TUNNEL

Six pieds sous pierres

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On croyait le genre enterré dans les seventies. De tours qui prennent feu en paquebots qui se retournent, de volcans explosifs en tremblements de terre ravageurs, le cinéma américain s’est gavé de films catastrophes, jusqu’à en devenir purement catastrophique. Alors que l’on croyait en avoir épuisé la veine, c’est finalement en Corée du Sud que ressort le « Tunnel » creusé par Kim Seong-hun bien décidé à en restaurer les infrastructures.

Ce petit pays dynamique et moderne, étriqué entre l’empire chinois et le samouraï nippon, menacé à son unique frontière par un jumeau dégénéré et dangereux, déploie des efforts surhumains pour compter dans la folle compétition du marché mondialisé. Principalement tournée vers la mer, la Corée exporte des bateaux bien sûr, mais également des téléphones, des équipements en tous genres, des appareils électroniques et puis bien sûr des voitures. Etonnamment, on retrouvera une bonne partie de tous ces produits en vitrine de ce film, faisant office pour l’occasion de long tunnel publicitaire. Mais il montre aussi un pays qui ploie sous le poids de ses ambitions. La croissance exige de bâtir des villes nouvelles, des grands axes de communication, de percer les montagnes et de raser des forêts, de bétonner à outrance en usant de tous les moyens à disposition. Dans ce scénario catastrophe, la Nature prend sa revanche, donnant une bonne occasion au pays de montrer ce dont il est capable.

Déjà, le formidable et inquiétant « the Strangers » de Na Hong-jin en appelait aux esprits ancestraux en montrant du pays son visage sauvage : son relief accidenté, sa couverture boisée, son climat humide et versatile. Sur cet aspect du pays, « Tunnel » ne sera pas en reste mais, comme son titre l’indique, il va d’abord faire fi de ces obstacles de surface en se réfugiant dans les profondeurs. Mais plonger ainsi dans la gueule du monstre, c’est prendre le risque qu’elle ne se referme pour de bon. Contrairement à nombre de ses vieux modèles américains, « Tunnel » ne va pas piéger un échantillon représentatif de la population coréenne dans ses entrailles, mais seulement un des leurs, comme pour faire un exemple. Celui-ci ne semble toutefois pas choisi au hasard.

C’est monsieur Lee (un patronyme on ne peut plus répandu sur la péninsule) qui est au volant de sa voiture de marque nationale, un jeune cadre moyen qui rentre chez lui retrouver sa femme avec le gâteau d’anniversaire de sa fille sur la banquette arrière. Lee, c’est Ha Jeong-woo, l’escroc de « Mademoiselle », le tueur en série de « the Chaser », bref, un type à l’allure ordinaire comme on en rencontrait au début du « Duel » de Spielberg, un monsieur tout le monde qui devra montrer qu’il a de la ressource. Car bien vite sa routine quotidienne va être interrompue par l’effondrement du tunnel d’Hado, ouvrage fraîchement inauguré et mis en circulation pour le plus grand « bonheur et sécurité » de tous les automobilistes de la région (inscription bien visible qui ne manque pas d’ironie à l’entrée). A entendre ensuite sa structure conçue à l’économie qui se fissure en hurlant de douleur, le ton grinçant des évènements à suivre est donné.

Victime d’un coup du sort (ah, si ce pompiste sénile largement bon pour la retraite ne s’était pas trompé, le tunnel se serait effondré avant qu’il n’y rentre), l’infortuné naufragé souterrain devra tout de même son salut provisoire à quelques produits « made in Korea » bien utiles. Sa voiture, particulièrement solide, fera une coque incroyablement résistante aux tonnes de gravats qui lui tombent sur la tête. Pendant toute la durée de son séjour sous terre (et c’est peu dire qu’il va jouer les prolongations), il pourra apprécier la longévité remarquable de sa batterie, ainsi que celle de son téléphone mobile pourtant largement sollicité pour son option lampe électrique. En pareille circonstance, là où tout film américain moyen aurait choisi de surdramatiser la situation, Kim, en bon Coréen qui se respecte, choisit de garder le sourire. Une fois le sponsor commercial caressé dans le sens de l’écran tactile, il entend bien faire émerger le cocasse des décombres de la tragédie, et faire grincer les dents des pouvoirs publics en appuyant où ça dysfonctionne.

Tandis que Lee survit avec les moyens du (tableau de) bord comme d’autres avant lui coincés au fond de leur trou (on peut penser à l’astucieux et minimaliste « Buried » ou, pourquoi pas même, à « Gravity »), il place tous ses espoirs dans la formidable capacité de son pays à déplacer des montagnes pour lui venir en aide. Mais, hélas pour lui et tant mieux pour le spectateur, c’est là où le bât blesse et où le scandale apparaît au grand jour. Une scène absolument édifiante suffit à en illustrer les tenants : afin d’explorer le tunnel sans mettre la vie d’autres personnages en danger, les secours vont à avoir recours à un drone muni d’une caméra, immédiatement suivi par un essaim d’autres pilotés par tous les médias présents ! La plupart se fracasseront au sol ou sur la paroi du tunnel à force de bousculades.

Sans doute Kim s’est-il souvenu du persifleur « gouffre aux chimères » de Billy Wilder qui montrait l’ingérence du cirque médiatique dans l’organisation du sauvetage d’une vie humaine. Mais la folle machine médiatique n’est pas seule dans le viseur du réalisateur. « On ne parle pas de salamandres, mais d’un être humain » dit en substance le brave chef des secours interprété par Oh Dal-soo indigné par la logique des intérêts financiers contrariés par cette entreprise de sauvetage à grande échelle. Alors que les politiciens opportunistes (qui ne demandent qu’à être sur la photo) courbent l’échine devant les grands groupes, l’opinion publique finit par se lasser du show sensationnaliste, renonce à sauver le soldat Lee, comme s’il fallait bien accepter que la guerre mondiale économique fasse des victimes, et qu’on se résolve même à abandonner ses blessés.

Comme naguère son compatriote Bong Joon-ho avait su le montrer dans l’excellent « the Host », il est possible de croiser un film à suspense et à sensation avec une chronique amère de nos sociétés qui ne tournent plus rond, d’en faire un constat féroce en nous laissant, malgré tout, entrevoir un peu de lumière au bout du « Tunnel ».

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19 réflexions sur “TUNNEL

    • Ou bien ils ont surestimé leur capacité à le faire 🙂
      Toujours est-il qu’il s’agit une nouvelle fois d’un film coréen qui se démarque intelligemment de tous les produits concurrents bâtis sur le même modèle.

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  1. C’est marrant quand j’ai vu l’affiche du film je me suis dit qu’il s’agissait d’un film d’horreur… Du coup, je trouve le concept beaucoup moins intéressant… En gros un simple film catastrophe un peu comme The 33 quoi ? ^^

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    • Bonjour Joanne,
      C’est bien plus intéressant que ça n’en a l’air ! La mise en scène est en plus excellente !
      S’il s’agissait d’un énième film d’horreur jouant sur les peurs souterraines, je pense que le film aurait eu bien moins d’intérêt.
      Merci de ton passage 😉

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  2. qu’elle ne referme pour de bon

    La demoiselle au-dessus a mal lu ou tu t’es mal exprimé 🙂
    C’est loin de n’être qu’un « simple bon film catastrophe ».
    Ce film est surprenant en tout point et même au niveau de l’interprétation, ce qui n’est pas toujours évident quand il s’agit du cinéma coréen (un des mes « cinémas » préférés dorénavant).
    On est d’accord, la durée de la charge du téléphone est hors normes…
    Je n’avais même pas fait attention aux placements de produits en série. Mais tu as raison.
    Et la scène des drones est exceptionnelle… drôle ou pathétique !

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    • En effet, l’humour très caractéristique des films coréens actuels permet de donner une tonalité presque absurde, voire pathétique au déroulé des évènements. C’est la plus-value d’un film qui ne manque pas d’ailleurs d’autres qualités.

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  3. Bonjour princécranoir, j’ai trouvé le film réussi. Heureusement qu’un sauveteur ayant plus la foi que les autres sauve Lee car bien entendu un homme enfoui (et un chien, très important le chien) ne pèse pas grand-chose dans la balance face au mllion perdu chaque jour à cause de l’arrêt du chantier voisin. En revanche, si je comprends bien, le tunnel effondré ou non ne sert à rien puisque les automobilistes ne semblent pas gênés de ne plus pouvoir l’emprunter. Il y a certainement une route parallèle. Et c’est vrai que moi, j’aime très moyennement les tunnels. Je suis contente quand j’en sors. Bonne après-miidi.

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    • Bonjour Dasola.
      N’habitant pas une région montagneuse, j’ai assez peu l’occasion d’emprunter des tunnels et j’avoue le pas être souvent confronté à cette angoisse. Je ne dis pas que mon futur passage sous une montagne ne sera pas teinté d’un petit pincement d’angoisse en repensant à ce film.
      Comme tu le fais très bien remarquer, la catastrophe n’est là que pour faire émerger les dysfonctionnement d’un système impitoyable et insensible qui, pour servir l’homme, n’hésite pas à en sacrifier quelques uns au passage. La démonstration est assez brillamment menée à travers ce film.

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  4. J’ai vu les deux derniers films du réalisateur en moins de 24h. Dans Hard day, on sentait beaucoup d’humour noir derrière un thriller saugrenu au plot de départ totalement délirant. Dans Tunnel, l’humour noir devient plus cynique car les événements le permettent. Les politiques qui font de la récupération (en plein scandale sud-coréen, le film ne pouvait pas mieux tomber). Les médias qui mettent en danger le personnage principal et sont d’une bêtise sans nom (il n’y a qu’à voir BFM, les méthodes des journalistes dans le film sont quasiment identiques). Puis il y a les industriels véreux, qui non content de faire de la merde, se permettent encore d’en rajouter une couche avec un autre tunnel à construire. 😉 Et pendant ce temps, le héros évolue dans un film catastrophe humain et ne cherchant pas à faire dans le spectaculaire. Il reste à hauteur d’homme, ne se focalise pas sur les dégâts occasionnés par des secousses. Il reste toujours sur le bonhomme et ce dès l’ouverture où on le suit en voiture et pas autre chose. Autre chose que les gros films de destruction made in USA type San Andreas. 😉

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    • Encore un Coréen à suivre 🙂
      Il fait la preuve que l’on peut encore faire des films catastrophe intelligent et ça c’est plutôt pas mal. Comme tu dis, il remontre même aux ricains et leurs millions de dollars d’effets spéciaux absurdes.
      Je mets « Hard Day » sur la liste des films à découvrir.

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      • Un pays à suivre comme d’habitude et en effet encore un nom à retenir. Tu verras Hard day est un film vraiment intéressant mais pas aussi bon que Tunnel. Le mélange des genres peut être mais le plot est génial.
        Ce qui est frappant dans Tunnel c’est que le réal arrive vraiment à confronter divertissement pur et critique social dans un ensemble solide. Ça ne va pas dans le grand guignol. Et quand il fait dans l’humour c’est pour faire baisser un peu la tension, ce qui n’est pas plus mal.

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  5. Un film correct selon moi, ça se laisse voir une fois, oui. J’aime bien les films catastrophes en général, je ne sais pas pourquoi – raaah en parlant de « tunnels », j’ai découvert DAYLIGHT pour la première fois le mois dernier d’ailleurs.

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    • J’ai vu Daylight il y a si longtemps que je t’avoue n’en avoir gardé aucun souvenir.
      Plus que correct à mes yeux ce « tunnel », un film catastrophe en forme de brûlot politique assez édifiant servi par le réalisateur de l’excellente série « the Kingdom ».
      Et puis un film avec Bae Doo-na est souvent un bon film (une des raisons qui pourrait me pousser à regarder Cloud Atlas et Jupiter ascending) 😉

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      • Je te rassure, DAYLIGHT est « oubliable » ahahah. Mais ça reste un petit plaisir coupable pas trop désagréable très marqué par son époque. Ah ! Bae Doo-na ! Je l’adore. Tu l’as vue dans KÛKI NINGYÔ, aka Air Doll ? Magnifique. Je l’avais découverte en… 2005 ou 2006 je sais plus, dans LINDA LINDA LINDA, excellent film encore. CLOUD ATLAS ? Hum… Un peu long pour moi, mais pas vraiment raté. Étrange. JUPITER ASCENDING par contre… Il faut le voir pour le croire. J’attends ta chronique alors ! ^^

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