Le DEUXIEME ACTE

Rôle caméra

« J’ai toujours voulu savoir ce que c’était exactement que l’cinéma. »

Jean-Paul Belmondo dans « Pierrot le Fou », Jean-Luc Godard, 1965.

Ils sont rares les réalisateurs capables aujourd’hui d’enchaîner les films comme on le faisait naguère. Parvenir à sortir six films en quatre ans est aujourd’hui un exploit que sans doute seul Quentin Dupieux est capable de réaliser, tout en ayant toujours un sujet intéressant à aborder. Dans « Fumer fait tousser », où le ridicule tuait finalement moins que les idées noires qui s’en dégageaient, il annonçait un « changement d’époque en cours ». Nous y voici, entrés de plain-pied, le rideau s’ouvre sur « le Deuxième Acte », difficile de deviner vers quel théâtre il va nous cornaquer…

Depuis longtemps, la question de la place des films dans nos vies taraude l’Oizo moqueur. Depuis qu’il évolue dans le cinéma, et à mesure que son étrangeté fait son nid dans le cœur des cinéphiles et des spectateurs de plus en plus curieux, Quentin Dupieux retourne ses histoires en tous sens pour en comprendre la teneur fondamentale. A y regarder de plus près, ses films sont moins des histoires absurdes et insensées que des mises en abyme du médium dont ils sont le produit. Certains pourraient taxer cette démarche de méta-cinéma qui tourne à vide, pour Dupieux ce n’est qu’une manière tout à fait singulière (et sans doute bien farfelue) de ressasser, de formuler en mots et en images, avec ses moyens modestes, le fruit de ses ruminations.

Farouche artisan de l’indépendance créative (il garde la main sur chaque étape de la fabrication de ses films), Dupieux fait ce qui lui plait. Mieux vaut l’accepter car notre « avis personnel n’est pas pris en compte ». On pourrait y voir une forme d’arrogance gratuite exprimée sous la forme d’une litanie de sketchs de comptoir. C’est sans doute avec une certaine ironie qu’il grille l’herbe sous le pied de ces principaux contempteurs en situant le cœur de son sujet dans un bar/restaurant ouvert sept jours sur sept. « le Deuxième Acte », voici l’endroit où tout un chacun peut venir se restaurer, échanger des banalités, se retrouver en famille. Le lieu n’a rien de coquet, c’est même plutôt un rendez-vous sans charme, perdu dans une nature qui, pour une fois, n’a pas horreur du vide.

C’est sur le parking qui lui fait face que vient se garer la Punto bleue de Stéphane, le gérant du lieu qui fait figure de figurant à la main mal assurée. Le trac étrique aussi quand on s’appelle Jouvet. C’est aussi là qu’aboutit le long travelling qui accompagne deux groupes de comédiens marchant sur le fil invisible de la fiction. Dans une mise en scène qui abolit les frontières du off et du in, les personnages montent en friction. Dans ses autres réalisations, Dupieux traversait des tunnels pour signifier un changement de paradigme. Ici, un angle de caméra différent suffit, voire la simple irruption d’une musique jazz dans l’espace diégétique.

Ils sont quatre à suivre la partition, quatre têtes d’affiches du cinéma français qui veulent se tailler une part de lion dans ce projet pour le moins atypique. Louis Garrel est David à l’écran, acteur de lui-même, une sorte de double dans un univers parallèle. Il en va de même pour Florence Drucker (décidément Dupieux fait le malin avec les noms de famille) confiée à Léa Seydoux, ou pour Guillaume Tardieu qu’endosse avec délice un Vincent Lindon gonflé d’égo, et pour Christian/Willy laissé au désormais incontournable dupieusien : Raphaël Quenard et son bagout unique. Tous les quatre vont se prendre le bec entre deux prises d’un film qui n’en vaut pas la peine, une de ces « fictions à la con » que déplore à voix haute et forte un Guillaume particulièrement ronchon (jusqu’à ce qu’un coup de fil providentiel lui redonne foi dans le métier d’acteur).

A ses côtés, Florence tente de garder le cap, de faire le job, le seul pour lequel elle pense avoir du talent. Leur petit numéro nous vaudra des échanges particulièrement gratinés sur la vacuité du septième art, sur le prestige du métier et les choix de carrière, comme si Dupieux jetait un regard sadique et sardonique sur ses acteurs, prenant plaisir à les faire tourner… en bourriques. De l’autre côté, le duo complice Willy et David s’écharpe sur le langage à adopter, sur la conduite à tenir pour ne pas finir « cancel ». « On ne vit pas tous dans le même monde » constate Willy, une phrase que pourrait reprendre à son compte Stéphane, le restaurateur aux idées suicidaires. Il est interprété par Manuel Guillot. Et il a beau avoir déjà plus de vingt-cinq ans d’expérience dans le métier, il n’est pourtant personne aux yeux du public et de ses collègues.

Dupieux transperce l’illusion du star-système avec le concours de comédiens qui acceptent de bonne grâce de devenir ses pantins, obéissant aux consignes sans rechigner comme le faisaient les héros bleutés aux ordres d’un rat répugnant dans un précédent film. Ici, ce n’est pas une marionnette qui tire les ficelles, mais un cauchemar produit par une intelligence artificielle faisant basculer cette fable folle dans l’AI-réalité. Narquois et insolent, le propos de Dupieux l’est peut-être aux yeux de certains, mais il a le mérite de le servir en nous regardant dans les yeux. « On se trompe de sens de lecture » dit David à Florence alors que les caméras sont censées ne plus tourner. La réflexion interpelle, résonne par sa pertinente acuité, mais cette soudaine profondeur métaphysique est immédiatement galvaudée par ce vaurien de Dupieux qui la convertit en stratégie de séduction bien lourde. Pas question de se gargariser dans un discours trop sérieux, même quand il se gorge des problématiques qui rongent le monde du spectacle.

De tout ceci, Dupieux s’en bat le « Steak », et ce depuis la première heure. Sous ses sarcasmes d’amuseur de galerie, il n’adopte aucun surplomb moral, il se plait juste à jouer sur l’imprévisible comme point d’appui de ses contre-pieds. En brouillant les frontières entre l’homme et l’artiste comme il avait su le faire en allant à dada sur son « Daaaaaalí ! », il ne poursuit finalement qu’un seul but : celui de montrer que derrière toutes ces couches de fiction et de fantaisie qui voudraient se prendre au sérieux, on ne doit retenir qu’un principe énoncé par Florence/Léa Drucker/Seydoux : « La réalité, c’est la réalité. Point final. »

28 réflexions sur “Le DEUXIEME ACTE

        • Sinon, pour répondre à ton commentaire invisible, je suis comme toi attentif à ce que Dupieux ne s’emballe pas et ne se grille pas dans un projet qui ne lui correspondrait plus. Je crois qu’il tient à son indépendance et, même suite au succès de ses films récents, je ne pense pas qu’il se laisserait séduire par les sirènes d’un cinéma plus fastueux.

          Mais attendons de voir, je crois que Meryl a beaucoup aimé son film. Paul Thomas Anderson est peut-être prêt à produire son prochain ? 😉

          J’aime

          • Si Meryl et PTA sont sur le coup, il faut qu’il garde le contrôle le piaf.
            C’est tellement drôle Lindon qui s’emballe pour PTA ! Entre autres drôlitudes du film évidemment.
            Je poste mais ne m’éternise pas… Pas envie d’être éjectée !

            Aimé par 1 personne

  1. Ne tirez pas sur le merle moqueur ! Il est bien cet Oizo ! Il met un peu de différence dans un cinéma parfois trop standardisé/formaté pour plaire aux foules.

    Pas encore vu cette dernière production mais après cette chronique, ça donne plutôt envie !

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire