avec Kinski est de Herzog, je vois, ce couple magique acteur-réalisateur.., d’une époque… Avec un Kinski buveur d’âmes et de corps pleinement dans son rôle….
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Cette version m’avait marqué également : la froideur de l’image, les décors naturels qui ne sont que l’écho de l’œuvre de Murnau plus naturaliste qu’expressionniste.
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Bonjour, voilà, j’ai commencé à réserver les premières toutes dont tu m’as parlé, merci encore,
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Hello!
Meilleurs voeux artistiques, poétiques, charnels, spirituels et culturels pour commencer, à base de bonne santé épitoussa!
Encore merci, j’ai engagé les visionnement et en suis ravi…..
Si tu as pour du thriller contemporain, je suis aussi à l’écoute de partages….
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Bonne année 😀
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