Le juge et les assassins
« Pour moi, le plus important, c’est la créativité, parce que dans le cinéma, on fait toujours la même chose. Nous devons chercher à faire quelque chose de différent, sinon pourquoi copier les autres ? Pourquoi autant de travail pour faire la même chose ? »
Tsui Hark
« Les bonheurs inattendus sont les plus grands ! »
Robert Van Gullik, meurtre sur un bateau-de-fleurs, 1960.
Cent fois sur le métier, remettez votre ouvrage. Cette maxime conviendrait à merveille à l’œuvre de Tsui Hark tant il n’aura cessé tout au long de sa prolifique carrière d’inventer des formes. Alors qu’il a atteint les soixante-dix printemps, celui que l’on surnomme le « Spielberg chinois » semble avoir rajeuni avec son nouveau héros en costume. Il a, en effet, pour le servir un chevalier des plus perspicaces, un enquêteur devenu mythique. Après avoir percé le mystère de « la Flamme Fantôme » et bu la tasse entre les griffes du « Dragon des Mers », voici désormais « Détective Dee : la Légende des Rois Célestes ».
Sur la Chine du VIIème siècle, régna une impératrice du nom de Wu Zetian qui marqua la mémoire de tout un peuple. Cette authentique souveraine domine la trilogie « Detective Dee » comme un repère historique aux contours troubles. Elle s’était en effet faite une place en n’hésitant pas à assassiner sa propre fille pour faire accuser sa rivale, puis à faire trucider ses fils de peur qu’ils ne revendiquent sa place à la tête de l’Empire. Une charmante personne. Non content de se savoir si cruelle, elle se croyait hantée par des fantômes au point de pratiquer en secret un certain nombre de rituels magiques pour se défaire de ses démons intérieurs. « S’il s’emparent de toi, il est impossible de t’en défaire » dit le sage que consulte Dee Renjie au début du film.
Le héros incarné pour la seconde fois par l’acteur Mark Chao doit en effet se prémunir des mêmes tourments, conjurer plutôt que se laisser abuser. Depuis qu’il lui a sauvé la vie dans la précédente aventure, le Détective a obtenu les grâces de l’empereur Gaozong. Ce dernier l’a placé à la tête du prestigieux Temple Suprême, chargé d’effectuer des opérations de police dans la capitale. Mais Dee est surtout désormais dépositaire d’une arme extraordinaire connue sous le nom de Dragon Docile, taillée dans un bloc de météorite aux vertus destructrices. Ce gage de confiance est évidemment un immense honneur, mais il ressemble aussi à un cadeau empoisonné. Aux yeux de l’impératrice, comme à d’autres comploteurs mal intentionnés, il devient le centre de toutes les attentions, l’homme à abattre.
« Nous avons mis nos expériences de la vie moderne, car il y a un lien entre ces histoires et notre vie. » confesse Tsui Hark tout en demeurant nébuleux sur les écrans de fumée dont il parsème son scénario. Dans cette troisième aventure, tous ou presque avancent masqués, le simulacre devenant ainsi la règle lorsque l’on fraye avec le prestige. L’impératrice aux manigances, toujours confiée à l’impressionnante Carina Lau (l’ex-égérie de Wong Kar-wai se souviendrait-elle de « nos années sauvages » ?), va même jusqu’à recruter une bande de magiciens louches, quitte à mettre sur la touche le fidèle général Yuchi Zhenjin, toujours incarné par l’admirable Shaofeng Feng. « Quelques tours rapportent plus que des mois de travail » constate un des personnages qui voit la capitale changer de visage.
L’illusion prend le pouvoir, emportée par les épiques symphonies du nippon Kenji Kawai. Elle se fond merveilleusement dans les décors de studio, devient l’attirail des fourbes, l’arme de ceux qui se plaisent à piéger les apparences. Cela vaudra à l’image quelques tours de passe-passe assez ébouriffants de la part de la clique des prestidigitateurs, avant une montée en puissance qui passe par les inévitables joutes en apesanteur et les jets d’armes volantes non identifiées, jusqu’à l’apothéotique apparition d’un singe et d’un géant, d’un poisson zen et d’un dragon cracheur de feu, véritable festin numérique comme sorti d’une « montagne magique » dont les prodiges n’ont rien à envier à ceux du mage Mysterio (celui qui causa tant de fil à retordre à un « Spider-man far from home »). Tsui Hark ne se refuse rien et c’est précisément lorsqu’il bascule dans la jubilation fantaisiste qu’il se montre le plus impressionnant.
Le facétieux réalisateur se reconnaît volontiers tel un enfant indocile et turbulent, il ne conçoit son cinéma qu’en mouvement, cherchant dès que possible à mettre le spectateur sens dessus-dessous, à ébranler les équilibres. C’est précisément ce que fait le strange docteur Zhong (qui est à Dee ce que Watson serait à Holmes) dès qu’il pénètre dans le sanctuaire bien trop ordonné du bonze Yuan Ce, maître à penser du bon Détective : il ôte une des pierres savamment empilées sur un édifice symbolique provoquant ainsi son effondrement. Peu avant, le metteur en scène a placé son héros super en bien mauvaise posture, perché en haut d’un mat, quitte à le voir chuter lourdement. Tsui Hark n’est pas tendre avec ses sujets, il est ce Roi Céleste qui soumet tous les personnages à ses propres lois physiques, tout en évitant les chausse-trappes manichéennes du scénario.
Cette nouvelle redistribution des forces rend possible les renversements d’alliances, et même la menace d’une conjuration doit pouvoir se comprendre à la lueur d’une rancune légitime. Ce prodigieux maelström qui ne s’autorise plus de limite propulse la « féérie du complot » (selon les termes parfaitement trouvés par Jean-François Rauger dans le Monde) au firmament de la saga, bouclant la boucle d’une trilogie à la chronologie chahutée mais qui ne compte pas en rester là. « Nous suivons un chemin battu par les vents. Qui peut dire ce que l’avenir nous réserve ? » nous prévient déjà le Détective Dee. On imagine déjà le meilleur.
Cette série de films est vraiment très sympa…
J’aimeAimé par 1 personne
Oui, grâce à une mise en scène spectaculairement débridée comme sait le faire habituellement Tsui Hark, toujours mené avec une vélocité incroyable. Il parvient à allier enquête et action avec une remarquable fluidité.
Merci de ton passage.
J’aimeAimé par 1 personne
J’aime beaucoup cette trilogie, excellente critique comme d’habitude.
J’aimeAimé par 1 personne
Un sans faute de la part de Tsui Hark sur cette trilogie qui semble monter en puissance. C’est une réponse brillante aux spectaculaires blockbusters venus des US.
Merci beaucoup pour ton commentaire.
J’aimeAimé par 1 personne
De rien, en revanche je viens d’y penser, t’aurais peut être dû préciser que dans ce troisième volet, le personnage de Dee est finalement assez peu présent par rapport aux deux autres films. C’est ce qui m’avais frustré à l’époque, qu’on suivent d’avantage le rival et la méchante Reine. Mais ce n’est qu’une question de point de vue.
J’aimeAimé par 1 personne
Je ne l’ai pas trouvé moins présent, il l’est plus que dans le deuxième volet qui faisait la part belle au général Zhenjin. Il est au contraire la cible, focalisant l’attention à cause de cet artefact dont il se retrouve dépositaire. La reine, c’est vrai, prend une autre dimension, à la fois cruelle et implacable mais reconnaissante, un subtil dosage qui dit aussi beaucoup sur la manière dont s’exerce le pouvoir aujourd’hui.
J’aimeAimé par 1 personne
Bah tu vois pour moi, c’est complètement l’inverse. Dans le second c’était leur rencontre, leur rivalité qui était mise en avant, alors que dans ce troisième film, j’ai plus l’impression que Tsui Hark en à fait une espèce de Mcguffin vivant comme Luke dans Star Wars 7.
J’aimeAimé par 1 personne
Luke dans « le réveil de la force » on le voit 2 minutes à la fin, Dee est tout de même plus présent ! Et le Mcguffin, ce serait plutôt Dragon Docile. Et je trouve l’idée de mettre l’arme au cœur des enjeux assez intéressante.
J’aimeAimé par 1 personne
Toujours été attiré par cette saga mais jamais eu le temps m’y attarder. Et j’ai toujours pensé que c’était une erreur. Tout comme pour Ip Man…
J’aimeAimé par 1 personne
Je n’ai pas encore tenté la saga Ip Man. Je n’ai vu que « The Grandmaster » de Wong Kar Wai, inspiré du personnage. Un film magnifique également.
Quant à Dee, tu peux foncer, Tsui Hark est un maître.
J’aimeAimé par 1 personne
Bof. J’avais pas aimé le 1er donc je ne suis pas allee voir celui-ci.
C’est tarabiscoté, j’y entrave que pouic.
Toi parler bizarre : l’ex-égérie de Wong Kar-wai souviendrait-elle de « nos années sauvages » ?), va même jusqu’à recruter une bande magiciens louches.
Et puis il y a un général incarnÉe
J’aimeAimé par 1 personne
Tu chinoises beaucoup je trouve.
Mais ton coup d’oeil acéré fait toujours mouche. Presqu’aussi affûté que celui du détective quand il identifie les renégats.
J’aimeJ’aime
Un dernier volet toujours aussi brillant. Tsui Hark se fait plaisir avec la 3d notamment dans son climax. Le casting est toujours aussi talentueux. A voir s’il y aura un nouvel opus, le film n’ayant pas bien marché en Chine.
J’aimeAimé par 2 personnes
Je me doutais qu’un grand amateur comme toi du maître hongkongais serait de mon côté. 😉
Pas cartonné en Chine, pas davantage dans le monde je crois.
Mais Tsui Hark n’a pas l’intention de lâcher son juge, et on sait avec la série « il était une fois en Chine » qu’il a de la ressource.
J’aimeJ’aime
Malheureusement avec Il était une fois en Chine, il n’a pas vraiment su s’arrêter. Mais là un quatrième volet ne serait pas forcément de trop.
J’aimeAimé par 1 personne
Et ce ne sont pas les romans de Van Gulik qui manquent !
J’aimeJ’aime
Surtout que même si nous connaissons la chute, ce serait vraiment intéressant de voir comment cela s’est passé entre l’impératrice et Dee.
J’aimeAimé par 1 personne
Ah d’accord…merci pour tes précieux conseils, l’imaginaire de cette saga donne vraiment envie.
J’aimeAimé par 1 personne
Tu peux te laisser tenter, dans l’ordre de ton choix en plus. 😉
J’aimeAimé par 1 personne
Très bonne série que ces « Détective Dee ». Du divertissement de qualité et grand public, à savourer dans sa belle 3D.
J’aimeAimé par 1 personne
Je n’ai hélas pas pu profiter de ce troisième épisode en 3D. Je le regrette bien, ce qui ne retire rien au plaisir que j’ai pris à le visionner.
J’aimeAimé par 1 personne
J’ai un peu plus de mal avec le troisième volet mais j’ai quand même pris mon pied et c’est sans rechigner que je me prêterai à un second visionnage. Joli trouvaille que cette citation de Tsui Hark au début de ton article : c’est exactement ce qu’on pense de lui quand on regarde cette surprenante trilogie.
J’aimeAimé par 1 personne
Mes proches avec qui je l’ai visionné ont aussi préféré les deux précédents, tandis que moi je jubilais devant cette féérie apothéotique. Cela reste du grand spectacle de haute qualité, où la griffe de Tsui Hark reste bien visible.
Cette citation provient de l’interview disponible dans les bonus du blu-ray. Je trouve qu’elle illustre parfaitement la philosophie de ce bourreau de travail.
Merci pour ton retour.
J’aimeAimé par 1 personne
Merci beaucoup Princecranoir, j’ai vu les deux premiers et j’ai beaucoup apprécié. Peut-être arriverai-je à voir celui-ci ici, je vais essayer !
J’aimeAimé par 1 personne
Cet épisode s’inscrit dans la parfaite lignée des deux précédents (très exactement et chronologiquement entre le 2 et le 1) et ne devrait pas décevoir.
Bon film 😉
J’aimeJ’aime
Piouuu ça faisait longtemps que je n’étais pas passée. Toujours aussi agréable de te lire ! Connais pas du tout ce film
J’aimeAimé par 1 personne
Merci 😊
Une perle asiatique à découvrir alors. 😉
J’aimeJ’aime
Bonjour Princecranoir, j’ai beaucoup les trois films même si le premier reste mon préféré. Le plaisir de la découverte. Les effets spéciaux sont magnifiques. C’est magique dans tous les sens du terme. Bon dimanche.
J’aimeAimé par 1 personne
Bonjour Dasola,
Les effets spéciaux en 3D sont bien plus réussis dans ce troisième volet, mais le premier conserve avec le temps ce charme de la découverte du personnage. Merci de ton passage. Bonne journée.
J’aimeJ’aime
Je n’ai jamais tenté cette saga, peur que ce soit un peu too much peut-être…Je ne suis pas encore une grande férue du cinéma asiatique, mais j’ai envie de plus m’y intéresser !
J’aimeAimé par 1 personne
Avec Tsui Hark, il est sur que l’action ne sera pas dans la réserve. Il a toujours proposé un cinéma généreux, vif et ébouriffant (je te renvoies aussi à la lecture de mes articles sur le Festin Chinois Time and Tide). La série Détective Dee est sans doute la meilleure entrée dans son univers, un tremplin idéal vers ses œuvres de jeunesse à la fantaisie débridée.
J’aimeJ’aime
Alors je commencerai sans hésiter par cette saga 😃
J’aimeAimé par 1 personne
Vu la piètre qualité des deux précédents opus, je n’ai pas vraiment envie de perdre 2h devant ce film… 😦
J’aimeAimé par 1 personne
Effectivement, si tu n’as pas adhéré aux deux autres, mieux vaut passer ton chemin.
J’aimeAimé par 1 personne
Autant j’ai aimé plusieurs de ses anciens films, autant ses dernières productions (avec leurs abus d’images de synthèse) ont perdu de leurs magies.
J’aimeAimé par 1 personne