Vesper in the dark

« Bond dans le roman est une silhouette. Daniel lui a donné de la profondeur et une vie intérieure. Nous recherchions un héros du 21ème siècle et c’est ce qu’il nous a donné. Il saigne, il pleure, il est de son temps. »
Barbara Broccoli in Variety, 2007.
Un bon agent se doit d’avoir plusieurs identités. Grand professionnel, James Bond aura affiché lui-aussi bien des visages. Lorsque Daniel Craig enfile le smoking, 007 en est à sa sixième incarnation, tout cela sans montrer le moindre signe de fatigue. Les droits d’adaptation du premier roman de Fleming enfin revenus dans l’escarcelle d’EON production, les décideurs font table rase du passé, préfèrent miser sur une version plus moderne de la franchise. Ils laissent le soin à Martin Campbell de jouer les croupiers à la table du « Casino Royale ». A lui de changer la donne et de mettre le paquet. Exit le vieux titre parodique des années 60, le Bond nouveau sera musclé, impitoyable et froid mais non sans faiblesses, une inclination notoire pour le beau sexe qui lui vaut quelques cicatrices, superficielles ou plus profondes.
L’agent émerge des flots à l’endroit même où le fit naguère la naïade Ursula Andress, c’est alors que Craig devint Bond. Tel un prédateur en chasse, il transperce de ses yeux bleu révolver la belle cavalière qu’il a aperçue sur la plage. S’il a aujourd’hui ses fans inconditionnels, Daniel Craig était pourtant loin de faire l’unanimité, ce sont même les retraités des Services de Sa Majesté qui durent venir à sa rescousse pour vanter ses mérites : « Je pense que nous sommes très chanceux de l’avoir parce qu’il est assez extraordinaire, disait Roger Moore à l’époque. Je dis toujours que Sean Connery ressemblait à un tueur, mais Daniel Craig l’aurait achevé… Je pense qu’il a fait plus d’action dans les sept premières minutes que j’en ai fait au cours de sept films. » Il était donc grand temps de mettre au clou les smokings ringards des autres interprètes, Bond façon Craig c’est le retour au rustique, la revanche de la working class à la charge hormonale digne d’un Sean Connery.
On aura droit à des manières moins élégantes, à une forme d’improvisation dans la recette de la vodka-martini, à un certain dédain dans le port du costume-cravate que Vesper Lynd ne manque pas de tacler en ajoutant « vous n’avez pas dû être élevé dans le luxe. » Le plus célèbre agent de Sa Majesté reprend du service piloté par un Martin Campbell déjà rompu à la relance. Responsable de la mise à l’eau de Brosnan dans « GoldenEye », le voici chargé de faire de Craig le millionnaire du « Casino Royale », avec en main un script provenant d’un brelan d’as du scénario : Paul Haggis, Neal Purvis et Robert Wade.
Campbell a bien l’intention de donner à Craig du fil à retordre, afin qu’il mérite son double zéro et hisse ce Bond à la hauteur de sa réputation. Finies les cascades abracadabrantesques (terminé les sauts sans parachute et les atterrissages dans la neige sans une égratignure), cette fois on souffre, on transpire pour lui, on endure avec lui. Sa condition physique est d’emblée mise à rude épreuve face à de multiples incidents de « parkour » et un badguy qui touche à peine terre. Cette course-poursuite virtuose, aussi spectaculaire qu’instructive sur la personnalité et les méthodes de notre agent, est à mettre au rang des plus inoubliables de la série.
D’autres vont suivre évidemment car, de ce côté-là, la production n’a pas décidé de brader ses atouts : un mano à mano contre un Isaac de Bankolé excité de la machette dans une cage d’escalier (qui bat à plate-couture le plan-séquence du final de « No Time to die »), un accident d’Aston Martin qui vous met la tête à l’envers, l’effondrement d’une villa vénitienne et bien évidemment la fameuse partie de Texas Hold’em aux incroyables rebondissements. Une séquence riche en rebondissements qui permet l’introduction des fameux gadgets technologiques, cette fois limités à quelques puces traqueuse et à un matériel de réanimation ambulatoire. Un choix minimaliste certes, mais qui offre bien plus de surprises en deux heures que Jack Bauer n’en affronte en 24. Bien sûr cet autre agent est passé par là, ainsi que Ethan Hunt et Jason Bourne (qui lui avait même piqué ses initiales), impulsant une nouvelle vigueur à leur collègue britannique. Les corps à corps sont plus méchants, les fusillades plus cinglantes contraignant Bond (sans qu’il soit visiblement nécessaire de l’y pousser beaucoup), à faire un usage plus soutenu de son calibre.
S’il en perd le sens de l’humour au profit d’une personnalité à la froideur reptilienne à tendance masochiste, il n’est pas en manque de charme. Là aussi Campbell démontre qu’il n’est pas qu’un metteur en scène d’action, mais qu’il sait aussi filmer des dialogues jusqu’à en devenir particulièrement émouvant. Le jeu de poker menteur auxquels semblent s’adonner dans le train Daniel Craig et l’inoubliable Eva Green (qui complète un casting très francophile), subtil et savoureux, montre à petites touches comment l’animal Bond va s’adoucir au contact de la charmante Vesper, jusqu’à finir sous la douche dans un geste d’une tendresse infinie. Idem pour quelques répliques bien senties autour de la table de jeu face à un ennemi asthmatique qui pleure des larmes de sang. Idée splendide qui vaut largement le troisième téton de Scaramanga, qu’on croirait sortie d’un manga japonais si elle n’était l’apanage d’un Mads Mikkelsen encore frais émoulu mais déjà terriblement inquiétant. Il compose avec Le Chiffre un des plus obliques « villains » qu’on ait vu au cours de toute la série.
Si Bond évolue, son environnement proche se désertifie. Q et Moneypenny sont remplacés par une équipe de génies informatiques rivés à leurs écrans, prêts à donner un coup de pouce à distance à leur agent de moins en moins secret. Dans son rôle de dame de fer d’âge mûr, M fait figure de relique de la période précédente (tout comme la partition enlevée et « à l’ancienne » de David Arnold), mais reste indispensablement attaché à la merveilleuse Judi Dench. Elle porte un regard inflexible autant que maternel sur son agent protégé comme si elle s’attendait déjà à ce que le ciel finisse par lui tomber sur la tête. Comme les grosses sommes ici en jeu sont très volatiles, plus la peine de feindre la dissimulation quand on s’appelle Bond, James Bond et qu’on a l’arrogance de croire qu’on a toutes les cartes (et les armes) en main. Et si la qualité d’un bon Bond se mesure à la beauté de son générique d’introduction, pas de doute, celui-ci est assurément une belle main, et mène tout droit vers un Bond meilleur.

Drôle – en lisant ton titre je pensais à une critique métaphorique du 1er tour des élections…. tant pis. Tu me ravis avec l’adjectif pour Eva Green !!
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Espérons que ça ne finisse pas à la roulette russe dans quinze jours 😉
Eva est magnifique.
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Hah… bien vu
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Tu es très inspiré ce matin (bon Bond, un Bond meilleur…). 🙂
‘Casino Royale’.
Sans doute mon film préféré de la série 007 portée par Craig. Eva Green n’y est pas pour rien. Comment faire mieux pour la suite ? Aucune des partenaires de Bond/Craig ne l’a égalé malgré leur talent. Et avec le recul, je ne crois pas à la relation entre Bond et Madeleine (Léa Seydoux).
Et il y a Mads Mikkelsen qui impressionne sans jamais sur-jouer. Je l’ai vu hier dans ‘Les Animaux Fantastiques : les secrets de Dumbledore’ (avant-première et film plus intéressant que les deux précédents chapitres) et il parvient à remplacer sans problème Johnny Depp dans le rôle de Grindelwald. Apparence très différente et jeu tout en retenu. Ce n’était pas un pari facile à relever, d’autant que j’apprécie les deux propositions (Depp incarnait de façon spectaculaire un sorcier tendance race aryenne). Et tout comme Eva Green, les adversaires suivants de Bond seront moins charismatiques selon moi. Amalric et Rami Malek peuvent aller se rhabiller, mais c’est dommage pour Christoph Waltz, pas assez à son avantage et qui méritait plus et mieux en termes de mise en scène.
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Javier Bardem a laissé quand même un souvenir assez puissant. Notons que, comme le Chiffre, Silva est atteint d’une altération faciale qui lui donne un aspect effrayant. Effet qui ne fonctionne plus avec Rami Malek, va savoir pourquoi. Le scénario peut-être ?
Madeleine qui ? je ne vois pas. je ne connais que Vesper.
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🙂
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6 interprètes pour ce qui est de l’escarcelle Broccoli / EON. Parce qu’il ne faut oublier David Niven dans Casino Royale et ses multiples James Bond (dont Peter Sellers) mais aussi Barry Nelson dans Casino Royale (encore) pour la TV. James Bond a toujours été présent dans ma cinéphilie (et en romans aussi) et j’ai aimé tous ses films même les moins bons (Meurs un autre Jour – ah oui zut, je l’avais oublié celui-ci). Et j’ai trouvé Craig très bon dans ce rôle quoi qu’en dise ses détracteurs…
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Je me suis contenté des incarnations sous bannière EON en effet, ce qui en fait déjà pas mal. Chacune a été attendue au tournant, souvent dégommée à la première apparition (ce fut aussi le cas pour Sean Connery). Je pense que la prochaine ne fera pas exception.
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Bien sur que le choix sera contesté. Pour ma part, j’ai hâte de découvrir ce nouveau James !
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Super chro que je rejoins en tout point (même concernant le générique que je trouve fantastique – RIP Chris Cornell…). Au début ce film était sans doute dans mon Top 10 Bond, et petit à petit il grimpe, il est peut-être dans mon Top 5 personnel maintenant. Campbell aura quand même signé deux super Bond, extrêmement différents, correspondant à leur époque ciné…
PS : tu as écorché le nom de notre cher Mads Mikkelsen – ou alors c’est fait volontairement pour un jeu de mot que je n’ai pas saisi ?
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Merci ! 🙂
Pour beaucoup, il est même considéré comme le meilleur Bond entre tous. Je n’irai pas jusque- là, et je reconnais même lui préférer « Skyfall » dans l’ère Craig. Mais assurément un des meilleurs de la franchise.
Campbell était à l’honneur dans le cadre du festival Reims Polar (tout comme le grand Walter Hill) et « Casino Royale » était au programme de cet hommage. J’avoue être nettement moins fan de « Goldeneye », mais je considère Campbell comme un des meilleurs artisan du film d’action (j’aime beaucoup « le masque de Zorro »), un peu l’équivalent, toute proportion gardée, de ce qu’était John Sturges bien avant lui.
En tout cas, tu n’as rien perdu de ton goldeneye en relevant cette Mads erreur ! Je m’en vais corriger ça avant que d’autres lecteurs pleurent des larmes de sang.
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Le meilleur Bond de tous les temps parce qu’il souffre et qu’enfin il aime. Il faut dire que Vesper écrabouille et élimine toutes les James Bond girl au physique de Barbie et à la cervelle dans le soutif comme les autres James l’avaient dans le caleçon.
Ah ce moment sous la douche. L’une des plus belles scènes d’amour.
Et rien sur Mads qui chatouille Daniel sur sa chaise ?
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Tu sais, moi, les plaisirs pervers…
Bond qui tombe amoureux, on l’a déjà vu dans « Au Service Secret de Sa Majesté » (Diana Rigg était déjà merveilleusement rebelle, et le cerveau bien en place), mais je suis d’accord avec toi pour admettre que ce « Casino Royale » emporte la mise. Et tu as raison, ici c’est Bond qui joue les nymphettes nées de la dernière vague. Le duo Green/Craig fonctionne à merveille, là où le tandem Seydoux/Craig me parait mal assorti. Et puis cette fin vénitienne engloutie dans les eaux et les larmes me submerge.
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J’aime beaucoup cet acteur.
Merci.
En ce moment, je regarde une série sur netflix avec Jason Momoa : see. Génial
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Tiens, je ne connais pas. J’irai voir.
Daniel Craig est un acteur qui apportait beaucoup de physique au personnage, mais qui est aussi un comédien de théâtre. Il faut bien reconnaître aujourd’hui qu’il s’est emparé de Bond et qu’il sera bien difficile de lui succéder.
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Tiens, je ne m’attendais pas à te voir revenir sur cet opus en particulier. Même si plus je te lisais, plus ça faisait sens (jusqu’au rapprochement du magnifique combat dans les escaliers avec le plan séquence du dernier opus en date).
Un grand film pour la saga assurément, un des meilleurs Bond aussi tout court (sacré Campbell, deux opus, deux des meilleurs), qui sait marier à merveille l’action impressionnante et la psychologie de ces personnagesz.
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« Casino Royale » méritait bien une relance 😉
Tu as raison de souligner l’importance de la mise en scène de Campbell qui a su rebooster, à travers Craig, l’image d’un Bond tout de même un peu lissé par les années. Brosnan vaut peut-être plus d’élégance, mais à l’heure de Bourne et de Bauer, il fallait du costaud.
De surcroît, l’histoire avec Vesper vien ajouter du tragique, tout ce qu’il fallait pour amorcer une nouvelle saga qui fera les montagnes russes.
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C’est certain que l’ère Craig, niveau montagnes russes, ça se pose là, dés le départ, puisque tu sais tout « l’amour » que je porte à QUANTUM OF SOLACE, un opus qui grâce à sa mise en scène épileptique, m’aura demandé 10 ans avant que je n’arrive enfin à me motiver à le voir en entier, c’est dire.
On pourra dire ce que l’on veut, mais Campbell reste un excellent faiseur, même si je n’aime pas tout de lui.
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Je suis complètement d’accord avec toi : ses deux Zorro (surtout le premier) et « Vertical limit », c’est quand même plutôt bon. Pour le reste, je n’ai pas tout vu mais je suis plus réservé.
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Ta critique est de qualité et tu as très bien analysé et compris ce film. Moi qui suis un énorme fan de la saga Bond, je tarde à faire des critiques sur les différents films. Mais je vais bientôt m’y mettre. CR 06 est pour moi le meilleur Daniel Craig, même si je ne suis pas un énorme fan de ce dernier, ni de la manière dont cela a pris fin.
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Ce fut une véritable renaissance pour moi qui, jusque là, avait complètement délaissé les missions conduites par Dalton et Brosnan. Dans ma jeunesse, Bond rimait avec (hu)Moore. Puis cela m’a laissé, jusqu’à l’arrivée de Craig sur le tapis du Casino Royale. Enfin un Bond, tendu, tenu, et brutal, u’ Bond « de son temps » comme le disait Barbara Broccoli.
Je serai très heureux de lire ton commentaire sur la saga Bond.
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Oula moi j’ai tellement de choses à dire sur cette saga, je vais faire une critique de tous les films, faire un Top 5, puis je vais faire une rétrospective. Mais ma vie tourne beaucoup autour de cette saga. Par contre Dalton était un 007 tendu, brutal et âpre. D’ailleurs Permis de Tuer est un des mes opus préférés. Mais mon amour de 007, ne se limite pas qu’au cinéma, je suis avant tout un fan des romans de Fleming, puis ceux de Gardner et Benson.
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De Fleming, je n’ai lu que « bons baisers de Russie », je me suis dit que j’en lirais bien d’autres.
Je vais inscrire les épisodes Dalton à mon menu un de ces jours tant j’en entends du bien.
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Ah tu n’as pas vu tous les opus de la saga ?
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Il m’en manque quelques uns du côté des derniers Moore, Brosnan et Dalton.
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Ben tu verras que les deux opus avec Dalton sont de qualité.
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I still think this is really the best Bond movie with Daniel Craig. I liked Skyfall and i liked No Time to Die, but this one was really incredibile even because the choices they made, especially in creating a Bond more serious.
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I think that esthetically, « Skyfall » upgrades the Craig era to its top, certainly due to the fantastic work of Roger Deakins. But « Casino Royale » is a romantic page ending with a tragedy that any other episode won’t be able to equal. Definitely in the top five of all Bonds.
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