The CANYONS

Sexe, mensonges et Lindsay Lohan

« Alors c’est ça le film dans lequel vous vouliez me faire tourner ?
– C’est possible. Je ne pensais pas que vous m’aviez reconnu.
– Bien sûr que je vous ai reconnu. »

Bret Easton Ellis, Suite(s) impériales(s), 2010.

Comment va Lindsay Lohan ? Apparemment mieux. Sortie du gouffre, peut-être. Ce n’était pas encore vraiment le cas lorsqu’elle nageait au fond de « The Canyons », film fauché de Paul Schrader qui plonge dans les méandres du L.A. friqué et de la célébrité toxique. Un rôle sulfureux et quasiment sur mesure pour l’actrice empêtrée dans ses excès et ses multiples procès.

Bret Easton Ellis et Paul Schrader avaient d’abord eu pour projet de faire un film d’horreur. Le projet ne put aboutir. Qu’à cela ne tienne, l’écrivain imagine un scénario dans lequel un producteur cherche à monter un film d’horreur au Nouveau-Mexique. « J’ai postulé pour le scénario de « Cinquante Nuances de Grey », raconte-t-il. Je me suis démené, mais E.L. James, l’auteure, m’a avoué qu’elle n’envisageait qu’une femme pour ce boulot. Je crois que je lui ai fait peur. » Peu importe, Ellis nommera son jeune et riche investisseur aux pratiques sexuelles perverses Christian. Et il fera tout pour qu’il soit interprété par sa pornstar préférée : James Deen.

Lindsay Lohan et James Deen, voilà une affiche qui ne manqua pas d’affoler quelques investisseurs recrutés sur Kickstarter pour grossir le très maigre budget. Bientôt, une villa des hauteurs de Malibu leur ouvre généreusement ses portes, écrin parfait pour les personnages dessinés par Ellis. Etonnamment, le casting principal est sans doute un des éléments les plus satisfaisants de ce film qui a une fâcheuse tendance à lorgner vers l’esthétique porno chic. James Deen est parfait dans sa chemise noire de jeune coq narcissique, puant le fils à papa au volant de son coupé sport ou se vantant sans pudeur auprès d’un aspirant acteur de ses petites manies coquines tout en chatouillant son portable. On le retrouve tout aussi à l’aise lorsqu’il s’invite chez un producteur pour lui ordonner de faire du chantage sexuel, ou quand il rechigne à quelques baisers de la part de sa maîtresse pendant l’acte sexuel parce qu’il se doute que Tara le trompe.

Tara, ce sera Lindsay Lohan, la petite starlette de chez Disney qui vient se dévergonder devant la caméra du dompteur de « la Féline ». Elle sera celle qui aime les bains de soleil avec vue sur baie, se laisse embarquer dans des plans à plusieurs sacrifiant sa fierté et son véritable amour pour une vie à l’abri du besoin (« Shopping and fucking » comme résumé dans le film). Les traits sont fatigués, la névrose affleure sous le maquillage. « I think this is going to work. » dira Schrader au journaliste du New York Times Stephen Rodrick invité à pondre un making of dans un article savoureux qu’il intitulera « Here is what happens when you cast Lindsay Lohan in your movie ». Mais Schrader en a vu d’autres en tournant avec Richard Pryor camé à zéro dans « Blue Collar » ou George C. Scott imbibé d’alcool sur le plateau de « Hardcore ». C’était plus de trente ans auparavant.

Le voici à nouveau forcé de négocier face aux caprices de son actrice qui se prend pour Marilyn (cf le New York Times encore) en arrivant régulièrement en retard sur le plateau, obligé de se mettre à poil pour de vrai afin de décoincer l’actrice qui doit tourner une scène de partouze (rendue totalement insipide par un habillage lumineux érotico-kitsch de boîte de nuit) avec un groupe d’acteurs et actrice « spécialisés ». Mais la fêlure que le rôle exige est bien là (juste derrière la ligne de coke sans doute), et c’est une plus-value non négligeable pour le film. Car à côté, pas grand-chose ne fonctionne vraiment.

La mise en scène donne à voir quelques plans inspirés, bien aidée par une bande-son efficace, mais se montre embarrassée avec les dialogues composés par Ellis. On attend d’être surpris, secoué, que l’inattendu survienne, que ça dérape, que ça dévisse. Mais rien ne vient. Jean-Baptiste Thoret parle très justement d’une « version anémique de ce que Bret Easton Ellis fait dans « Moins que Zéro » ». Faute de moyens sans doute, les extérieurs sont aussi fadasses que les seconds rôles. Quant au montage, il est si maladroit que Steven Soderbergh proposa, paraît-il, qu’on lui accorde trois jours pour une retouche. Ce que Schrader refusa catégoriquement.

Il faut dire que de coucheries en cachotteries, de filatures peu discrètes en manipulations grossières, on nage plus dans le marivaudage de bas étage que dans les hautes sphères du lupanar hollywoodien. On aperçoit quelques images de « La Nuit des Morts-Vivants » à la télé, signe que les « Zombies » de Bret Easton Ellis sont de retour. « C’est un film froid, mort, à propos de gens froids et morts, et c’est ce qui nous intéresse, tente de se défendre l’auteur du scénario. La sensation de langueur peut rendre le film lent ou ennuyeux pour certains spectateurs, ceux qui réagiraient mieux à des personnages plus ‘humains’. » Car son ignoble Christian (assurément le plus intéressant de tous) mettra un bon moment avant de virer Patrick Bateman, un passage à l’acte que le puritain Schrader préfère garder hors-champ, comme il le fera d’une scène d’entre-tuerie dans « The Card Counter ». Le film tout entier est ainsi tel un corps froid abandonné à la morgue du septième art.

« Quand es-tu allé pour la dernière fois au cinéma ? » demande Tara à Gina, l’assistante de Christian. Le film retrouve un semblant d’intérêt en touchant le point sensible d’une possible mort cérébrale de son art, en mettant son médium en analyse (il invite même Gus Van Sant à jouer les thérapeutes). Faut-il y voir le pressentiment d’une catastrophe à venir ? Schrader ouvre son film sur des salles de ciné délabrées, abandonnées, temples d’un art en ruine. Voilà qui préfigure, avec presque dix ans d’avance, les trois mille fermetures liées à la désaffection du public après la crise Covid. C’est peu dire que dans « The Canyons », Schrader nous fait bien comprendre que Hollywood ne fait plus rêver. Certes le réveil est amer, mais on aurait voulu qu’il ait un peu plus de gueule.

22 réflexions sur “The CANYONS

    • Lindsay Lohan est, à l’instar d’une Britney Spears ou Miley Cyrus, une de ces multiples starlettes formées chez Disney qui s’est ensuite abimée dans tous les excès. Je trouve justement que le rôle lui va comme un gant.
      Par contre, la patte de Bret Eaton Ellis est assez décevante ici, bien que son univers soit immédiatement reconnaissable. Manque de moyens (le film s’est monté en partie sur une cagnotte kickstarter) ? Manque d’inspiration de la part de Schrader (dont la fibre calviniste puritaine vient s’échauffer sur cette matière sulfureuse) ? Pas assez « Hardcore » selon moi vu le sujet.
      Comme pour son dernier en date « The Master Gardener », j’avais espéré mieux.

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  1. Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de ce film. J’ai vu l’an dernier ‘Hardcore’ et tout récemment ‘Light Sleeper’, tous les deux réalisés par Schrader, et bien plus intéressants sans doute.

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  2. Et bien encore une fois, ma curiosité aura des limites.
    Une starlette à problèmes, un starlet du porno et des bisbilles de cours de récré… non merci.

    Mais pourquoi dire que c’est ce genre de film qui fait qu’Hollywood ne fait plus rêver (pas trop long 🙂 je ne suis guère intéressée.

    camé à zéro : ça veut dire ???

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    • Chargé à bloc.
      Tu peux passer ton chemin sur celui-ci.
      Hollywood ne fait plus rêver personne aujourd’hui. D’ailleurs, Hollywood n’existe pratiquement plus. Les stars disparaissent une à une, remplacé par des hommes et des femmes en costumes, par des avatars numériques, les robots transformistes. Les villas de prestige qui faisaient autrefois rêver ne sont plus qu’un refuge pour les poseurs accrocs à la came. L’Hollywood moderne s’est évaporé dans le streaming. Il n’a pas disparu mais il a changé de forme. « Hollywood, âge de glace » titre l’excellent article de Yal Sadat dans les Cahiers n°797.
      Cette idée était donc gestation dans le film de Schrader, elle continue d’infuser d’ailleurs dans quelques films post-confinement (le Mendès, le Chazelle).

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  3. Bon.
    Moi ça me fait encore rêver.
    Et je vois encore des stars même si elles vieillissent et si elles sont chargées à bloc aujourd’hui dans l’âge d’or c’est l’alcool et les médocs parfois qui les faisaient sombrer.
    Le « c’était mieux » avant me casse un peu les oreilles.

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  4. Peut-être faut-il descendre encore, aller au bout du pire, jusqu’à l’écoeurement. Et puis peut-être alors reverrons-nous jaillir dans un sursaut, des films dignes du vrai cinéma. En tout cas j’aime à le penser parce-qu’Hollywood n’a pas fini de me faire rêver…;-)

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  5. Vu il y a des années, j’avais personnellement bien aimé, et trouvé les quelques pistes que tu cites d’ailleurs intéressantes. Lohan et Deen sont convaincants aussi je trouve. Après oui, le plus gros reproche que je pourrais lui faire, c’est que c’est un peu fauché, et que dans certaines scènes, ça se voit énormément (dans d’autres, non). Peut-être que les caprices de la starlette souvent en retard a causé quelques soucis de location de matériel ou que sais-je encore, pas impossible. Mais voilà, pas détesté en tout cas. Un Schrader certes mineur par contre, clairement.

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    • The project was attractive all the same. The unnatural association between Schrader and Bret Easton Ellis was enough to arouse curiosity. The result is clearly not up to expectations. « The Card Counter » is much better, but I found « Master Gardener » very disappointing as well.

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