SANTA & Cie

Some like it hotte

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« You better watch out, you better not cry
Better not pout, I’m telling you why
Santa Claus is comin’ to town »

John Frederick Coots/Haven Gillespie, 1934.

Le ciel est gris, la nuit tombe tôt : Noël est à nos portes ! A peine octobre et ses horreurs clownesques ne sont-ils plus qu’un vilain souvenir que c’est déjà Christmas time ! Alain Chabat débarque le jour de la Saint Nicolas, tenant les rennes de « Santa & Cie », pour nous offrir un peu en avance son nouveau cadeau jovial, histoire de faire passer ce soir de déprime dans un immense éclat de rire.

Le plus impayable des Nuls s’était un peu perdu « à la poursuite du Marsupilami », mais c’était pour mieux se mettre au vert et redonner à son humour toutes ses vives couleurs. Il sacrifie cette fois à la mode anglo-saxonne du « film de Noël », vieille tradition vulgarisée par ces productions lénifiantes bardées de bons sentiments qui occupent les cases de nos tristes dimanches après-midi télé du mois de décembre, où l’on est susceptibles de croiser tout un tas d’animaux qui causent. Alain Chabat le reconnaît volontiers, il s’inscrit dans cette lignée, en faisant lui-aussi parler ses bêtes à cornes, mais dans leur langue vernaculaire (qui n’est pas sans rappeler parfois celle du parler Wookie). Sans ces ruminants à fort caractère, co-pilotes à toute épreuve, le Père Noël ne serait rien, privé de son bolide qui file à travers les nuages plus vite que la lumière. Nul n’a pu encore à ce jour surprendre le bourreau de travail en pleine action, tandis qu’il file comme l’éclair de sapin en sapin déposer nos joujoux par millions à l’insu de nos chères têtes blondes.

Mais parfois, telle l’hyper-vitesse du Millenium Condor, le mode « furtif » a des ratés, et le vrai Père Noël de soudain apparaître tout en barbe et en chevelure ondulée poivre et sel sous les yeux ébahis des riverains. C’est un véritable miracle sur le Boulevard Voltaire qui se produit quand le traîneau aérien vient se garer sur le toit de l’ancien immeuble de la Compagnie Parisienne de Distribution d’Electricité. Sans doute Alain Chabat l’a-t-il aperçu là-bas, en train de faire la tournée des pharmacies pour trouver son content de vitamines. L’idée lui est venue alors de faire toute la lumière sur la légende, de révéler enfin la vérité sur le Père Noël à tous ceux qui n’y croiraient plus. Il faut dire qu’après  607 ans de bons et loyaux services, la tradition a pris un sacré coup de plomb dans la hotte : voilà bientôt près d’un siècle (soit environ 2500 portes et quelques fenêtres), une célèbre marque de soda brun s’est mise en tête de le rhabiller entièrement de rouge, et de le faire représenter à tous les coins de rue par des imposteurs aux postiches mal ajustés. Certains pourraient même bien avoir « un air de famille » s’ils ne trahissaient par leurs répliques empreintes d’une ironie des mauvais jours l’identité du comédien caché sous la barbe.

De Bacri en Palmashow, « Santa & Cie » ne manque assurément pas de ce genre rencontres cocasses et insolites jusqu’à ce que Chabat, véritable sosie du vrai Santa, confortablement couvert de sa plus belle robe de chambre vert sapin, ne vienne chercher secours auprès d’un charmant couple de Parisiens overbooké. Si Pio Marmaï, qui opte ici pour la tunique noire des commis d’office, défend avec talent les vannes écrites dans le pur esprit du réalisateur, un des plus beaux cadeaux qu’ait pu nous faire Alain Chabat dans son film est bien de lui avoir mis dans les bras la sublimissime Golshifteh Farahani. De retour de « Paterson », elle donne cette fois dans une poésie du quotidien plus prosaïque et contraignante. Pas l’ombre en effet d’un bonnet de Lutin pour venir l’aider dans ses tâches ménagères. Jolie maîtresse de maison multitâche, cette mère de famille à la charge mentale bien remplie n’oublie pas d’être à l’heure très tôt le matin dans les grandes halles de Rungis. A elle de calmer l’ardeur des enfants terribles qui découvrent le merveilleux attelage qui s’est posé sur le toit de leur appartement. A elle aussi d’assurer la logistique du repas de famille quand approche la date du réveillon. Et pendant ce temps, Wanda (Audrey Tautou complètement décoiffée), la femme du Père Noël, prépare des petits paquets en attendant le retour du mari à la maison.

Santa n’est donc pas seul à devoir tenir les délais. Cette problématique, Chabat la passe évidemment à la moulinette de son humour inimitable, par le truchement de son mage en décalage. Dans cette société où tout fout le camp (même la neige et les températures glaciaires), ce monde au bord de la crise de « Nerf » où l’on expédie la question des cadeaux en quelques clics sur internet, le véritable esprit de Noël (celui qui s’exprime sans carte bleue) a du mal à trouver encore sa place. Dépouillé de son costume traditionnel pour mieux se fondre dans la masse, notre cher Santa un peu paumé, prend soudain une allure périmée, une dégaine de vieux clodo qui ne dépareillerait pas dans une cellule de dégrisement, comme si le Père Noël se rapprochait dangereusement du dépôt d’ordures. En confrontant le vieil idéaliste à une réalité fracassante, Chabat vient échouer les rêves de gosse sur le bitume de notre monde de cinglés.

Il n’oublie pourtant jamais que son intention première est bien de redonner à l’évènement sa magie première, en nous prouvant par le rire que la féérie de naguère ne s’est pas évanouie dans la nuit du nouveau millénaire. Tout au long de cet étrange Noël, Chabat tient à proclamer plus que jamais que « la Vie est Belle », et qu’il ne tient qu’à nous d’y croire un tant soit peu. Il se diffuse sous l’immense boule à neige qui abrite le pays perpétuellement enneigé où l’on fabrique les jouets, dans cet endroit coloré où des milliers d’Oompa Loompas s’affairent sans relâche pour satisfaire les souhaits postés par les bambins de toute la planète, des relents de Chocolaterie merveilleuse. Cette main d’œuvre corvéable résiste toutefois à toute logique de productivité (quitte à se mettre en « arrêt » au premier signe de pression, plus radicalement encore que les esclaves syndiqués du chantier pharaonique de « Mission Cléopâtre »), retranchée derrière un slogan qui sonne comme un mantra : « un jouet est un bon jouet s’il est joyeux à fabriquer ». Alain Chabat semble d’ailleurs avoir toujours appliqué ce principe à la lettre pour ses films, la garantie peut-être de pouvoir ainsi toujours garder son âme de grand gamin.

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25 réflexions sur “SANTA & Cie

  1. Je lis des bribes, je fais glisser mon regard sur tes notes, je cueille les mots, cherche éventuellement ceux qui me feront froncer les sourcils et peut-être renoncer au film. Et j’ai plutôt l’impression que ton billet aurait tendance à conforter mon envie… Je vais y aller si possible avec ma fille. Car l’envie est d’abord peut-être celle de faire découvrir à ma petite ce cinéma-là plutôt qu’un autre puis de voir ce que Chabat est devenu et enfin vérifier si son merveilleux est aussi contagieux que la joie de ses films.

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    • La comédie, la plupart du temps, c’est tout de même quitte ou double : soit tu restes extérieur et consterné, soit tu marches et tu pleures de rire. Moi qui ne suis ordinairement pas client du genre, je me suis retrouvé ici dans la seconde configuration, comme lorsque je suis allé voir « Mission Cléopâtre » à l’époque.
      Tout ce que je souhaite, c’est que mes éclats de rire soient communicatifs.

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    • C’est surtout un film qui fait du bien, qui réveille un sens du merveilleux un peu brindezingue mais qui parle autant à l’esprit adulte qu’aux sentiments des enfants. Peut-être était-il temps de raviver l’esprit de Noël ?

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  2. Un film de noël classique mais avec l’âme d’un Nul. Alors évidemment c’est un peu plus fun et agréable à regarder que la concurrence ricaine avec sa dinde et ses réunions de famille chiantes. C’est aussi la preuve qu’en France on peut faire du blockbuster avec du fric à l’écran. Il suffit juste de ne pas donner du fric pour des projets de merde. Genre Stars 80 2. Qui s’est planté. Face à Alain. Comme quoi, il y a une justice quand même.

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