ZODIAC

Psycho killer, qu’est-ce que c’est ?

« Dieu a créé certains hommes pour être des poètes, de certains autres il fait des rois ou des mendiants. De moi, il a fait un chasseur. »

Zaroff dans « The most dangerous game » de E. B. Schoedsack et M. C. Cooper, 1932.

« Where do we go when motive becomes elusive ? »

Mindhunter, saison 1, épisode 1, 2017.

Décembre 2020 : le Z340 vient enfin de révéler son contenu. Pour casser le code, ils s’y sont mis à trois : un logisticien belge, un mathématicien australien et un informaticien américain, pendant près de quatorze ans. « J’espère que vous vous amusez bien à essayer de m’attraper » écrit l’auteur pervers de ce message qui secoua l’Amérique des se7enties, qui mit en branle toutes les polices de Californie et défraya la chronique dans les rues de San Francisco. Derrière ce message se cache le « Zodiac », insaisissable tueur en série dont Robert Graysmith tira un livre-enquête, qui lui-même engendrera un film fascinant sous la gouverne de David Fincher.

Dans les journaux, on trouve toutes sortes de choses : du fait divers, la rubrique nécrologique, une tribune libre, l’horoscope et même des mots croisés. Et puis parfois, un évènement compile le tout. Il accapare l’attention, mobilise toutes les forces vives, focalise toutes les énergies disponibles. Le Zodiac aime faire parler de lui, et pour ce faire s’adresse directement à la presse d’où il met au défi la police. A l’instar de Fincher, il sait faire sa pub. En guise de divertissement, il « s’amuse à tuer des gens ». Tueur cinéphile, il se croit dans un film dont il serait le réalisateur. Il frappe tous azimuts et promet même le pire : l’idée de s’en prendre à un bus scolaire restera heureusement sans suite, si ce n’est sous le pseudo fictif de Scorpio que « l’Inspecteur Harry » finira au Magnum dans le fameux film de Siegel.

Ayant grandi dans les parages, David Fincher se souvient bien de cette époque anxiogène. Lui-même a pris un bus escorté par la police pour se rendre à l’école, et pique-niqua sur les rives du lac Berryessa où fut commis le troisième forfait de l’introuvable criminel.  De là peut-être est née cette passion pour les tueurs à énigme (ils inspireront au moins deux autres de ses films et, naturellement, une série), pour les jeux dangereux (« the Game ») et pour les lignes de code (« the Social Network »). Un « screaminel » qui puise son inspiration dans des scénarios de films (Z comme Zaroff ?), voilà un dossier qui revenait de droit à Fincher, le sujet était pour lui. Il ne se fera pas prier quand le script de James Vanderbilt parviendra entre ses mains (« c’était un peu comme courtiser la plus belle fille de la classe : au pire, elle peut refuser et c’est tout » racontait le scénariste). Bien avant qu’il ne réalise « Mank » (une autre affaire de dissimulation), « Zodiac » ressemblait déjà à un hommage à son père journaliste, plongeant sa caméra dans la tourmente d’une rédaction. Chaque cadre, chaque détail, chaque accessoire se veut d’une redoutable précision, une réalité aux invisibles coutures numériques qui trahit le versant maniaque du réalisateur (sans doute contaminé par son sujet). Sur le plateau de tournage, « c’est comme si vous étiez réellement au cœur de l’enquête » se souvient Donal Logue qui joue le rôle du capitaine Narlow (aucun lien avec l’enquêtrice à la chapka).

Fincher se replonge dans l’affaire à corps perdu, près de trente ans après le dernier signe de vie du tueur. Il remonte le fil, exhume les indices des cartons, trouve des pièces manquantes qui donnent à ce cold case bien plus qu’un goût de réchauffé, une saveur nouvelle. S’appuyant sur la thèse élaborée par Robert Graysmith dans son livre, il remonte jusqu’au soir de l’un des premiers crimes, là où, peut-être, se cache une des clés de l’énigme. Darlene passe prendre Michael pour l’inviter à partager un burger chez Ed’s. Trop de monde en cette soirée du 20 décembre 1968. Elle poursuit sa route jusqu’au parking du golf de Blue Rock Springs. Cette fois, ils sont seuls. Quand une voiture vient se garer derrière la leur, elle ne s’emballe pas plus que ça. Elle ne démarre pas la voiture, malgré les injonctions de Michael qui, lui, pressent le danger. Est-elle complice ? On ne le saura jamais car elle succombera à ses blessures, plusieurs balles de P 38, une des armes favorites du Comte Zaroff. La chasse est ouverte, et dans certains comtés de Californie, elle dure encore.

Au fil des modes qui passent, des gratte-ciels qui poussent au plein cœur de San Francisco, des Charts dont il égrène les titres pour constituer la trame musicale de son film (du psyché « Hurdy gurdy man » de Donovan au « I believe » des bien nommés Tears for Fears), Fincher déploie « Zodiac » comme une immense mappe complexe : lieu, dates et noms des protagonistes composent la toile d’une intrigue étourdissante dans laquelle les pistes foisonnent, un afflux d’informations qui finissent par perdre les protagonistes. Certains d’entre eux n’hésitent pas à rejouer la scène tel Dave Toschi, inspecteur de la brigade criminelle à la SFPD, qui reste dans l’ombre des projecteurs pour souffler ses conseils à Mark Ruffalo qui interprète son rôle. Pas très loin de lui, Robert Downey Jr donne la réplique à son futur compagnon « Avengers », ici plutôt en mode Al Pacino pour camper Paul Avery, le fantasque journaliste du San Francisco Chronicle. Un peu plus loin, Jake Gyllenhaal se fait discret dans le rôle de Graysmith, la tête froide mais l’obstination bien réelle, complètement sous l’emprise de ces signes opaques qui renferment peut-être un indice clé. Fincher nous montre comment il devient le scénariste de son propre film d’horreur, recoupant l’histoire en tous sens, une théorie chassant l’autre, jusqu’à se faire une vraie frayeur en allant questionner un témoin plus qu’étrange par une nuit pluvieuse. Le réalisateur va même jusqu’à offrir à Brian Cox (le Dragon Rouge du magnifique « Manhunter ») un rôle d’appât à la télévision.

Fincher démontre aussi que les victimes du « Zodiac » n’ont pas toutes été face à lui : petit à petit, les chasseurs deviennent gibier, les limiers s’abîment dans une obsession destructrice qui aura finalement raison de leur vie de couple (Chloë Sevigny, qui joue la femme de Graysmith, en fera les frais, comme Paltrow dans « Seven », ou l’épouse de Bill Tench dans « Mindhunter »), voire de leur santé mentale. Une ombre permanente semble menacer chaque enquêteur, dissimulant irrémédiablement l’identité du criminel qui, pourtant bien des fois, s’approche au plus près de la caméra. C’est à ce moment que l’art d’Harris Savides, le chef opérateur, fait des merveilles, épaississant les ténèbres pour empêcher toute identification. Pas question pour le réalisateur de faire des révélations, il s’en tient à la thèse de l’auteur. David Fincher nous abandonne donc dans la nuit de l’incertitude, la permanence du mystère constituant peut-être le signe distinctif de ses meilleurs films.

55 réflexions sur “ZODIAC

  1. Oui un grand film Qui nous abandonne dans le flou de l’incertitude. J’ai entendu que Fincher avait poussé le vice à demander à plusieurs de ses acteurs (+/- suspects dans le film) de doubler le tueur lors des scènes où on l’aperçoit très largement… pour laisser le spectateur en proie au doute.

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    • Oui, on a vraiment l’impression d’un réalisateur aussi obsédé par cette énigme que les personnages du film. Son obsession va jusqu’à une reconstitution minutieuse des lieux, soit en utilisant le numérique, soit en déplaçant non pas des montagnes, mais des arbres par hélico sur les rives du lac Berryessa ! ça me rappelle les cahiers manuscrits du tueur de « Seven » qui coutèrent 15 000 $ à la prod pour quelques secondes dans le film !
      Je trouve que son film emprunte aussi à la patine des thrillers paranos des années 70, ceux de Pollack ou de Pakula. Il engage même David Shire (metteur en son de « Conversations secrètes » et « Les Hommes du Président » entre autres) pour composer le score de « Zodiac ».

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  2. Je n’ai pas revu le film depuis sa sortie en salle. Mais le dvd est sur la table depuis quelques temps.

    David Fincher est un réalisateur que j’ai un peu perdu de vue. La faute à cette « mode » des plateformes de streaming. Pour suivre un artiste, une série, tu dois t’abonner à : Netflix, Disney+, Amazon Prime, Apple TV… Sauf que moi je n »en ai ni les moyens, ni surtout l’envie. Le cinéma connait une forte concentration dans sa diffusion, que la crise sanitaire a amplifié. Tout passe entre les mains d’une petite poignée d’industriels. Rien de bon pour la diversité et la liberté de création.

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    • Je suis un peu comme toi face à ces plateformes qui monopolisent des contenus. Pour les séries, je trouve que ce n’est pas si mal. Par contre, elles ne sont pas du tout adaptées au format film qui suppose un autre confort de visionnage.
      C’est pourquoi j’ai regardé ce Zodiac en DVD et sur un grand écran (hélas pas en version Director’s Cut, je n’ai découvert son existence qu’après) et pas dans fourre-tout de chez N (je ne les remercie pas d’avoir mis fin à Mindhunter d’ailleurs).

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      • J’ai lu des choses intéressantes à propos de ‘Mindhunter’, mais jamais vu. Et comme Netmachin n’édite pas de support physique, il me faut me tourner vers des plateformes pirates…
        Pour en revenir à ‘Zodiac’, il se trouve que mon vieux dvd (jamais encore visionné !!!) propose justement le « Director’s Cut ». Aucune idée sur les différences avec la version cinéma. Ton article va me pousser à visionner tout ça (édition double dvd bourrée de bonus) dans la semaine. 😉

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        • J’attends ton retour avec impatience. A priori la version longue vient compléter certaines scènes d’éléments supplémentaires qui ont été éliminés par la production qui trouvait le film trop long. Tu trouveras aussi des compléments sans doute passionnants dans les bonus. Voilà aussi pour quoi le support physique est utile au cinéphile.

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  3. Le mystère est évident puisque jamais retrouvé. Moi j’aurais aimé que ce soit plus appuyé sur une thèse ou deux, façon Oliver Stone. Bien que prenant il manque un truc pour vraiment s’imposer. Fincher a fait que du très bon, mais dans le très bon, celui-ci me semble un chouïa surestimé.

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    • Il y a une thèse, et même un coupable presumé à la fin (celui désigné par Graysmith dans son livre, qui visiblement ne semble pas se confirmer au vu des tout récents décryptages des codes). Stone et Fincher puisent dans le cinéma d’investigation des 70’s pour donner à leur film ce formidable cachet. Je t’invite à le revoir.

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  4. Souvenir d’une séance de cinéma particulière avec ma mère, ce qui est rare pour le souligner. Séance choisi au hasard, car je n’étais pas encore un grand adepte de cinéma. J’ai été cueilli par ce long-métrage et c’est sans doute celui-ci qui m’a poussé à aimer tous les psychokiller 🖤.
    Merci pour cette pointe de nostalgie, je me réserve un dimanche pour le regarder !

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  5. Je peux voir et revoir ce film, c’est toujours la surprise comme si j’oubliais pour mieux le savourer encore.
    Et ce, malgré Mark Ruffalo, l’acteur épais…
    Robert Downey est génial… la scène où il dit à Jake qu’il fouine 🙂 Je suis toujours triste de le voir finir en épave.
    Je ne pense pas que la tête de Chloé finisse dans un colis FedEx 🙂

    près de trente après

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    • La tête de Chloé va bien bien, je te rassure (comment tu spoiles le film que je vais chroniquer bientôt !)
      Pour le coup, c’est moi qui devais avoir la tête ailleurs pour oublier ce mot dans la phrase… Et pourtant j’ai relu plusieurs fois !
      Downey est extra !

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      • Qui ne connaît le sort de la tête de Gwyneth ?
        Toutes les scènes ratées (dans le sens chiantes) peuvent lui être attribuées dans le film dont tu vas parler et où l’on apprend que Brad pue de la gueule (ce qui est impossible compte tenu de son torse). Quelle pleurnicheuse ! La scène où elle confie ses misères à Morgan… un summum d’ennui.
        La voilà rhabillée pour l’hiver 🙂 je m’éclipse.

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  6. J’ai été mitigée devant ce film un peu « foutraque », c’est l’impression que j’en ai gardé, mais avec plein de bons points, la distribution tout d’abord et puis ce sentiment que finalement on ne sait pas comment résoudre le cas (ce qui nous éloigne de l’efficacité des opus hollywoodiens habituels). J’ai aimé l’ampleur qu’il dégageait. Merci pour cette belle critique

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    • Le film foisonne mais il n’est pas si foutraque. Ceci dit, je me souviens que lorsque je l’ai découvert au cinéma, j’ai eu l’impression que le réalisateur me menait par le bout du nez (c’est ce qui ressortait de la critique que j’avais écrite à l’époque – c’est toujours utile de garder quelques archives 😉 ). Mais sans doute m’étais-je un peut trop identifié aux personnages qui sont eux-mêmes les jouets des facéties provocatrices du tueur médiatique, voulant à tout prix se convaincre de l’indiscutable solidité de leurs convictions. Malheureusement, dans une enquête qui n’a pas trouvé d’issue formelle, il faut accepter cet insupportable doute. Là est le prix à payer pour approcher la vérité.
      Merci à toi pour ton passage. Je file sur la muraille lire ton article. 😉

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  7. Le meilleur film de Fincher : c’était mon sentiment quand je l’ai vu à sa sortie et bien que ne l’ayant pas revu depuis, je continue de le croire. Bigrement efficace et fort bien mis en scène. Bong avait montré le chemin avec son formidable Memories of murder et son tueur tout aussi insaisissable.

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    • Je suis bien d’accord avec toi. Le film se voit et revoit toujours avec le même plaisir. La précision de la mise en scène impressionne à chaque visionnage, une véritable science que Fincher maîtrise ici à la perfection, loin des excès visuels dont il fit montre dans ses premières œuvres (encore très empreinte de la culture vidéo-clip). Une direction d’acteurs remarquable que l’on retrouve dans cette fabuleuse série qu’est Mindhunter, malheureusement interrompue trop tôt à mon sens.
      Très bonne soirée Frédéric.

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        • Bonsoir Frédéric,
          Comme tu l’avais peut-être lu dans l’article que je lui ai consacré, j’ai été moins convaincu par « Mank », même si les qualités techniques et la brillante mise en scène de Fincher sont bel et bien présentes. De très loin je préfère la rigueur qu’il apporte à la série « Mindhunter », ou bien à ce « Zodiac » étourdissant. Très bientôt, je poursuivrai dans la lignée avec un article sur les péchés capitaux…
          Je te souhaite une très belle soirée.

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  8. Un des films enquête que j’aime le plus, où tu sens qu’on a vérifié le plus possible d’informations pour atteindre un sommet. On sent toute la parano de l’époque, d’autant que le Zodiac frappait n’importe où n’importe quand, voire n’était pas qu’un. Une théorie que semble confirmer par moments le film avec Allen semblant coupable de certains crimes mais pas d’autres.

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    • Un film-enquête, parfois dense et compliqué, mais mené de bout en bout par une mise en scène d’une précision aussi redoutable que celle du tueur. Dans cette transposition d’une époque qu’il a connu jeune, on devine une forme d’effroi et de fascination de la part de Fincher pour le tueur.

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