VICE-VERSA

Docter Maboule

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« Du jardin d’enfant à la vie adulte, les gens devraient plus prêter attention à leur intériorité, afin de devenir des personnes pleinement heureuses et de créer une famille, une communauté et une humanité plus épanouie. »

Le Dalaï-lama

Planqués derrière leurs écrans d’ordinateur, pianotant sans relâche sur leurs claviers, glissant inlassablement la pointe de leurs stylets sur les palettes numériques, les ingénieurs de chez Pixar ont plus d’une idée derrière la tête. Après avoir accusé un coup de mou en se retranchant derrière la facilité de franchises exploitables à merci, la firme à la lampe sautillante reprend du poil de Sully en retrouvant sa capacité à commuer les concepts les plus abstraits en blockbusters animés qui vous caressent les synapses dans le sens des neurones. La cervelle de Pete Docter est en ébullition si on en juge par le pétillement drolatique des dialogues qui fusent et le feu d’artifice de couleurs qui jaillissent de son « Vice-versa » renversant.

Poussant l’art de l’entertainment dans ses retranchements conceptuels les plus reculés tout en s’adressant d’une même voix à tous les niveaux de publics, ce pilier de la maison Pixar n’a jamais manqué d’audace visuelle pour inventer un spectacle sens dessus dessous (totalement perché, il n’hésita pas à monter « Là-haut » pour réunir deux générations dans un goût commun de l’aventure). Pete revient cette fois s’allonger sur le divan du docteur Freud, comme il l’avait fait il y a quelques années déjà en explorant les peurs primales de nos « Monstres & Compagnie ». Il choisit cette fois de se placer carrément dans la tête d’une jeune fille au seuil de l’adolescence, point de vue idéal pour observer au plus près (et sans doute au plus juste) les grandes marées émotionnelles et la mécanique complexe des mouvements d’humeur. Y a d’la Joie donc, mais autant dire qu’à l’âge de déraison où Docter choisit de placer le curseur, c’est aussi bonjour Tristesse.

Alors que la puberté montre à peine le bout de ses poils, les sentiments et les états d’âme entrent dans une zone de turbulence particulièrement intensifiée par la récente migration forcée de la petite Riley depuis les monts enneigés du Minnesota vers la grisaille San Franciscaine. Tourner la page, faire le deuil d’un moment de son existence : des idées fortes qui ne sont pas que des préoccupations de petits. Inspiré de son expérience personnelle (et de l’observation attentive de sa propre fille), sous la gouverne d’une paire de spécialistes calés en psychologie (Paul Ekman et Dacher Keltner de l’Université de Berkley, excusez du peu), le docteur Pete s’en va créer un univers cérébral tiraillé entre ces cinq émotions principales que sont la joie, la tristesse, la peur, la colère et le dégoût. Chacune d’entre elles est caractérisée par une couleur et un design très sobre, facilement transposable d’une personnalité à l’autre si besoin est. Car si le point de vue observé est essentiellement celui de la jeune Riley, Docter ne se refuse pas la possibilité de migrer brièvement dans la tête de ses parents pour élargir le champ du gag.

Évidemment, comme presque chaque film Pixar, « Vice-Versa » s’adresse autant à nos chers bambins en mal d’action et d’aventures rigolotes qu’à l’enfant qui sommeille toujours en chaque adulte, lui permettant de renouer avec quelques vieux souvenirs que l’on croyait perdus au fond du ravin de l’oubli. Le plus prégnant est sans doute relié à un confident fidèle, un brave compagnon de nos plus jeunes années. A l’instar de l’intrépide Calvin imaginé par Bill Watterson, qui dévalait les pentes dans sa carriole supersonique avec son tigre Hobbes comme co-pilote, Riley s’est aussi construit une poignée de souvenirs avec son ami imaginaire appelé Bing Bong, désormais relégués dans les méandres des souvenirs résiduels. Cette chimère issue du bestiaire farfelu de la plus tendre enfance (animal composite à base de queue de chat, de tête d’éléphant et de cri de dauphin) deviendra notre éclaireur dans le labyrinthe de la mémoire à long terme, en passant par le grand parc de l’imaginaire, la forêt du subconscient et bien entendu l’indispensable usine à rêves et ses studios derniers cris.

Tel Di Caprio plongeant dans les tréfonds de l’inconscient d’« Inception », tel le Dante de la Divine Comédie cheminant en compagnie du poète Virgile, Joie (pimpante sapée comme la fée Clochette) et Tristesse (col roulé durassien de rigueur) suivent le guide à la trompe bien pendue, évoluant dans un monde coloré, gigantesque parc d’attraction où l’on stocke les souvenirs dans des petites perles colorées, où l’on voyage dans le train de la pensée au-dessus des îlots suspendus de nos centres d’intérêt. Chaque détail de cet univers psychique semble avoir été organisé dans ses moindres recoins, toujours en accord avec les principes de la rigueur scientifique. Le meilleur exemple en la matière est sans doute la traversée du raccourci de l’inconscient où les trois personnages se voient méthodiquement reconfigurés puis déconstruits en quatre étapes, jusqu’à être réduits à de simples allégories ! La théorie, si hermétique puisse-t-elle paraître, est ici immédiatement pliée aux exigences du comique de situation, la rendant ainsi parfaitement assimilable sans une once de pédagogisme déplacé.

Teinté d’une douce nostalgie dont sont empreints les plus beaux films (Pete Docter invoque inconsciemment le versant proustien de « Citizen Kane » en choisissant la glisse comme madeleine principale), « Vice-Versa » élève le divertissement tout public « over the rainbow », s’inscrivant à coup sûr parmi les plus étincelants souvenirs qui brillent au firmament de la maison Pixar.

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15 réflexions sur “VICE-VERSA

  1. Quel grand écart avec le film précédent !
    Je préfère de loin celui ci.
    A part un petit coup de mou répétitif dans le labyrinthe, un bien beau Pixar.
    Joie est exceptionnelle et a bien du mérite et une belle constance.

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  2. En commençant par une citation du Dalaï Lama, tu ne pouvais pas mieux faire 😉
    « Montres et compagnie » ainsi que « Vice versa » sont les 2 films préférés de mes petits enfants. ils n’arrêtent pas de me demander de leur passer les dvd lorsqu’ils viennent !
    Personnellement je le recommande à mes étudiants inf pour bien comprendre le fonctionnement du cerveau et des émotions (la pycho ça sert toujours pour la prise en charge des patients !)

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    • Le Dalaï-lama a créé en collaboration avec le Docteur Paul Ekman un « Atlas des émotions » (atlasofemotions.org) qui constitue un prolongement intéressant à l’univers déployé par le film de Docter.
      « Monstres et Compagnie » est un autre film sur l’univers de la conscience et de l’inconscient, un traitement déjà très audacieux d’un sujet complexe mais pourtant universel.

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    • Si je t’encourage à t’arrêter un instant sur ce Pixar de qualité, je ne peux t’en vouloir pour autant de survoler de loin ce monde animé, ayant moi-même depuis quelques temps pris un peu de distance avec le genre.

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  3. Un film de qualité qui permettait à Pixar de retrouver un peu de prestige après plusieurs années passées à se faire dézinguer par la presse. Vu une fois en vf et j’ai trouvé cette dernière assez mauvaise. Pas dans le sens où elle était nulle, mais parce que je trouve les choix de doubleurs inappropriés et ne reflétant pas les personnages. Là où la vo je reconnais les rôles à travers ceux qui les doublent, à l’image d’Amy Poehler qui joue Joie comme s’il s’agissait de Leslie Knope et cela fonctionne du tonnerre. Sinon le film propose une vision intéressante, puisque ce sont finalement nos émotions qui nous dirigent et non notre cerveau. Puis les scènes abstraites et du rêve sont formidables.

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    • J’ai revu le film en français et je t’avoue que les voix ne m’ont pas dérangées (je suis moins sensible au doublage sur les films d’animation). Mais tu as raison de souligner l’importance du choix des interprètes pour ces voix qui, même si ce n’est peut-être pas flagrant à l’écoute, ont une résonnance avec leur personnage.
      C’est en tout cas une très belle « aventure intérieure » que cet « Inside out » qui marque le retour de Pixar à des projets ambitieux, comme ce « Coco » que je n’ai toujours pas vu mais sur lequel j’ai lu pas mal de choses intéressantes.

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      • Je regarde globalement des films en vf, mais là ce n’est juste pas possible. Je vais prendre un exemple récent : Coco. J’avais peur à cause de la présence d’Ary Abittan. Pourtant il est impeccable et sobre. Avec Inside out pas l’impression que le doublage français colle. Peut-être parce que les personnages collent mieux aux acteurs vo. Au passage je te conseille Coco comme cet autre film sur la fête des morts The book of life.

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