Le Règne ANIMAL

What the phoque ?

« Vois,
Comme je vis mal,
Je n’ai plus que toi, animal »

Jean-Louis Murat, Je n’ai plus que toi, 1991.

Originaire de Clermont-Ferrand mais gascon de cœur, Thomas Cailley a peut-être un jour jeté un coup d’œil à l’intérieur de la grotte des « Trois-Frères ». Là, il y aura aperçu le « Chamane dansant », cas unique et exemplaire de représentation thérianthrope peint par de lointains ancêtres sur la paroi millénaire. Y figure un être mi-homme mi-animal, couvert d’une peau de bison, coiffé de bois de cerf, s’adonnant à une danse tribale. A moins qu’il ne soit un chasseur en approche d’une proie. De ces deux interprétations, Cailley n’aura d’égard que pour la plus noble, faisant de la seconde une menace pour « le Règne animal ».

En 2020, la pandémie aura laissé des traces. Confinés entre quatre murs, beaucoup ont ruminé, fulminé et occupé le temps comme ils pouvaient. Thomas Cailley, lui, en a profité pour explorer notre part animale, approfondissant un script de Pauline Munier. A cette époque, on parlait beaucoup chauve-souris,  pangolin et autres espèces susceptibles d’avoir aidé le virus à migrer vers l’humain. Ajoutons à cela peut-être une rediffusion à la télé d’une intégrale de « Manimal » (« héritier des sombres mystères de l’univers » se changeant à volonté en rapace ou en panthère), et voilà que les idées fusent pour « le Règne animal ». Celle-ci est cocasse mais néanmoins originale et pouvait s’avérer prometteuse dans le paysage assez terne du cinéma fantastique français.

On se souvient qu’il y a à peine une dizaine d’années, Thomas Salvador prétendait déjà que « Vincent n’a pas d’écailles ». Ici, c’est Emile qui a des poils, au grand désespoir de son paternel. Ce dernier s’appelle François, incarné par un Romain Duris en mode alter qui milite contre mais qui n’est pas à une contradiction près : il cite René Char à tout bout de champ, fait la morale à son fils qui se gave de chips tout en tirant sur sa clope dont il ne peut visiblement pas se passer. Il voudrait être un papa cool tout en se montrant autoritaire. Il faut dire qu’il y a de quoi être nerveux quand sa femme est internée par sa faute. La belle est en pleine phase de transition, non pas pour devenir un homme mais une bête, « une créature », « un monstre » comme disent les langues de vipère.

« Quelle époque ! » se lamente un beauf au volant qui ronge son frein dans les embouteillages. Cailley se dit qu’il est grand temps de quitter la ville, de faire une cure de chlorophylle dans les forêts de la Nouvelle-Aquitaine, au milieu des fougères et des arbres centenaires. Il coupe court aux perspectives de « World War M » (pour Mutant), mais ne tourne pas le dos à la lutte des espèces. De cette fable en métamorphose, éclot naturellement l’incontournable problématique de l’acceptation, celle des autres et de soi-même. C’est ce double cheminement qui attend Emile, post-ado tête-à-claque confié à Paul Kircher (à qui Cailley demande de redevenir un « Lycéen » comme chez Christophe Honoré) qui se dispute avec son père.

Difficile pour lui de digérer la mutation de sa propre mère, de subir les remarques des ses camarades de classe (le réalisateur nous gratifie des séquences scolaires stéréotypées entre les pro qui ne mangent pas de viande et les anti qui aiment la chasse), et de se laisser caresser dans le sens du poil par le Wolverine qui grogne en lui. Cela passe par des rencontres bizarres avec des êtres de toutes formes, Cailley jouant à nous faire spéculer sur chaque espèce. On a peu de doute en revanche devant ce birdman pathétique qui se fait appeler Fix (Tom Mercier, cette année déjà « La Bête dans la Jungle ») et qui se sent pousser des ailes.

A travers cette faune un brin téléphonée, Cailley voudrait rejoindre la magie panthéiste de Miyazaki, mais la lourdeur de ses effets appuyés le plombe illico (desservis il faut dire par une musique atroce). Il tente alors de rendre son projet un peu plus saignant en se rapprochant des expériences de « nouvelle chair » imaginées par Cronenberg, mais on n’attrape pas « la Mouche » avec du vinaigre, et à ce titre mieux vaut privilégier l’approche plus « Grave » de Julia Ducournau. Thomas Cailley ne saura tout au long du film qu’empiler les sujets à la mode, allant du sexisme à la souffrance animale, de la peur de l’étrange (de l’étranger ?) aux amours adolescentes (la bonne copine qui forcément souffre elle-aussi d’un trouble), tout ça dans un contexte de dérèglement climatique dopé au tube de Pierre Bachelet (une scène gênante qui n’est pas sans en rappeler une autre du tristement raté « Master Gardener » de Paul Schrader). A force de suivre trop de pistes, le scénario s’égare (« c’est un objet à la recherche de lui-même » admet le réalisateur à propos de son film dans Cinéma Teaser), oublie des personnages sur le bord du chemin et finit par pédaler dans le vide. Cailley rêve de solidarité entre les espèces, de connexion à l’environnement sans fond vert, mais sa vision est si naïve qu’elle en devient navrante, faisant passer James Cameron pour un grand intellectuel.

Pour son retour à la nature, le réalisateur convoque même ses anciens « Combattants » en uniforme, mais ils ne sont plus que l’ombre de ce qu’ils étaient. Ils sont d’horribles mangeurs de merguez, des petits soldats du système. Pas une once de crédibilité chez Adèle Exarchopoulos dans le rôle de cette gradée de la gendarmerie à l’empathie bien peu professionnelle. « Je crois que je vais demander ma mutation » dit-elle pour faire un bon mot. Comme le reste, l’humour ici se noie dans la lagune. A travers cette fable, on devine que Thomas Cailley voulait sortir les griffes, a tenté de nous mettre les poils, mais diantre, qu’est-ce que c’est bête !

48 réflexions sur “Le Règne ANIMAL

  1. Et il arrive à caser MANIMAL dans sa chronique, ahah !

    Par curiosité, j’ai lancé la BA après cette lecture, et quelques lignes de dialogue m’ont hérissé les poils : « faut apprendre à vivre ensemble ! » (difficile de faire plus bateau).

    Le film m’intrigue malgré tout.

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    • 😺
      La critique ici est globalement dithyrambique et le film marche très bien ce qui laisse deviner un excellent bouche à oreille. Moi, ça m’a horripilé quasiment dès le départ. Je trouve surtout qu’il est perclus de tous les défauts qu’on ne passerait pas à un gros film (musique envahissante, dialogues faibles, personnages inutiles, situations énormes ou mal mises en scène,…) mais qu’on applaudit sous couvert de « cinéma d’auteur français ». Ça m’énerve encore plus.

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  2. Waouh ! Quelle sévérité !
    Je serais partant pour un autre film français fantastique réussi, si tu as une suggestion…

    « Le monde animal » est loin de m’avoir déplu, même si je l’ai trouvé un peu trop décousu par moments. Ta chronique fera un excellent contrepoint à la mienne, attendue pour novembre.

    C’est cool, les vacances scolaires ! Je te sens plus prolixe depuis quelques jours. Merci pour toutes ces chroniques.

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    • Les vacances passent trop vite et il y a tant de films à voir. C’est d’autant plus rageur quand on n’a pas choisi le bon.
      J’aurais bien aimé testé « Acide » de Just Philippot, histoire de me réconcilier avec le cinéma de genre français. Ce sera pour plus tard. Et Miyazaki et son héron arrivent à grand pas…

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  3. Personnellement, c’est une immense attente, une bande-annonce coup de cœur, qui l’a immédiatement parlé, je ne saurai te dire pourquoi ! J’espère de tout cœur pouvoir le voir, malgré ton avis, pour le moins mitigé…

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  4. Je l’ai vu et j’ai accroché. Pourtant pas du tout le genre de cinéma que je vais voir habituellement. Et Romain Duris me plaît rarement. Le titre m’a évoqué le roman époustouflant de J-B Del Amo. Rien à voir avec ce film. Mais les thèmatiques (bateau, ok) soulevées m’ont émue, Duris a passé, l’ado énervant m’a rappelé un neveu, et la scène de la grotte mère et fils est bouleversante. Les grosses ficelles d’un film populaire m’ont ligotée. J’ai beaucoup aimé.

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    • Je comprends, et j’ai bien vu les intentions de Caillez à tenter de créer de l’empathie pour le personnage d’Émile. Je n’ai pas du tout accroché au jeu de l’acteur. La scène de la grotte est très belle, surtout pour le cadre. La rencontre avec la mère m’a semblé être un décalque maladroit du style Miyazaki. Mais à la rigueur, pourquoi pas. Caillez peut compter sur un très bon chef op’ (son frère je crois) qui lui offre notamment une scène de chasse nocturne splendide. Et Duris fait ce qu’il peut, mais les scènes avec son fils sont parfois bien lourdes comme celle où il lui demande de monter sur son vélo. Et puis tout est téléphoné ici : la romance avec la fille du lycée (cette scène d’amour dans le champ de maïs ne fonctionne vraiment pas), les méchants chasseurs, l’homme-oiseau qui finit par s’envoler,… Je suis sans doute sévère mais j’ai beau y repenser, ça ne passe pas.

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  5. Ah oui, rosse et très mal disposé en effet.
    Je ne souscris à RIEN de cette chronique.
    J’ai ressenti exactement l’inverse à TOUT ce que tu développes donc je ne vais développer.
    Pour une fois j’espère que personne ne se laissera influencer car ce film fait du bien dans le paysage et m’a bouleversée.
    Rien de gênant ni de pathétique et j’ai trouvé la musique magnifique.
    Bref…

    J’espère que tu verras Acide que j’ai trouvé remarquable aussi mais il ne doit plus être à l’affiche.

    J’ai vu le Miyazaki. Les mondes parallèles c’est parfois compliqué mais c’est Miyazaki ♡

    tout se montrant

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    • J’ai quand même été bien sympa de citer Murat en préambule.

      J’ai sans doute mangé trop de chips aux nitrites pour pouvoir apprécier.

      Je n’ai cru en rien à cette histoire, à ce gamin qui m’a fatigué de bout en bout. Et pourtant, Duris a du mérite (il faut dire qu’il écope du personnage le mieux écrit du film). Les scènes avec les gamins du lycée sont risibles. Je n’ai toujours pas compris pourquoi ils partent dans le sud. Pierre Bachelet, cette scène de voiture où ils crient par la fenêtre, quelqu’un aurait dû lui dire à Cailley que c’est grotesque. Jusqu’à cette scène de fuite dans le bureau du gendarme à la fin, non c’est pas possible…
      Ah si, le chien Albert, il est super.

      « Les Combattants », c’était pourtant tellement bien – il y avait William Lebghil, ça doit être pour ça 😉

      Vivement du Miyazaki, du vrai !

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      • Ah ben voilà, je comprends mieux, tu as dû bien roupiller.
        Pour ne pas comprendre pourquoi ils vont dans le sud, faut avoir eu une belle absence.
        L’explication pour les ronfleurs : ils vont dans le sud parce que le centre qui ouvre pour rassembler tous les mutants/choses/monstres/victimes… se trouve dans le sud, il n’y en a pas d’autres, c’est le seul.
        J’ai complètement oublié le chien Albert.
        Les chips aux nitrites : C’est LE MAL

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        • Dans ce cas, pourquoi ne pas démarrer l’histoire directement là-bas. Et puis un seul centre pour toute la France, vu que tout le monde a l’air d’être impacté par le phénomène, ça me semble un peu juste. De toute façon, dudit centre, on verra qu’dalle, ce qui explique sans doute pourquoi je l’ai oublié.
          Pas étonnant que tu l’aies oublié le chien, le réal l’oublie lui-aussi en chemin. Pauvre bête…
          Je te laisse à ta tisane de fougères.

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          • Ah oui quand on n’aime pas un film, rien ne va 😂 comme dit LaRmanet.
            Si le film commence dans le sud, pas d’accident de la route. Là encore tu roupillais : le camion avec les créatures verse dans le fossé.
            Quant au chien chien (quand il lèche les visages, son grand truc, j’avais envie de dégueuler 😂), quand ton fils est en danger de mort, la bestiole devient peut-être secondaire non ?

            Jamais d’eau chaude, ni café, ni thé, ni infusion, ni tisane. C’est dingue non ?

            PS. : j’écoute Grand canal sur France Inter (j’adore) avec Eva Bester (j’adore +++). Invitée Rosalie Varda.
            Ils passent une chanson.
            Je me dis, que c’est Beau.
            Et c’est…

            C’est…

            Il Regno Animale d’Andrea Laszlo De Simone.
            Tu peux vérifier, c’est la pure vérité vraie.

            Bon maintenant, c’est Capitaine Achab.

            Ciao

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            • Dans mon malheur, en plus de Bachelet, Cailley aurait pu coller Sardou dans sa playlist en effet.

              Je me souviens très bien de l’accident, de la bestiole qui flotte dans l’étang et tout le reste… Ça justifie le déploient de l’armée, des camions, la guerre quoi (« nous sommes en guerre » qui disait le président au moment de la Covid). Des vilains en uniformes qui passent tout leur temps à bouffer des grillades (parce qu’ils sont vilains et sexistes). Ah, si, j’oublie la grande scène d’assaut dans le bois vers la fin, avec maman ours qui joue aux quilles avec les petits soldats. J’ai pouffé.

              Je comprends bien qu’il laisse le plus authentique des animaux de côté (d’ailleurs il regarde tout ce cirque en se demandant ce que font ces drôles d’humains), c’est un choix. 🐕

              J’ai écouté Simone. Ça ne m’a pas bouleversé. Mais je ne suis pas italophone contrairement à toi, ça doit jouer.

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  6. Bonjour Princecranoir, je ne me rappelle plus de la musique, c’est dire. Sinon, je n’ai pas horripilée par ce film mais il ne m’a pas emballée plus que cela. Je ne comprends pas cet engouement critique pour ce film. Ce n’est pas justifié. Bon après-midi.

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  7. Je n’ai pas vu « trop de pistes » et je ne trouve justement pas qu’il s’égare. Un film intelligent et prenant, avec un travail sur les effets spéciaux qui fait plaisir pour une production française. Par contre je te rejoins sur certains personnages « oubliés », comme la fliquette qui s’avère alors superflue

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  8. Comme toi, je partage quelques réticences, surtout avec l’interprétation du cadet Paul Kircher, imperméable aux émotions. Et c’est bien dommage, parce que ce projet avait un côté « Freaks » prometteur. Je pense que Thomas Cailley a surtout voulu travaillé les mutations, qu’elles nous apparaissent le plus organiques possible. C’est bien sûr au détriment de l’intrigue, qui brasse effectivement trop de sujets à la fois et qui finit par se brûler les ailes. Même si on peut avoir du mal à décoller dans ce film, j’espère qu’il aura permet d’entrouvrir une belle porte vers un cinéma fantastique français plus radical, plus visuel et moins asbtrait et onirique. Que ce soit plus accessible.

    En tout cas bravo, je ne m’attendais pas à te voir remettre un coup sur « Master Gardener » ! 😄

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    • Il faut croire qu’ils ont été au moins deux à avoir cette mauvaise idée de mise en scène.
      Je trouve que le cinéma fantastique français mérite mieux, en tout cas quelque chose de moins navrant. Je repense à cette scène de pédalage raté, qui finit avec le gamin qui part en courant, rattrapé par son père et ils se roulent par terre sur de la musique baveuse… et tout le monde crie au génie ! J’avoue que ça me cloue le bec.
      Quitte à voir du french Freak, autant retourner frayer chez Julia Ducournau.

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  9. Je regrettais de ne pas l’avoir vu, les critiques presse étant plutôt excellentes, mais après t’avoir lu je me dis que j’ai bien fais de l’éviter. Tout le problème des films de « genre » dans le cinéma français. Je te rejoins, Adèle Exarchopoulos en gendarme… il fallait y penser 😂😂 mauvaise idée, surtout avec sa façon de parler. J’apprécie l’actrice mais déjà en professeure on n’y croit pas, mais alors en gendarme.. 😂😂

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    • Oui, c’est vrai qu’elle est prof dans le film de Thomas Lilti je crois.
      Après, Adèle était déjà gendarme dans « Bac Nord » et ça marchait pas mal. Certes, elle y était moins présente.
      Tu peux largement éviter « le règne animal » selon moi. Enfin, d’autres te diront certainement le contraire. 😉
      Le mieux, c’est de se faire son avis.

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    • Salut Roggy, content de te retrouver ici.
      Romain Duris pour moi n’est pas le plus à blâmer dans ce film. Par contre je trouve les effets spéciaux très approximatifs (je pense au vol de l’homme oiseau par exemple). Mais ce n’est pas encore le plus dérangeant car un film peut être très bon même avec quelques défauts visuels dus aux limites budgétaires. Non je crois que c’est vraiment le scénario et la façon dont Cailley choisit de le mettre en scène qui coince en ce qui me concerne. Je n’ai pas du tout aimé son récit, je n’y ai pas cru une seconde, pas plus qu’à ces personnages très lourdement écrits et mal dirigés (l’homme-oiseau, la gendarmette jouée par Adèle Exarchopoulos et surtout le gamin joué par Paul Kircher qui me semble convoquer tous les clichés du genre). J’ai vraiment trouvé tout cela assez grotesque pour tout dire, et il ne me reste de ce film que le souvenir d’une très mauvaise expérience en salle.

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  10. Je retiens ton avis mais filerai quand même le voir lors du festival Telerama ! (c’est seulement une excuse pour nous autres, possédant la carte UGC mais c’est toujours mieux de voir un film sur grand écran). En espérant que tu as quand même apprécié ton visionnage, et que j’apprécierais le mien !

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