Tuez CHARLEY VARRICK !

Dirty money

« La clé du paradis peut ouvrir les portes de l’enfer. »

Cormac McCarthy, le Grand Passage, 1994.

« Le dernier des indépendants ». Le titre de travail finalement non retenu pour ce film aurait très bien pu caractériser son réalisateur Don Siegel. A peine vient-il de boucler un succès majeur intitulé « L’Inspecteur Harry » pour la Warner, élevant son ami Clint Eastwood au rang de redresseur de torts du cinéma américain que Siegel, en bon franc-tireur, embarque avec lui Andy Robinson (son « Scorpio » killer), John Vernon (déchu de son poste de maire de San Francisco) et le compositeur culte Lalo Schifrin pour s’en aller proposer ses services chez Universal. On lui colle l’adaptation d’un roman médiocre intitulé « les pillards » qu’il transforme en boule de nerfs amorale et hargneuse. « Tuez Charley Varrick ! » est un film qui a longtemps volé sous les radars du genre mais qui mérite désormais que tous les regards se braquent sur lui « à bout portant ».

« A la fin des années 60, Don m’a trouvé un boulot pour réaliser un film que Walter Wanger s’apprêtait à produire, l’adaptation d’un livre intitulé « the looters ». […] CBS a décidé de ne pas faire le film. Quelques années plus tard, Don a tiré un film de ce même livre, qui est sorti sous le titre « Charley Varrick ». Il n’a pas utilisé mon scénario et, bien que nous n’en ayons pas beaucoup parlé à ce moment-là, je lui en voulais un peu de ne rien avoir repris de ce qu’on avait écrit. »

Peter Bogdanovich, Who the devil made it : conversations with legendary film directors, 1997.

L’histoire de « Tuez Charley Varrick ! » commence par un vol. Pas celui du scénario de Bogdanovich, mais d’une très grosse somme d’argent dans une banque perdue dans la campagne du Nouveau Mexique. La Western Fidelity Bank porte bien son nom, semblable à celles que l’on braquait dans les films de cow-boys foulard sur le nez et revolver en main. Les hold-up fracassants du Film Noir ont croisé la piste de ces desperados du far-west et désormais les « ultimes razzias » se font au volant de voitures puissantes, masque sur le visage mais toujours le doigt sur la gâchette. Qui viendrait soupçonner ce bon papy gâteau au pied cassé d’être un dangereux videur de coffre ? Et pourtant, sous le postiche se dissimule le vétéran Walter Matthau, lui qu’on croyait revenu du bon côté de la loi en cavalant derrière Kirk Douglas dans « Lonely are the brave » ou en traquant « les Pirates du Métro ».

Ce qui l’a peut-être séduit chez Charley Varrick, ce sont les réminiscences de son personnage de Jack Martin dans le seul film qu’il a réalisé : « Gangster Story ». C’est l’histoire d’un petit malfrat aux prises avec la police mais aussi la pègre qui voit d’un très mauvais œil qu’on vienne piétiner ses plates-bandes. « Je préfère avoir dix FBI plutôt que la Mafia à mes trousses » dit Varrick à son jeune et fougueux associé. Voilà qui résume bien l’ambiance fiévreuse et poussiéreuse dans laquelle va baigner ce récit de chasse à l’homme dont les détonations se feront sentir autant chez Tarantino que dans les crépusculaires récits des frères Coen. Cet argent sale et bien mal acquis évoque celui de « No country for old men », et autres sangs d’encre qui imbibent les romans de McCarthy. « Tuez Charley Varrick ! » choisit pour cadre l’Amérique profonde, celle des mobil homes, des grandes fermes de bétail et des marchands d’armes, des tripots au fond des restaus chinois et des maisons de passes à la frontière.

L’objet ici n’est pas de faire du social, de la politique ou encore moins de la philosophie. Le script concocté par Howard Rodman (scénariste qui valait trois milliards) auquel s’ajoute la griffe de Dean Riesner (complice de Eastwood pour « Play Misty for me » et plusieurs Inspecteur Harry) efface tout ce qu’avaient écrit Bogdanovich et Polly Platt et va droit au but. Il ne fait pas de sentiment : la complice et épouse de Varrick, une Bonnie nommée Nadine, fera les frais de ce milieu impitoyable, abandonnée sur le chemin sans qu’aucune larme ne soit versée. Il n’y a pas de bon dans « Tuez Charley Varrick ! », juste des brutes et des truands qui se cherchent et parfois se trouvent. C’est un film qui transpire de machisme par tous les pores (les porcs ?) de son scénario.

Un brin goguenard, Siegel remplit ce cahier des charges avec un soupçon de détachement, ayant même parfois la main lourde : la caméra prend la posture du mâle qui reluque les filles en shorts courts ou en bikinis, elle ne rate pas une mandale gratuite qui rendra la fille plus docile pour le plumard, et accompagne Matthau qui se met au lit avec Felicia Farr (épouse de son grand ami Jack Lemmon) avant de lui promettre de lui faire faire « le tour de la boussole ». Il faut dire que Varrick, pilote dans le civil, a l’habitude de s’envoyer en l’air. Après avoir tenté d’épater la galerie en faisant des acrobaties aériennes, il s’est reconverti en pulvérisateur de cultures, arrondissant ses fins de mois en braquant des petites banques isolées. Belle occasion pour le scénar de mettre le cap « North by Northwest » car, en effet, la mort est à ses trousses, et elle porte le nom de Molly.

Ce nom charmant qu’on aurait spontanément associé à une chanteuse de cabaret se trouve être celui d’un homme dangereux à la dégaine de countryman (dont les Coen se sont vraisemblablement inspirés pour le personnage joué par Woody Harrelson dans « No Country… »). Joe Don Baker n’est pas encore ce visage récurrent des films de James Bond, il traine à l’époque ses santiags du côté de chez Peckinpah et Phil Karlson, sa panoplie de texan original fumant la pipe s’accordant à merveille avec les multiples enclos à bétail filmés sur fond de collines désertiques et de soleils Marlboro. Il est ici un de ces tueurs narquois et détestables aptes à voler la vedette à la tête d’affiche. En contrepoint, Matthau joue un Varrick au profil bas (en rupture totale avec les rôles comiques qu’il venait d’enchaîner), jouant sa vie sur sa connaissance des explosifs, sa clairvoyance et sa capacité à anticiper les coups de ses ennemis.

« Tuez Charley Varrick ! » n’est pas juste un film violent comme on en produisait à la chaîne dans les années soixante-dix, c’est aussi un film rusé. Siegel prend un malin plaisir à « mener en bateau » le spectateur (pour reprendre l’expression de Tarantino dans « Cinema Speculation »). Ou plutôt en avion, car c’est bien là toute l’originalité du personnage, capable de prendre de la hauteur quand les évènements tournent mal. Don Siegel a conservé de son « Dirty Harry » ce goût pour les films peu aimables, déroutant les lois du polar dans les zones frontières où le droit ne s’exerce plus que par la force des armes, où la survie se joue au plus finaud. Il prouve qu’il est encore un maître du montage, digne héritier de Walsh et de Curtiz dont il fut une petite main de l’ombre. Pour son humour, son sens de la provocation, son rythme et sa rudesse, « Charley Varrick » ne mérite pas de brûler dans l’enfer des séries B oubliables. Il apporte au contraire la preuve irréfutable que Don Siegel était un chirurgien de l’action, un réalisateur mordant et sacrément coriace.

« […], je consacrai une de mes chroniques hebdomadaires sur CBS aux films de Don. Après sa diffusion, il m’a appelé pour me remercier. On a discuté un moment et puis il a dit qu’il espérait que je lui avais pardonné de ne pas avoir utilisé mon scénario, des années auparavant. Ça m’a surpris qu’il s’en rappelle et, plus encore, qu’il ait vu si clair dans mes sentiments. Après tout, a-t-il ajouté, c’était un « auteur-réalisateur » maintenant, non ? Il fallait bien qu’il s’empare à sa manière du matériau. Je lui ai répondu qu’il avait raison, bien sûr, et que tout ça, c’était de l’histoire ancienne. On s’est dit « au revoir » de façon très amicale, et qu’on se reparlerait bientôt. Don est mort avant que ça n’arrive. »

Peter Bogdanovich, Who the devil made it : conversations with legendary film directors, 1997.

8 réflexions sur “Tuez CHARLEY VARRICK !

  1. Bof, cela ne me dit RIEN, dans tous les sens du terme, pourtant la violence (au cinéma) ne me fait pas peur.

    Les mandales éducatives j’en ai ma claque et puis les Dirty Harry sont les seuls Clint que je n’ai pas vus. Ça ne me « parle » pas. Qu’il se fasse choper ton Charley, m’en fous. Je sais, c’est pas bien.

    elle porte le nom Molly.

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    • Il faut reconnaître que le personnage n’est pas des plus aimables, d’ailleurs Matthau ne l’aimait lui-même pas beaucoup. Il n’a d’ailleurs pas fait beaucoup pour la promo de « Charley Varrick ».
      Et pourtant, c’est un Siegel qui vaut le coup d’œil. C’est aussi l’époque où il tourne « les Proies » avec Clint.

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    • Ce n’est pas ce que j’appellerais un classique car le film est passé sous les radars à sa sortie. Par contre, c’est un de ces petits films mis en scène par un vieux franc-tireur émérite dont la réputation a grossi au fil du temps. Un bon polar rondement mené, mais plus vraiment raccord avec les goûts actuels. Il faut le voir pour ce qu’il nous dit de cette époque, mais surtout pour la liberté qu’avaient alors les réalisateurs. Je me dis qu’en terme de création cinématographique, les seventies étaient une décennie prodigieuse.

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