Le MONDE après NOUS

Droit à la déconnexion

« Qui parle ici d’harmonie ? Ignores-tu ce qu’est le monde ? Un combat atroce, monstrueux, dans l’ombre qu’agite la Discorde… Ô chutes, écroulements, hasards, lutte, écume, chocs sans nombre ! »

Elémir Bourges, La Nef, 1904.

Quand la pandémie de Covid 19 a frappé l’ensemble des pays de la planète, on a rapidement parlé d’un monde « d’avant » et d’un monde « d’après ». Certains ont voulu y croire peut-être, portés par l’espoir d’un avenir meilleur, où l’homme aurait enfin pris le recul nécessaire pour réduire les abus, corriger les erreurs, et trouver sa juste place dans son milieu naturel. Rien de tout cela n’est advenu, comme si le pire devait toujours être à venir. Cette vision pessimiste d’un possible futur de l’humanité, dans la droite ligne des anticipations catastrophistes des années 70, l’écrivain américain Rumaan Alam l’a décrite dans un livre intitulé « Leave the world behind », devenu depuis un film distribué par Netflix et signé par Sam Esmail le créateur des séries « Mr Robot » et « Homecoming ». « Le Monde après nous » sème une à une les graines du chaos, l’ennui est qu’on ne comprend pas bien ce qu’il veut faire pousser derrière.

Il semble que, désormais, quand Sam Esmail s’empare d’un projet, Julia Roberts n’est jamais loin. Elle s’est en effet chargée de la production de cette adaptation, appelant même en renfort le couple Obama (à travers leur société Higher Ground). Elle aura ici le premier rôle, celle d’Amanda, une publicitaire new-yorkaise misanthrope qui embarque toute sa petite famille de bobos bien nés pour une mise au vert inopinée, à quelques kilomètres seulement de la Big Apple. Visiblement, chez les Sandford, on n’est pas dans le besoin. Clay (interprété par un Ethan Hawke un peu trop ravi de la cantoche) est un prof prisé de l’université, surtout par certaines étudiantes qui lui demandent de préfacer leur thèse. Tous deux se sont constitués un beau nid bleu du côté de Sunset Park mais une envie soudaine de quitter (au moins momentanément) l’effervescence de la ville étreint Amanda.

Pressentiment ? Il en sera plusieurs fois question dans ce film, des allusions aux multiples signes que le destin nous adresse pour nous préparer au pire. Si le monde doit s’écrouler, autant profiter du spectacle dans un cadre agréable. Amanda ne s’y est pas trompée lorsqu’elle loue la belle maison en bord de mer des Scotts : architecture moderne et vitrée à travers laquelle la caméra d’Esmail se déplace en passe-muraille. Une première visite de l’ensemble cherche l’effet « wahou ! » qui tient davantage du clip publicitaire pour agence immobilière de luxe (avec la musique qui va avec) que d’une appropriation physique et sensorielle des lieux. Les deux ados Sandford, Rosie (et son regard étrange) ainsi que son grand frère Archie (travaillé par ses hormones), abandonnent leur petit rectangle numérique pour mieux plonger dans le grand bleu creusé dans le jardin.

Une fois, tout ce petit monde installé, Esmail peut enclencher la mécanique du dérèglement. Il procède par étape (ou plutôt par chapitre, de I jusqu’à VI), bien aidé par les stridences appuyées de Mac Quayle, son compositeur favori. Puisqu’il faut impressionner, le réalisateur voit gros d’entrée de jeu avec ce tanker piquant droit vers la plage, ou plutôt droit vers les personnages qui, dans ce scénario, semblent littéralement aimantés par les calamités. Plus d’internet, plus de téléphone, communications coupées, cette apocalypse numérique n’est pas sans rappeler celle du plus amusant « Die Hard 4 », époque bénie où Bruce Willis pouvait encore sauver le monde en quelques blagues. « Le monde après nous » c’est plutôt l’angoisse généralisée, avec sa caméra qui ne tient plus sur ses pieds, qui se contorsionne en tous sens comme un Roland Emmerich en pleine ivresse.

Vient alors le temps du soupçon, l’entrée en scène de la paranoïa : G.H. et Ruth Scott. Mahershala Ali (personne n’a oublié le pianiste du « Green Book ») et Myha’la Herrold sonnent à la porte et se présentent comme les propriétaires des lieux. On sent flotter une once d’esprit Jordan Peele dans l’air lorsque ce riche financier à la peau noire et sa fille doivent se justifier face aux Sandford en alerte, puis se contenter du lit en sous-sol tandis que les bobos caucasiens se prélassent dans la chambre parentale. White in, black out : sans être totalement inédit, ni véritablement abouti, ce temps de crispation sociale qui ne s’assouplira qu’après quelques verres d’alcool était plutôt bienvenu, mais hélas très vite noyé dans de longs et ennuyeux tunnels de dialogues, jusqu’à une dernière danse qui nous fait tituber pour de bon.

Les évènements étranges vont s’enchaîner pour couper court au bla-bla mais sans grande cohérence : les Boeings continuent de pleuvoir (de préférence sur les personnages), les Tesla flambant neuves viennent s’emplafonner sur les routes (astucieux détournement des fonctionnalités autonomes de la Musk car), New-York s’embrase. Esmail tend même à nous prendre pour des imbéciles en voulant nous sortir de notre bulle de sitcom (Rosie, la flippante, est accroc à la série « Friends ») pour nous mettre le nez dans l’effroyable réel. Mais sa réalité n’a hélas rien de crédible : police absente, personne pour qui s’inquiéter (hormis la femme de G.H. qui était dans un vol pour New York), pas un péquin en fuite ou en vadrouille dans les parages sinon une hispanique en panique et un redneck à cran (Kevin Bacon, parfait visage du voisin adepte du chacun pour soi), montage coupé en petits morceaux pour mieux le faire bouillir dans le suspense… On croisera bien quelques flamants venus barbotter dans la piscine et une harde de cervidés curieux dont on ne parvient vraiment à comprendre quelle prophétie les anime. Tout ça pour nous laisser en plan, au fond d’un bunker, sans même répondre à la grande question existentielle qui taraude le film : « Que vont devenir Rachel et Ross ? » Décidément, « le monde après nous », c’est flou.

41 réflexions sur “Le MONDE après NOUS

  1. Le hasard m’a dirigée vers ce film en zappant sur Netflix. Je n’ai pas regretté. D’habitude j’évite les films apocalyptiques, trop déjà vus à mon goût. Mais là, j’ai fait une exception à cause des acteurs. N’ayant pas l’esprit analytique, je me garderais bien de décortiquer le scénario, la mise en scène…etc. Sur la dernière image, je ne me suis pas demandé ce qu’il adviendrait de Rachel et Ross. Je suis sortie de ce film en me disant « ça peut arriver demain » , malgré certaines incohérences que tu soulignes. Mais, ce monde actuel n’est-il pas incohérent ? Bref, j’ai aimé 🙂

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    • Tu as été plus réceptive que moi 😉

      Je te rassure, moi non plus je ne me suis pas demandé ce qui allait arriver à Rachel et Ross (je m’en fiche pas mal à vrai dire), je n’ai juste pas compris ce que ça venait faire là, sinon à nous délivrer une morale à gros sabots sur cette jeunesse qui vit par procuration dans le monde virtuel des écrans tandis que le monde s’écroule autour d’eux. L’écran comme refuge ultime ? Pourquoi pas, mais alors que viennent faire tous ces cerfs dans cette affaire. Bref, je suis resté hermétique à ce « monde après nous » qui ne me dit pas grand chose du monde d’aujourd’hui.

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    • Je trouve que l’appréhension est biaisée quand on regarde un film que l’on sait être une exclusivité Netflix. Peut-être qu’en découvrant le même film au cinéma, le ressenti serait différent.

      Mais tu as sûrement raison pour certains d’entre eux, il y a un sentiment de « pas assez » au fond des choses, voire parfois de « trop ». Mais parfois l’équilibre est atteint : « Roma », « Power of the Dog » et celui dont je parlerai bientôt, le formidable « Maestro ».

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  2. Comme tu le sais, j’ai beaucoup aimé ce film, véritable coup de poing à mon sens ! Mais comme tu le dis, c’est vraiment une question de sensibilité et de réceptivité de chacun…

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  3. Bonjour Prince Écran Noir, je vois que ce film catastrophe ne t’a pas du tout convaincu et que la catastrophe était en effet au rendez-vous, dans tous les sens du mot. N’ayant pas Netflix, je ne serai de toute façon pas tentée 😀 Merci de cette chronique intéressante, bonne journée

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  4. j’aime beaucoup ton avis qui rejoint mes sensations lorsque j’ai regardé ce film. J’étais curieuse de le regarder, j’espérais d’ailleurs qu’il dépasse le livre Rumaan Alam ! Mais en fin de compte le livre comme le film n’apporte rien sur le comment du pourquoi. Je suis donc sortie de là aussi frustrée qu’à la fin du livre 😉

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    • Je ne connaissais pas le livre mais si je me fie à ton commentaire, il en est l’adaptation fidèle. Trop fidèle peut-être, voire un peu plate, d’où ses limites.

      J’ai une préférence pour les adaptations qui trahissent « fidèlement » les œuvres originales.

      Merci beaucoup pour ton éclairage de lectrice 😀

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  5. Salut Florent, j’espère que tu vas bien.

    J’ai vu ce film il y a 10 jours environ et je suis resté perplexe tant certaines scènes m’ont plus et d’autres pas.

    J’ai aimé la tension du film qui monte progressivement, la méfiance entre locataires et proprio, la critique de la société connectée et de la société en générale quand tout commence à dérailler, le jeu des acteurs que je n’ai trouvé pas si mauvais.

    Je n’ai pas aimé certaines manières de filmer (le clip de la description de la maison comme tu l’écris si bien), le scénario quand même bien mince, la fin qui en est une sans vraiment l’être (après « Le monde après nous », à quand « Demain nous appartient » ? 😂).

    Bref, à voir pour se faire une idée personnelle mais rien ne cerfs de courir, ils le font très bien tout seuls dans la forêt !

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    • « rien ne cerfs de courir », je n’aurais pas mieux dit 😀

      Je crois que nous avons apprécié les mêmes moments (le moment « Jordan Peele » que j’évoque dans l’article), les acteurs en effet sont à mette au crédit du film. Et nous avons bien peu goûté certaines séquences lunaires. Le tout fait quand même penser à une coquille vide quand on y repense.

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