Le LIVRE des SOLUTIONS

De la suite dans les idées

« Ne cours pas après la poésie. Elle pénètre toute seule par les jointures. »

Robert Bresson, Notes sur le cinématographe, 1975.

Un point, une ligne, une flèche, une vague forme naît de cet assemblage, comme un schéma, une signature, une direction à suivre. Il revient au spectateur d’interpréter la signification de certaines idées sorties du « Livre des Solutions » signé Michel Gondry, comme il appartient à « chacun tout le monde » d’entrer dans la douce névrose fantaisiste de ce qui est sans doute la fiction la plus personnelle qu’il ait jamais portée à l’écran.

Apparemment, les fils se touchent dans le cerveau du réalisateur. C’est particulièrement criant depuis la sortie de « L’écume des jours » qui lui a totalement vrillé le cerveau. Gros échec au box-office français pour celui qui se fit un nom dans le clip chez les anglo-saxons, travaillant pour les White Stripes, Beck, Paul McCartney et les Rolling Stones, et surtout Björk dont les récits emboîtés de « Bachelorette » ne peuvent laisser personne indifférent. « Un jour, j’ai découvert un gros livre profondément enterré dans le sol. Quand je l’ai ouvert, ses pages étaient blanches. Mais alors, à ma grande surprise, il commença à s’écrire lui-même », par ces mots débutaient le clip réalisé pour la fée islandaise, et pourraient bien s’acoquiner avec ceux qui noircissent les pages du « Livre des Solutions » que Marc, alter-ego du réalisateur, retrouve au fond d’un tiroir chez sa vieille tante.

Il y a dans le film quelque chose qui rappelle la même mise en abîme autobiographique d’un artiste se livrant autant devant que derrière la caméra. « Le Livre des Solutions », qui semble s’écrire à mesure que les idées se bousculent dans la tête de son auteur, progresse au fil d’un imaginaire en roue libre, tantôt génial, tantôt débile, dont les péripéties se rafistolent au marabout de ficelle, allant de synecdoques en mots valises (l’idée magnifiquement farfelue du « camiontage ») vers des envies de palindromes tout en laissant la porte ouverte à Max le Renard qui ouvre un salon de coiffure. « Le Livre des Solutions » est un énoncé de principes, un précis sur la science des films, mais il n’a rien de théorique. Il a tout d’une carapate au contraire, d’une figure libre, d’un rapt de d’œuvre d’art commis à la barbe de ses producteurs.

Paradoxalement, cette œuvre que le personnage principal tient à préserver de toute atteinte extérieure, est l’objet d’une phobie, un repoussoir que pourtant il chérit. Ce film dans le film apparaît en effet comme le réceptacle de ses névroses, assez sinistre, un bricolage expérimental très ennuyeux et un peu flou qui entrouvre une porte vers l’« Alphaville » de Godard pour la refermer sur une vision surréaliste à la Cocteau. Le non-sens auquel pourrait s’affilier Gondry alors n’est pas très loin d’emprunter les mêmes chemins tortueux que ceux parcourus par Quentin Dupieux. Tous deux d’ailleurs ont réalisé naguère un clip pour le groupe Metronomy, tous deux ont commencé par faire de la musique (Mr Oizo flatte les beats encore en toujours tandis que Gondry fait appel à Etienne Charry, son ancien comparse du monde de Oui Oui, pour signer la musique très Elfmanienne de son film), et tous deux ont fait carrière aux Etats-Unis avant de revenir faire des films en France.

Voilà maintenant plus de dix ans que Michel Gondry est retourné aux origines, sur les terres familiales, filmant sa tante Suzette (à qui il dédie « le Livre des Solutions ») dans « l’épine dans le cœur », rejouant ses jeunes années dans « Microbe et Gasoil », pour enfin échouer dans ses chères Cévennes, loin des pressions et des trahisons parisiennes qui dévoient son imagination. Cette obsession du contrôle absolu sur les idées relève ici de la maladie mentale, Michel Gondry assumant être la source première et authentique de ce qui est raconté dans le film. Tel Steven Spielberg se projetant chez les « Fabelmans », Gondry se rajeunit dans la peau de Marc Becker (un bien beau pseudo de cinéaste) et délègue ses lubies à l’excellent Pierre Niney « qui est parvenu à être à la fois irritant et touchant. »

Dans les pages de La Septième Obsession, le réalisateur ne pouvait pas mieux définir ce personnage invivable, sans filtre, paranoïaque et affabulateur, arc-bouté sur ses idées fixes (celle de vouloir absolument rencontrer le boss de Système U ou d’avoir la basse de Sting à ajouter la musique de son film). Sujet à des coups de sang, des comportements parfois gênants et des propos terriblement humiliants, il est aussi capable de fédérer autour de lui une petite équipe fidèle, qu’il emporte jusque dans son repaire de pleine nature. Il faut une incommensurable dose de patience et de compréhension pour que Charlotte et Sylvia (sans parler de Carlos et de ses quintes de toux qui exaspèrent Marc au plus haut point) daignent finir le montage du film à ses côtés. Et il faut toute la placidité naturelle de Blanche Gardin et l’écoute de l’assistante confiée à Frankie Wallach (formidable trouvaille qui est elle-même réalisatrice), toutes deux bonnes pâtes sans doute cuites selon les « recettes climatiques » de Denise, cette vieille tante si moelleusement interprétée par Françoise Lebrun. Toute en sagesse, en tempérance et en modération, elle n’aura de cesse de tenter de ramener Marc à la raison, de préserver son entourage, de recoller les morceaux quand il le faut. Elle sera l’éternel Sunshine de ce Spotless mind.

La folie créatrice qui dévore Marc est à la fois tragique et d’une drôlerie sans nom. Elle accouche même parfois de petits miracles comme cette séance d’enregistrement par toute une troupe de musiciens, réunis dans l’espace exigu d’un home studio, d’une partition improvisée sur la gestuelle du metteur en scène. On croirait voir Brian Wilson dirigeant tout un orchestre portant des casques de pompiers sur la tête durant l’enregistrement du titre « Fire ». En plongeant dans ses tourments bipolaires, Michel Gondry se détache d’une forme d’égo qui dût l’habiter un jour. Il n’est plus ce « trou du cul » qui rebutait Gabrielle, cette jeune femme incarnée par Camille Rutherford que Marc a dans la tête et dans le cœur depuis bien longtemps. Elle est aussi la preuve que les idées peuvent engendrer de purs cadeaux, ces petites embardées de bonheur offertes par la vie. « Toute déviation de la normalité implique une tendance au retour » écrivait Edgar Poe dans « Eureka ». Un principe qui, fort heureusement, ne se vérifie pas toujours.

31 réflexions sur “Le LIVRE des SOLUTIONS

  1. Ah j’ai oublié Max le Renard qui ouvre un salon de coiffure, qu’il est mimi !
    J’ai adoré.
    Niney est parfait et n’en fait pas trop mais est terriblement touchant.
    La scène de l’orchestre est GÉNIALE.
    Et cette dernière image brise le coeur. 💔

    autour de lui petite équipe

    Aimé par 1 personne

    • Nous sommes bien d’accord ces temps-ci. Et je m’en réjouis. Niney, juste ce qu’il faut de dinguerie, d’obsession et d’idées fixes, fait un Gondry parfait. J’ai même lu que cette baraque en ruine a été réellement achetée par le réalisateur contre l’avis de ses proches.
      Bref, un joli moment de folie qui embellit le cinéma.

      J’aime

  2. Je vais te choquer aussi, mais moi également, j’ai beaucoup de mal avec Pierre Niney 😂 Pour autant, je ne zappe pas à un film à cause de sa présence quand même ! Je ne savais pas trop quoi penser de celui-ci, mais je dois dire que tu m’as plus que convaincu 😃

    Aimé par 1 personne

  3. Bonjour Prince ! Je dois dire que moi non plus je n’aime pas trop Pierre Niney ! Il a une tête peu expressive, sans beaucoup de caractère…
    Par contre, j’aimerais bien voir un jour un film de Gondry, pas forcément celui-ci, peut-être un de ses anciens, en DVD…
    Merci de cette chronique, belle journée !

    Aimé par 3 personnes

    • Je trouve qu’il a un physique à part justement, et il me semble qu’il s’en tire aussi bien dans le registre du drame que de la comédie.
      Tout le monde s’accorde à élire « Eternal Sunshine of a Spotless Mind » comme le pinacle de Michel Gondry. Comme tu es réceptive aux belles lettres, peut-être que son adaptation de « L’Ecume de des Jours » te séduira. Personnellement, je trouve ce « Livre des Solutions » très à mon goût.
      Belle journée à toi aussi Marie-Anne.

      Aimé par 1 personne

  4. Je ne suis pas particulièrement friand du cinéma de Gondry depuis « Soyez sympas, rembobinez » (et il m’en manque encore). Je n’oublie pas qu’il est passé par Hollywood avec une vaine tentative de restaurer le Frelon Vert comme un sympathique buddy-movie. Et je garde un assez bon souvenir de l’écume des jours, dont on fait rapidement le parallèle ici. Bipolarité et dépression sont les arguments d’un alter-ego qui ne manque pas d’idées et Gondry s’en sert magnifiquement pour se guérir.

    Aimé par 1 personne

    • L’expérience du « Frelon Vert » n’a pas été pour lui une expérience très satisfaisante (ça me fait penser qu’il traîne en br sur mon étagère et que je ne l’ai toujours pas vu). Il confie d’ailleurs volontiers qu’il n’a jamais vraiment eu le contrôle sr le film, très largement phagocyté par les envies du producteur Seth Rogen.
      Ici, c’est du pur Gondry qui revient aux sources. Et c’est peut-être pour cela qu’il a meilleur goût.

      Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire