MISSION : IMPOSSIBLE – Rogue Nation

Meurs un autre jour

« Nous vivons et nous mourons dans l’ombre, pour ceux qui nous sont chers et ceux que nous ne connaîtrons jamais. »

M.I. Dead Reckoning – partie 1, Christopher McQuarrie, 2023.

A la fin de « Protocole fantôme », on le croyait définitivement évaporé dans le brouillard de l’anonymat. De toute évidence, la chasse à l’Ethan Hunt est encore ouverte dans « Mission Impossible : rogue nation », toujours efficacement organisée par ce Bad Robot de J.J. Abrams et dirigée par un Christopher McQuarrie de plus en plus performant derrière les caméras.

Toujours aussi fringant et athlétique, Tom Cruise n’a donc pas encore décidé de lâcher son espion, entouré comme il se doit de toute la fine équipe. Benji Dunn, l’expert des claviers interprété par Simon Pegg, est une fois encore convoqué et aura même à montrer plus qu’avant ses capacités d’agent de terrain. Bien davantage en tous cas que William Brandt retenu à Langley (Jeremy Renner trop saoulé après sa cavale dans la peau de l’archer des « Avengers » ?), sous le feu des questions d’un Alec Baldwin promu patron de la CIA. Enfin, pas de mission possible sans que ce bon vieux Luther ne montre le bout de son chapeau et Ving Rhames la pointe de sa moustache.

Chacun d’eux est déjà à pied d’œuvre dès la séquence d’introduction qui offre à Cruise l’opportunité d’un premier coup d’éclat visuel doublé d’une ouverture à décollage spectaculaire. L’acteur a bien insisté pour faire lui-même ces acrobaties aériennes, défi lancé à son ego de scientologue en examen de conscience autant que coup de pub formidable pour agrémenter la promo du film. De quoi entrer un peu plus dans la légende des acteurs casse-cou qui épatent les minettes : « Alors c’est vraiment vous ? J’ai entendu des histoires… elles ne peuvent pas toutes être vraies » dit la jolie disquaire chargée de lui confier son nouveau message autodestructif. Il n’aura qu’un énigmatique sourire en guise de réponse, de quoi alimenter la légende de ce comédien à l’aura très floue.

La scène d’introduction fait indéniablement son effet, mais n’est évidemment qu’un avant-goût de ce qui se prépare ensuite : Hunt aura notamment à faire le show sur une moto filant pleine balle sur les routes escarpées du Maroc alors qu’il est à peine remis d’une infiltration en apnée à couper le souffle. Autant dire que la vraisemblance est, plus que jamais, bannie de ces moments de bravoure au profit d’un feu nourri d’action sans complexe qui ne donne heureusement à aucun moment dans la démesure. C’est peut-être là un des points forts de cet épisode qui n’oublie jamais d’où il vient et ce qu’il doit aux anciens : le fameux magnétophone à bande qui s’autodétruisait dans la série des années soixante laisse place à une élégante platine vinyle aux fonctionnalités high-tech, et il n’est guère difficile de repérer les allusions à un célèbre thriller hitchcockien dans cette sublime séquence à l’opéra de Vienne à la mise en scène remarquablement maîtrisée.

Il faut dire que dans l’univers très encombré de l’actioner d’espionnage (rien que cette année-là, Hunt devait rivaliser avec « Kingsman », les gars de l’U.N.C.L.E., sans parler du « Spectre » qui pointait le bout de son protocole fantôme), la franchise « Mission Impossible » doit absolument tenir son rang pour pouvoir survivre, se distinguer de la masse de produits de plus en plus formatés pour plaire à un large public. S’il a pour lui d’être une allégorie de cette compétition acharnée, ce n’est pourtant pas le scénario de ce nouvel épisode qui fera la différence : il y est toujours question d’un mystérieux Syndicat dirigé par un ex-agent en roue libre qui ne sourit même plus quand il se brûle, agissant dans l’ombre pour mettre l’I.M.F. sur la touche. S’ensuit l’inlassable jeu de poker menteur prétexte à une traque qui nous baladera du désert marocain jusqu’aux quais de la Tamise. Bref, rien que l’on n’ait déjà vu auparavant décliné avec plus ou moins de réussite par les divers experts recrutés par Cruise pour se charger de la réalisation (« Il voulait que chaque film puisse avoir sa propre identité créative et ainsi sa propre atmosphère et personnalité. Vous obtenez toujours un peu le même mélange, avec un super méchant et des scènes d’action incroyables mais c’est nouveau à chaque fois » constate le producteur J.J. Abrams).

Cette variation selon McQuarrie (qui n’est toutefois pas une bleusaille en la matière puisqu’il côtoya la vedette sous l’identité du coriace « Jack Reacher »), sous perfusion Abrams, aurait tendance à lorgner quelque peu sur l’efficacité old school de son « M.I.III. ». Mais le petit plus qui le démarque d’une « jamesbonderie » génération Craig, c’est la place accordée à la charmante Suédoise Rebecca Ferguson qui, loin des rôles de potiches au Service Secret de Sa Majesté, entend prouver qu’elle peut être « deadlier than the male » en n’hésitant pas à montrer que sous la robe de soirée, elle aussi porte la culotte. Pas de doute, elle sait y faire en déhanché sexy au sortir de la piscine (telle la sirène glamour Ursula Andress faisant son numéro de charme à double zéro sept), espionne trouble et solitaire qui sera bien une des rares à faire mordre la poussière à l’agent américain après qu’il l’ait prise en chasse sur son destrier à deux roues.

Pas rancunier et plus indestructible que jamais, ce brave Hunt n’hésitera pas une seconde à jouer pour elle les chevaliers pare-balles, véritable bouclier humain prêt à tout pour faire échec une dernière fois à l’infecte Solomon Lane. Préférant le registre de l’évocation plutôt que de donner dans l’épanchement convenu, McQuarrie scelle leur complicité en un habile jeu de regards complices qui n’est pas sans rappeler celui des sauvages de la horde juste avant le déchaînement final. Tom Cruise aura ainsi trouvé de nouveaux atouts pour convaincre ce jury intraitable qui, confortablement assis et loin du théâtre des opérations, aurait eu tôt fait de mettre une bonne fois pour toutes l’Impossible Mission Force au rancart.

26 réflexions sur “MISSION : IMPOSSIBLE – Rogue Nation

  1. Cruise aurait du s’arrêter après. Le dernier est saoulant (et on espère que Jeremy Renner va mieux)… du moins, la première partie qui flingue la moitié des potiches ne pousse guère à attendre la seconde

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    • Tu n’as pas totalement tort et pourtant « Rogue Nation » ressemble à une sorte de nouveau début pour « Mission Impossible ». A la fin de « Protocole Fantôme », on pense qu’il passe la main, peut-être à Renner ou on ne sait trop quel successeur. C’était aussi le dernier qui ne soit pas réalisé par McQuarrie. Puis finalement, Cruise se recentre sur son équipe en comprenant qu’il n’y a peut-être plus beaucoup d’avenir au cinéma pour lui en dehors d’Ethan Hunt. Jack Reacher n’a pas fonctionné à la hauteur de ses attentes. Il y aura bien « Maverick » mais c’est un leurre, plus un baroud d’honneur qu’une seconde jeunesse.
      On peut dire que maintenant, Cruise navigue à vue (comme l’indique le titre du dernier épisode en date), avec plus ou moins de réussite, mais sans la même flamboyance.

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  2. Bizzarement les Missions Impossibles ne m’attirent pas du tout (et pourtant j’aime les films d’action)… je ne crois pas en avoir vu un seul après le tout premier, que j’avais pourtant adoré quand j’étais une grande ado 🤔 mais j’avoue avoir un peu de mal parfois avec Tom Cruise… il est peut-être temps que je me refasse la saga des Missions Impossibles et découvrir si le tout premier a bien vieilli …

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    • Je n’ai pas revu le premier épisode de De Palma depuis très longtemps et pourtant ça fait un moment que je me dis que ce serait une bonne idée.

      Mission Impossible n’était initialement qu’une énième série télé portée à l’écran pour attirer un public de nostalgique. Une adaptation qui arrive alors que la Guerre Froide appartient au passé, qui cherche de nouvelles sources d’inspiration. Et donc, dès le départ, « Mission Impossible » avec Tom Cruise n’a plus grand chose à voir avec la série crée par Bruce Geller, sinon le thème de Schifrin et quelques rituels comme le message qui s’auto-détruit. Mission Impossible est devenu un véhicule de spectacle cinématographique dévolu à Cruise, dont il est non seulement l’acteur principal, mais aussi désormais le grand manitou. C’est une sorte de blockbuster d’auteur qui nous renseigne assez bien sur la santé du divertissement actuel.

      C’est en cela que je trouve cette franchise intéressante, malgré ses hauts et ses bas, ses moments forts et ses points faibles. Encore ne faut-il pas être allergique à Cruise. 😉

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      • Oh, on ne peut pas dire que je suis vraiment allergique à Cruise… j’ai regardé les Jack Reacher en entier (et ses films des années 90) 😁 mais j’avoue que j’ai l’impression qu’il s’est forgé un personnage d’homme d’action, intelligent et séduisant (mais inaccessible) qu’il décline dans tout ses films … c’est un peu lassant ce manque de profondeur dans sa filmographie de la dernière décennie… mais je suis loin d’être une experte cruisienne 😉

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  3. J’avoue que je commence à m’y perdre. Combien de films déjà dans cette franchise ? Autant que les « Fast and Furious » ? Faut passer à autre chose, Tom.
    J’ai redécouvert avec un plaisir toujours renouvelé ‘Le Magnifique’ de de Broca, avec notre Bébel national et la très belle Jacqueline Bisset. Tous les super-agents style 007 y sont tournés en dérision, bien avant les « OSS117 » avec Dujardin. Le film a été restauré par Studio Canal et est disponible dans une belle édition 4KUHD+BR.

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    • De Broca était, je crois, une des boussoles de Hazanavicius lorsqu’il a entrepris les OSS. Peut-être plus encore que les OSS originaux adaptés au ciné qui se prenaient très au sérieux (du moins, pour sucer la roue du 007). Je me doute que cette édition est à l’image du titre du film.

      Cruise, passer à autre chose ? A part sauter d’un avion à l’autre, j’ai bien peur qu’entre les deux ce soit le grand vide pour lui dans le paysage hollywoodien. On aura un « Dead Reckoning – part 2 », et après la suite de « Edge of tomorrow » et puis… les mémoires d’un scientologue à Hollywood peut-être ?

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      • Non, arrête, tu vas lui donner des idées. 🙂

        Cependant, j’ai lu des rumeurs comme quoi notre petit scientologue préféré aurait dans ses projets un film avec Alejandro Jodo… heu non pas lui, mais Inarritu. Cruise peut être un excellent comédien, alors pourquoi pas revenir à un cinéma moins commercial et plus exigeant, histoire de rééquilibrer sa carrière ?

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    • Merci beaucoup Marie-Anne.

      Les films passent et les humeurs avec, je comprends. En ce qui me concerne, c’est un peu le contraire : je crois qu’il m’intéresse plus aujourd’hui qu’à ses débuts… encore que, « Eyes Wide Shut » et « interview with a vampire », il était déjà parvenu à un certain « âge d’or ».

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  4. Brian de Palma, John Woo, Abrams, Brad Bord et Macquarie, la saga Mission Impossible n’a cessé de se réinventer, même s’il s’est un peu égaré en chemin. Le précédent volet jouait avec tous les gadgets possibles même quand ils étaient cassés (la double transaction au Burj Khalifa). Ce 5e volet (mon préféré) redonne un nouveau souffle à cette saga, qui avait sans doute besoin d’opposer Hunt à son double, féminin en l’occurrence, cette magnifique Rebecca Ferguson plus ou moins piégée dans un jeu dangereux. Cette figure de femme fatale, active et non passive comme la plupart des James Bond (n’en déplaise à Michelle Yeoh, la seule exception avant l’ère Craig), manquait cruellement. Sans refuser le spectaculaire stylisé avec soin, en atteste cette sublime séquence à l’Opéra de Vienne, le film ne refuse pas d’embrasser une certaine aura hitchcockienne.
    Et il me semble qu’avec le succès du Kingsman sans la même année, Hollywood et bien d’autres ont pas mal calqué leur approche en terme d’action, sans évidemment égaler la même maestria. On se réjouit donc de voir ce bijou encore intact et au sommet de la Cruiseploitation 😁

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    • Ce que tu dis sur la position de l’acolyte féminine est très juste. On n’avait jusqu’ici pas vu une telle place laissée dans l’action pure à la part féminine du casting (à part peut-être l’iconique Emma Peel des Avengers?) Cruise propose ici un modèle admirable qui constituera ensuite une référence. Michelle Yeoh avait en effet cette prétention dans le bondien « Demain ne meurt jamais » mais ce film si médiocre ne pouvait laisser la même empreinte.

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