INDIANA JONES et le Cadran de la Destinée

Eurekatastrophe

« Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c’est la loi.
Le jour décroît ; la nuit augmente, souviens-toi !
Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide. »

Charles Baudelaire, « L’Horloge » in Les Fleurs du Mal, 1857.

Après le triomphe des « Aventuriers de l’Arche Perdue », Steven Spielberg tenait absolument à revivre l’aventure dans « le Temple Maudit ». Il ne se voyait pas pour autant réaliser les épisodes 3 et 4. Ce n’est finalement qu’au cinquième round, après la relance de la franchise sous bannière Disney et moults péripéties de développement, qu’il jette son chapeau de réalisateur et part pour d’autres croisades (George Lucas ayant lui déjà abandonné la quête depuis belle lurette pour se consacrer à son propre musée). C’est finalement James Mangold qui le ramasse, et relève le défi de projeter Harrison Ford, quatre-vingts coups de fouet bien claqués, dans un nouveau (et ultime ?) « Indiana Jones et le Cadran de la Destinée ».

Si la perspective de sortir une fois encore Indiana Jones du placard des antiquités ne donnait pas particulièrement le frisson, il y avait beaucoup à espérer de la nouvelle recrue à la tête du projet. James Mangold avait en effet su admirablement se débrouiller d’une commande super-héroïque en dirigeant « The Wolverine », et avait même offert dans la foulée une sortie magistralement crépusculaire à « Logan ». Sous la coupe de Kathy Kennedy et Steven Spielberg, il reprend la main sur les scénarii laissés en friche par David Koepp. « J’ai écrit plusieurs versions du script avec Steven, disait-il en 2020. Mais quand il a décidé de partir, il me semblait plus juste de laisser Jim proposer sa lecture en écrivant le script lui-même ou en choisissant son propre scénariste. » Mangold s’attache alors les services de Jez Butterworth, son co-pilote sur « Le Mans 66 », et fonce tête baissée dans ce projet qui pourrait bien se crasher comme un bolide dans le parapet des Hunaudières. On sait ce qu’Indiana Jones doit à James Bond, et cela tombe bien, Butterworth a travaillé sur « 007 Spectre ». La déception que fut cet épisode de l’ère Craig n’est toutefois pas un gage des plus rassurants, ce que confirme assez tôt « le Cadran de la Destinée ».

Cela ne commence pourtant pas trop mal avec le traditionnel prologue qui nous ramène cette fois en pleine Seconde Guerre mondiale, lorsque les Nazis (toujours eux), pourtant en pleine déconfiture sur le front, poursuivent leur entreprise de pillage archéologique. La tête couverte d’un sac et solidement ligoté, on retrouve Indiana Jones une fois de plus en mauvaise posture. Tout comme Spielberg l’avait fait pour ses « Raiders », Mangold retarde notre découverte du visage de l’aventurier, laissant le spectateur dans l’expectative quant aux miraculeux effets de jouvence du numérique. Il faut bien avouer que le résultat est plus que bluffant. Harrison Ford est bien là, face à nous, dans la force de l’âge, resplendissant d’insolence et d’ironie (« Vous êtes allemand Voller, n’essayez pas d’être drôle », digne du meilleur OSS 117), prouvant à ses ennemis qu’il est encore plus vert que tous ces gris. Ce sera justement l’occasion de faire connaissance avec l’antagoniste du film confié à Mads Mikkelsen, parfait dans son rôle de savant reich-ciste, profitant au passage lui-aussi d’une petite retouche de deaging. Cette introduction enlevée et surtout fortement teintée d’humour (à base de side-cars, de train filant à toute vapeur et de casque allemand trop petit façon « Grande Vadrouille ») donne pourtant quelques indices sur les travers et les pièges dans lesquels va tomber ensuite l’archéologue au chapeau.

L’enchaînement des péripéties improbables relève désormais d’une mécanique qui ronronne, un engrenage auquel il manquerait les pièces essentielles pour tourner à la bonne vitesse. Il faut dire que le scénario, à l’instar de ce nouveau McGuffin appelé Antikythéra, semble dater des archives d’Archimède. Même propulsé à la fin des années 60, le héros qui n’est plus très rock’n’roll, lui qui pourtant détonait en 36, sanglé dans son arrogante veste de cuir. Le corps flasque et les cheveux gris (l’acteur qui n’hésite pas à nous dévoiler les ravages du temps sur son physique), une plaque dans un genou et des vis dans l’autre, papy Jones semble profilé pour l’EPHAD, sans pour autant s’en ressentir à mesure que le scénario se développe. Echappant au grand galop à ses poursuivants durant la parade d’Apollo 11, Ford/Jones épatera même les trois Space Cow-boys qu’il croise furtivement sur son chemin.

Tel Logan avec la petite mutante griffue, Indy trouve sa motivation chez une filleule oubliée, la screwball girl de service, la vénale Helena, une aventurière de rechange avec laquelle il faut compter désormais. Phoebe Waller-Bridge apporte énormément à ce film par la franche roublardise de son personnage, et un physique qui tranche nettement avec celui des Lara Croft habituelles. Son capital sympathie et quelques répliques bien senties rehaussent heureusement un script sans intérêt, qui pêche lourdement par son contenu aseptisé, cherchant à nous persuader, de poursuites en fusillades, qu’Indiana Jones n’est pas une antique relique du film d’action. Las, le film s’étire inutilement là où, au contraire, il devrait mettre un bon coup d’accélérateur.

« Je ne peux pas être Steven – c’est le Mozart du cinéma ! admet Mangold pour Cinéma Teaser. Mais là j’ai au moins pu jouer avec son orchestre. » Car s’il y a bien quelque chose qui ne vieillit pas dans la saga, c’est la musique de John Williams. Et heureusement, qu’elle est là pour tirer le spectateur de sa torpeur ! Il semble bien loin le temps des « Aventuriers de l’Arche Perdue » où une action chassait l’autre pour mieux alimenter le moteur d’une histoire qui ne s’embarrassait pas de fioritures. Ici, on règle ses comptes entre deux cascades en tuk-tuk, on se donne des nouvelles alors qu’on est suspendu dans le vide, on lave son linge sale en famille au volant d’une Fiat 500 emportée dans une autre « Mission Impossible ». Et n’oublions pas d’ajouter à la déco quelques insectes, des serpents de mer qui n’effraient plus personne, deux ou trois squelettes au fond de l’eau, … Bref, rien de comparable à ce qu’on pouvait voir autrefois, faudrait pas choquer les enfants de la nouvelle génération.

Ceux-ci pourront (ou pas) s’identifier à l’indispensable ado nommé Teddy, un gentil gamin des rues qui ne sait pas nager (mais se débrouille quand même pas mal du tout quand il le faut) mais est capable de piloter un avion grâce à un simulateur de vol (bricolé avec les moyens de l’époque). Rien de très glorieux, jusqu’à ce dernier acte étonnant qui nous emmène voir Syracuse. Un étonnant basculement temporel hélas bien trop tardif, qui débouche sur une conclusion émouvante et chargée de nostalgie. Une fin qui ne fait que confirmer ce qui se dégage du reste du film, ce sinistre sentiment que cet Indiana Jones n’est plus de ce temps, entérinant cette pique que lui adresse Helena dans le film : « Jonesy, tu t’es trompé d’aventure. »

 

25 réflexions sur “INDIANA JONES et le Cadran de la Destinée

  1. I enjoyed this except for the last time-travelling act which seemed too preposterous by far. As you say, Phoebe was excellent, a great and original character. Reports that it didn’t do as well as expected don’t take into account the preposteorus budget. No idea why it cost so much. What kind of insanity sets budgets of $250-$300 million and expects to turn a profit. And it is expecting a lot for audiences to rally round a star at the age of 81. Sean Connery packed it in aged 73. Though Clint has managed to keep going.

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    • Hello Brian,
      Well for me, it’s the opposite: the end interested me more because it came out of the ordinary adventures. I found the rest of the action quite boring. The budget must have been used mainly for the rejuvenation of Harrison Ford. It is time to understand that the resurrection of these old franchises no longer arouses in the public only a vague curiosity, and that the excitement caused by « Top Gun: Maverick » was perhaps a special case.

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  2. J’adore Phoebe WB, mais son perso de Fleabag m’a tellement marquée, qu’à chaque (loooooongue) séquence, je m’attendais à ce qu’elle se tourne vers le public et commente les actions de papy Indy. C’est dire si j’ai été déçue ^^
    Le seul qui arrive vraiment à tirer son épingle du jeu, c’est ce très vilain matou de Mads, jeune ou vieilli, j’ai posé une option.
    Et les mioches, à l’école, bon sang ! (ou 30 ans après, ils reviennent faire leur cirque pour pécho un oscar…)

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    • Je découvre Phoebe Waller-Bridge et dans le film c’est elle que j’adore. Les deux persos principaux m’enthousiasment plus qu’aucun autre (les autres faisant tous de la figuration). Et cette relation Helena Indiana plus intéressante également que les péripéties proposées avec beaucoup de radotage. Au final, ça se tient tant bien que mal et content que ce soit cette aventure qui boucle la saga plutôt que le crâne précédent.

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      • Je ne suis pas totalement de ton avis. J’aime bien le personnage d’Helena, je la trouve magnifiquement servie par Phoebe Waller-Bridge, mais je n’arrive pas à croire à cette filleule qui débarque soudain et entraîne Indy dans de nouvelles péripéties au seuil de la retraite. Et puis ces histoires de famille disneyennes commencent à me fatiguer sérieusement. Je crois au contraire que le seul à même de m’intéresser sur le sujet reste Steven Spielberg. Et quand bien même son « Crâne de Cristal » fut très médiocre, on y voyait tout de même un type se faire dévorer par des fourmis. Rien de tel dans ce trop propre « Cadran de la Destinée ».

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  3. On ne m’enlèvera pas l’idée que pour filmer un héros qui vieillit, seul Clint s’en tire magistralement. Pas de bricolage numérique chez lui. La rage peut être encore là (‘Impitoyable’, ‘Gran Torino’), mais c’est le corps qui ne suit plus.

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  4. Rien que l’idée de voir Harrison Ford une nouvelle fois en Indiana Jones, j’ai dit : ça sent le roussi.
    La bande annonce m’a suffit. Je n’ai même pas été jusqu’au bout.
    Quitte à le voir jouer Indi, il aurait peut-être été plus judicieux de le mettre dans une maison de retraite où il raconte sans cesse, ses aventures. Mais bon, je ne suis pas scénaristes et encore moins dans la logique de raviver des franchises parce qu’elles ont fonctionné il y a… 40 ans.
    Un peu de nouveauté, bon sang !

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  5. Sur l’ensemble ça reste basique, ils ne se sont pas si foulés que ça, plusieurs passages sont pompés sur les précédents opus, le rajeunissement numériques restent bof, mais le côté nostalgie fait son effet, et bon point pour la fin…

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    • J’ai trouvé ce rajeunissement numérique particulièrement bluffant pour ma part. D’ailleurs, ce n’est pas pour nous rassurer sur la suite car bientôt on fera revenir des acteurs morts, on fera jouer un acteur dans un film sans qu’on ait besoin de le faire venir sur le tournage, sans avoir besoin même de le payer pourquoi pas…

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  6. Un bien lointain souvenir que cette « mauvaise aventure » !
    Le timing n’est pas idéal pour renouer avec ce qui a fait la force du personnage, qui aurait bien voulu garder la vigueur de Roger Murtaugh dans l’Arme Fatale. L’écriture de Mangold est malheureusement aspirée par le grand défi technique qu’est de remettre en selle ce fond vieux Indy-Ford qui a du mal à quitter son divan. L’aura est bien étrange autour de ce film qui ouvre sur le rajeunissement de l’archéologue, un évènement hors du temps, qui admet des séquences assez alléchantes pour ne pas dérailler trop rapidement.
    Hélas, l’appel de l’aventure, sous le couvert d’une relation familiale biscornue, m’a définitivement achevé. Cette aventure appartenait probablement à sa filleule mais bien dans un autre film, un autre contexte.
    L’espoir était pourtant de mise avec Mangold aux commandes, mais les mains de Mickey restent encore trop grandes, même pour ce cinéaste averti !
    Comme pour beaucoup de ses trophées ramenées de ses aventures passées, il est sans doute temps de le laisser se reposer au musée.

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    • Comme toi, je pensais que Mangold s’en sortirait autrement. On devine qu’il fait son possible mais hélas le cahier des charges du cinéma mainstream formaté par Disney est devenu trop rigide. On se consolera en revoyant les anciens épisodes où toutes les audaces étaient encore possibles.

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  7. Ton avis confirme mes craintes, mais de toute façon, la question ne se posera même pas chez moi (inutile d’attendre donc mon avis), j’ai décidé purement et simplement de boycotter de ce qui sort de chez Disney. C’est comme ça, un raz le bol qui a atteint sa limite (comme Disney vu qu’ils sont en train de bien foncer dans le mur, oh joie haha).

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  8. Sa place est-elle dans un musée?

    Je pense qu’il est temps de laisser Indy tranquille.

    20 premières minutes au top, on retrouve le ton de la franchise, le deaging est vraiment pas mal ! Humour, baston etc

    Ensuite …. ba c’est la suite ….

    Dans le 4 encore, Harrison Ford tenait la route mais là….

    Trop de courses poursuite, le cahier des charges Disney, facilités scénaristique (ou comment justifier l’absence d’un personnage sans se prendre la tête).

    Concernant la filleul de Jones, pour moi c’est comme un sac de sables qui voudrait remplacer une idole sacrée, ça marche par moment mais ça ne la remplacera pas.
    Perso j’accroche pas, trop surjoué à mon goût.

    Puis vient la fin ou je ne sais pas si je dois rire ou pleurer……. SPOILER ALERT……..

    L’arche d’alliance, la secte, le graal, E.T et maintenant retour vers le futur…

    Indiana Jones aurait trouvé le faucon millenium dans une forêt et aurait pris Chewbacca pour le big foot aurait été plus crédible (bon c’est l’histoire d’une BD crossover)

    Indiana Jones c’est comme star wars, le crane de cristal est pas si mal en fin de compte.

    Les meilleures formules sont les trilogies finalement.

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    • Je ne peux que valider tout ce que tu écris. J’aime bien la métaphore du sac de sable car elle montre effectivement que le temps s’écoule dans le sablier et que, au fil des ans, la formule a fini par se dégonfler.
      Je suis moins sévère sur la fin car je trouve, toute ahurissante soit-elle, qu’elle apporte finalement un peu de fantaisie dans le train-train (c’est le cas de le dire au début) des péripéties. Je n’ai pas tenté de revoir le 4 pour comparer, mais comme je l’ai écrit plus haut, s’il n’est sûrement pas bien mieux, il était au moins un peu plus méchant (dans mon souvenir).

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  9. This is the only Indy movie I did not see in the theaters. Personally, I thought Last Crusade was a perfect book end to the series. It’s a ’80s franchise through and through, so they should have left it alone. But I love Harrison Ford, so I will end up watching it. Your review is excellent! Good job!

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    • Many thanx Eric,
      You’re absolutely right, the Indy story should have end up with the Crusade. But nostalgia is a disease corrupting the heart and it was so tempting to wake up the hatman. It makes me feel like he’s like the cat back from the dead in Stephen King’s Sematary.

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  10. Bon, il va donc falloir aussi sauter une ou deux décennies (voire attendre qu’HF ne soit plus de ce monde) pour le revoir avec nostalgie… (mais peut-être qu’alors il y aura eu une ou deux suites intégralement en images de synthèse et sans acteurs « humains », cette couteuse hérésie…).
    (s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola

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    • J’avais placé beaucoup d’attente dans cet épisode, sachant que James Mangold était à la manœuvre. mon enthousiasme a été quelque peu douché comme tu l’as sans doute lu.
      Personnellement, je crois que l’échec de cette franchise usée, et le retour en grâce de films plus ambitieux cet été (« Oppenheimer » entre autres) montre que le public (de notre génération je pense) attend désormais autre chose au ciné. Et ce n’est pas plus mal finalement. Il faut savoir tourner la page, tout en revoyant avec le même plaisir des belles heures d’Indy dans ses trois premières aventures.

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