LOLA

Parce que c’était elle

« Je ne sais plus où commence Anouk et où commence Lola, où finit Lola et où finit Anouk. »

Anouk Aimée (27.04.1932 – 18.06.2024)

Il y avait un homme, il y avait une femme. L’un s’appelait Jean-Louis Trintignant, il nous a quittés. Deux ans après, presque jour pour jour, c’est la femme qui nous quitte. Elle était celle qui avait envouté Claude Lelouch sur la plage de Deauville. Elle était sa Nounouk. « Un Homme et une Femme » empochera deux Oscars et une Palme d’or, mais aussi un Golden Globe et un BAFTA pour Anouk Aimée son interprète. Cela faisait déjà près de vingt ans que la petite Françoise Dreyfus, encore dans « la fleur de l’âge », avait séduit la caméra. Elle tenait son prénom de scène de son premier personnage, tandis que son nom lui était soufflé par Jacques Prévert, « parce que tout le monde l’aimait » disait-il. Une carrière lui tendait les bras, en France comme à l’international, chez Fellini comme chez Mocky, chez Becker, Cukor ou bien Aldrich. Et pourtant, par-delà tout cela, elle est et sera toujours la « Lola » de Demy, et plutôt deux fois qu’une. « Le rôle est transcendance, écrit Noël Simosolo dans son Dictionnaire de la Nouvelle Vague. (…) il lui collera à la peau et masquera presque toutes ses prestations suivantes. » « Le rendez-vous », « Justine », « le saut dans le vide », « le succès à tout prix », … « les plus belles années d’une vie », toute une filmographie à (re)découvrir donc. De-ci, de-là, de Lola et de l’au-delà, l’aimée Anouk nous écrira, encore et toujours, des lettres d’amour, et de cinéma, qui nous feront vivre la « Dolce Vita ».

« Pleure qui peut, rit qui veut. »

Proverbe Chinois

« C’est un film qui m’a fait vraiment battre le cœur » racontait Claude Miller, à l’époque assistant sur le film de Jacques Demy. C’est en effet un film qui ne ménage littéralement pas sa peine, tant les personnages, comme dans tous les films de Demy, semblent se morfondre dans le regret d’un idéal de vie qui leur serait passé sous le nez, qu’ils n’auraient pas su saisir au bon moment. Lola par exemple, danseuse vedette à l’Eldorado de Nantes, rêvait d’être à l’Opéra de Paris. « J’ai dû me tromper de chemin » dit-elle en souriant, en minaudant comme lui demande de le faire Demy qui projette en elle un peu de Lola Marlene (le côté « Ange bleu » avec bas résille, haut de forme et fume-cigarette) et de Marilyn (cette voix suave qui ne cesse de susurrer des regrets à n’en plus finir). Dire que le producteur ne la trouvait pas assez sexy ! Ce rôle lui va pourtant comme un gant (à Gilda).

« C’est moi, c’est Lola » chante-t-elle dans le film. Elle partage en tous cas bien des points communs avec son personnage, une manière pour Demy de montrer que le cinéma n’est pas la vraie vie mais qu’on l’y retrouve tout de même un peu si on gratte le vernis de la pellicule. D’abord, Demy a remarqué qu’au cinéma, on se dissimule derrière des noms d’emprunt. Anouk Aimée s’appelle en réalité Françoise Dreyfus et Lola n’est, dans le film, que le nom de scène de Cécile. Sur l’écran, elle incarne l’idéal féminin, celui que cherche Maxence en vain dans « les demoiselles de Rochefort », celui qu’incarnait Martine Carol dans « Lola Montès » de Max Ophüls à qui Jacques Demy dédie son film. Celui-ci, à l’image de son maître à filmer, désire tisser des liens à travers ses films. Sans doute ne sait-il pas encore que « Lola » sera le premier d’une longue carrière ponctuée de succès retentissants (la Palme d’Or des « Parapluies de Cherbourg ») et d’échecs cuisants (le bide de « Parking » qui rappelle celui de « Lola » justement).

« Lola » constitue néanmoins le socle d’une généalogie de personnages qui, de Nantes à Cherbourg en passant par Paris, continueront de se fantasmer les uns les autres en jouant à cache-cœur. On retrouvera Lola aux USA dans « Model Shop », Roland Cassard part pour Cherbourg marier une marchande de parapluies, quant à feu Monsieur Desnoyers, « il avait tous les vices » et particulièrement celui du jeu comme Jeanne Moreau dans « la Baie des Anges », le film suivant. L’œuvre de Jacques Demy serait donc une sorte d’arbre dont « Lola » serait la racine, et tout son petit monde tournerait comme une « ronde » de Max Ophüls ? Cette matrice contient aussi en germe les thèmes que le cinéaste va développer plus tard comme la lutte des classes (l’incompréhension entre Cassard et son patron se voit exacerbée dans les manifestations ouvrières d’ « une chambre en ville »), l’absence du père qui fuit ses responsabilités (monsieur Dame dans les « Demoiselles » n’est que le prolongement du Michel de « Lola ») ou l’enfant non désiré que représente peut-être Yvon, le fils de Lola mais surtout le Roland Cassard, le rêvasseur, « l’image même du raté » dit-il (car « seul les enfants qu’on désire vraiment sont heureux » ajoutera-t-il dans le film).

Et puis chez Demy, il y a forcément une fête foraine, de la musique, des marins et des danseuses, d’autant plus qu’il voulait que le film soit une comédie musicale en couleur. Car chez Jacques Demy, chaque personnage doit, malgré les épreuves de la vie, garder une certaine prestance qui garantit une forme de dignité, une gaieté feinte qui présente bien. Chacun d’entre eux se définit alors par son habit : Cassard dans son costume noir, Lola dans sa guêpière de scène et sa robe blanche de ville, et le marin lui aussi de blanc vêtu et qui renvoie à la couleur du costume de Michel qui déboule en trombe à Nantes au volant d’une décapotable américaine de même couleur.

On dit que le cinéma de Demy est mièvre mais, encore une fois, si on cherche bien ce qui se trame dans les interstices du mélodrame, il frôle le sordide. Certes on ne parle pas encore d’inceste (« Peau d’Ane », « trois places pour le 26 »), c’est trop tôt encore mais on n’est pas loin de la pédophilie quand on voit la petite Cécile Desnoyers se faire draguer par le marin américain et revivre par procuration l’histoire de Lola, l’autre Cécile qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Sous ses airs naïfs, rien n’est vraiment innocent dans le cinéma de Jacques Demy, « il recouvre le gouffre avec des fleurs » disait de lui Jean-Claude Guiguet. Comme ses personnages, Demy appartient lui-aussi à une famille et ne se prive pas pour la citer à l’écran. La présence de Raoul Coutard à la caméra (et ses plans-séquence absolument virtuoses), de Georges de Beauregard à la production et, bien entendu, de Michel Legrand aux partitions et d’Agnès Varda comme photographe de plateau (il y a même Cléo au cabaret qui joue des hanches), tout rattache immédiatement le film à la fameuse Nouvelle Vague.

Mais c’est surtout le personnage de Roland Cassard qui rappelle l’anarchiste Michel Poiccard d’« A bout de souffle » : « un copain qui s’est fait descendre à Paris, il avait mal tourné » dit explicitement le personnage du film. On se demande d’ailleurs si l’histoire ne va pas virer au polar quand Cassard accepte de transporter illégalement une mallette de cuir au contenu mystérieux jusqu’à Johannesburg. Mais la piste du Film Noir s’efface rapidement, s’avère en réalité décevante et trop attendue. Qu’importe la destination finalement, « l’important c’est de partir » explique Lola qui dit tout bas ce que Demy pense tout haut. La ville de Nantes, son chantier naval et son passage Pommeraye, le cinéma Katorza et le bar des caboteurs, exhale à chaque endroit toute la nostalgie de son enfance.

Mais cet endroit n’est qu’un espace de transit pour partir vers un ailleurs : Lola part à Marseille, Frankie retourne à Chicago et Cassard s’en va à Cherbourg. Jacques Demy, lui, a préféré Paris pour apprendre le cinéma. Il revient à Nantes pour nous montrer ce qu’il sait faire, pour nous épater. Pour raconter ce qu’est vraiment la vie, même si c’est vrai, comme le dit Roland Cassard, « au cinéma c’est toujours plus beau ».

13 réflexions sur “LOLA

  1. bonjour Prince Écran Noir ! Le seul film d’Anouk Aimée que j’ai vu c’est « Un homme et une femme ». Très belle femme, élégante et actrice nuancée. Nanni Moretti rend un grand hommage au film « Lola » de Jacques Demy dans « Vers un avenir radieux  » : il joue le rôle d’un cinéaste qui regarde « Lola  » chaque fois qu’il va tourner un nouveau film. Bonne journée !

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    • Merci beaucoup Marie-Anne, je ne savais pas ce détail sur le film de Moretti. Voilà qui m’invite à le découvrir au plus vite.

      Anouk Aimée était en effet une grande actrice, largement associée aux films de Lelouch. Elle tournera d’ailleurs pour lui deux suites de « Un Homme et une Femme ».

      Belle journée à toi aussi.

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  2. Viens de le revoir… Dingue comme la réputation d’un film peut marquer nos esprits. Lola reste superficielle, Cassard un dilettante qui n’évolue pas. Le rapport du marin avec l’ado est bizarre mais là est-ce moi en version 2024 qui parle. Les dialogues sonnent faux car trop récités… Un film d’une grande élégance mais surestimé… Comme bon nombre de films de la Nouvelle Vague…

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