Jusqu’au bout du monde

La belle et le charpentier

« If I were a carpenter
And you were a lady
Would you marry me anyway ?
Would you have my baby ? »

Tim Hardin, If I were a carpenter, 1967.

Viggo Mortensen raconte que lorsqu’il était enfant, il s’enfuyait de chez lui, échappant à la surveillance de ses parents pour pouvoir explorer les environs. Depuis, l’Américano-danois a fait un sacré bout de chemin, s’est posé dans plusieurs pays avant de parvenir dès son deuxième film en tant que réalisateur « Jusqu’au bout du monde », aboutissement d’un voyage cinématographique qui l’aura mené des héroïques et fantastiques Terres du Milieu jusque dans la périphérie plus modeste du cinéma indépendant. Auteur de son scénario, mais aussi producteur et compositeur de la musique, il s’est octroyé le premier rôle masculin. Pourtant c’est avant tout l’histoire d’une femme qu’il veut nous raconter. Lire la suite

La Traversée de Paris

Détours de cochon

« Ma petite fille, souviens-toi que dans la vie, la seule chose qui compte, c’est l’argent. »

Marcel Aymé, Uranus, 1948.

« Ah ben ça ! C’est pas ordinaire ! Et Gabin alors, ils ne lui ont rien donné à Gabin ? » Ce sont paraît-il les mots prononcés par Bourvil lorsqu’il apprit que le jury de la Mostra (composé entre autres de Visconti, Ushihara et André Bazin) avait décidé de lui remettre la coupe Volpi pour le rôle de Marcel Martin dans « La Traversée de Paris ». L’acteur jusqu’ici réduit à l’image d’amuseur de cabaret, voire de paysan benêt (mais « Pas si bête ») changeait de statut, montrait un autre visage, celui d’une France peu glorieuse en cette période d’après-guerre. Ce Martin n’est pas un petit gars sympathique, pas plus qu’il ne l’est dans la nouvelle de Marcel Aymé que Claude Autant-Lara adapte à l’écran. Il est un échantillon de la majorité silencieuse française qui met son mouchoir sur sa morale, qui étouffe ses valeurs sous l’oreiller des nécessités pour espérer traverser sans trop de dégâts quatre longues années de nuit et d’Occupation. Lire la suite

CIVIL WAR

La déchirure

« Mystérieux, meurtri, ce monde étrange continue de tourner tandis que la guerre flambe tout autour de nous : bras tranchés en Afrique, têtes tranchées en Irak et, dans ma tête à moi, cette autre guerre, une guerre imaginaire, chez nous, l’Amérique brisée, la noble expérience finissant par mourir. »

Paul Auster, Seul dans le noir, 2008.

Charlottesville, USA, 12 décembre 2017, deux heures moins le quart de l’après-midi, la Dodge Challenger conduite par Alex Fields Jr, militant suprémaciste blanc, fonce à travers une foule de manifestants rassemblés ce jour-là. Bilan : une femme tuée, Heather Hayer, 32 ans, et 35 blessés parmi les personnes venues protester contre un rassemblement de l’ultra droite. Le nom de la petite ville de Virginie, jusqu’ici épargnée par les ravages de la guerre de Sécession, entre désormais dans l’Histoire sanglante du peuple américain, associée à un point de friction entre deux Amériques qui se font face. C’est précisément là qu’Alex Garland choisit de situer la ligne de front d’une « Civil War » qui n’a pas encore eu lieu, mais dont on sent monter l’odeur infecte. Lire la suite

BORDER LINE

A la porte

« Frontières : En géographie politique, ligne imaginaire entre deux nations, séparant les droits imaginaires de l’une des droits imaginaires de l’autre. »

Ambrose Bierce, dictionnaire du diable, 1911.

Certains enferment leurs personnages dans un vaisseau spatial. D’autres préfèrent les enterrer vivant pendant la durée d’un film. Les barcelonnais Alejandro Rojas et Juan Sebastián Vásquez ont fait le choix, pour leur tout premier long métrage, de s’intéresser aux bureaux sans fenêtre des services douaniers d’un aéroport, en pénétrant dans les limbes opaques et hostiles du département de l’immigration américaine. Cela donne une heure et quart d’une révoltante claustration pour un film sensation  : « Border Line ». Lire la suite

MAESTRO

Chants intérieurs

« I cannot say what loves have come and gone,
I only know that summer sang in me
A little while, that in me sings no more. »

Edna St Vincent Millay, What lips my lips have kissed, and where, and why, 1920.

La vie, parfois, est comme un gigantesque orchestre où tous les musiciens jouent de concert. Tantôt ça fait des couacs, parfois ça sonne merveilleusement. C’est le cas du « Maestro » composé et dirigé par Bradley Cooper, à la fois musicien d’honneur et chef d’orchestre de ce biopic symphonique échoué dans la petite case Netflix. Il n’y avait donc plus de place au cinéma pour permettre à ce successeur de « A Star is born » de conquérir à son tour les cœurs des spectateurs ? Même l’Académie des Oscars a détourné le regard, préférant cette fois redorer le blason des films qui ont pris le chemin des salles. Pourtant, même réduite à un demi-silence, cette side story du grand Bernstein, cet hymne à l’unisson ayant grandi sous les plus belles étoiles d’Hollywood, méritait d’être salué d’un geste plus fort. Lire la suite

ZOOM ARRIERE n°8 : Werner Herzog

A tous les fantômes de la nuit

« C’est la vérité qui crée l’illumination. »

Werner Herzog in Les Cahiers du Cinéma n°706, décembre 2014.

Pour son huitième numéro, l’équipe de Zoom Arrière vous propose un voyage dans le cinéma de Werner Herzog, figure majeure du jeune cinéma allemand des années 70 et 80, devenu un maître du cinéma contemporain. Lire la suite

Laurent CANTET (1961-2024)

Cantet parti…

« J’ai l’impression que l’école m’a formé à l’esprit critique et à un regard sur le monde que je dois à tous les instituteurs et à tous les professeurs que j’ai pu avoir. »

Laurent Cantet in Le Monde, 14 novembre 2020.

Huit films (neuf si on compte un premier téléfilm), c’est bien peu pour une filmo. De « Ressources Humaines » à « Arthur Rambo », sans oublier de passer « Entre les murs », la carrière cinématographique de Laurent Cantet s’étale sur vingt-cinq ans, bien trop vite parvenue à sa conclusion. Lire la suite

Le mal n’existe pas

Glamping / Paradis

« Si humble que soit votre vie, faites-y honneur et vivez-la, ne l’esquivez pas et n’en dites point de mal. Elle n’est pas aussi mauvaise que vous. C’est lorsque vous êtes le plus riche qu’elle paraît le plus pauvre. »

Henry David Thoreau, Walden ou la Vie dans les Bois, 1854.

Depuis des temps immémoriaux, le mont Fuji est considéré comme un pic sacré, point de jonction de la terre et du ciel, source d’inspiration artistique majeure. Poèmes, tableaux, chansons ont été composés en son honneur ; il fut donc naturel à Ryūsuke Hamaguchi, à l’occasion de sa première grande excursion loin des immenses conurbations, de se placer sous son autorité magmatique. Dans « le Mal n’existe pas », le volcan n’est qu’un motif lointain, un élément de paysage, qui apparaît de-ci, de-là par la lunette arrière d’une voiture. Mais la montagne est au premier plan, ainsi que ses forêts giboyeuses et sauvages. Pour la première fois, le réalisateur répond à l’appel, revient aux racines, suit une symphonie du fond des bois menant au ruisseau qui lie l’homme à son milieu naturel. Lire la suite

The GUILTY

Les flics ne dorment pas la nuit

« Que c’est étrange ! Les dieux ont enseigné aux hommes à guérir la piqûre des serpents, et, ce qui est pire que la vipère et que le feu, une femme méchante, on n’y connaît point d’antidote. »

Euripide

Quand on évoque les bienfaits de la littérature est sa supériorité sur d’autres modes d’expression, on cite souvent son incroyable puissance évocatrice, sa capacité à transformer quelques mots mûrement réfléchis en formidables images mentales. Le cinéma, en revanche, est par essence un art du montré, la projection d’un imaginaire préfabriqué qu’il nous faut accepter pour ce qu’il est. Pourtant, Godard qui aimait toujours contredire l’évidence, prétendait que « le cinéma n’est ni un art, ni une technique, c’est un mystère. » Une définition qui pourrait convenir à « The Guilty », premier long métrage de Gustav Möller (un Suédois qui fait son cinéma au Danemark) qui, par son dispositif radical et son économie de moyens, réduit le pouvoir de l’image pour laisser la porte ouverte à d’autres lueurs. Lire la suite

LaRoy + Borgo + Hopeless

Marteau, menottes et massicot

En ce mercredi, brelan de sorties post-Reims Polar et trois ambiances au choix : jeu de massacre à la mode des Coen dans « LaRoy », thriller social et pénitentiaire en Corse avec « Borgo » ou jeunesse frappée et frappadingue dans les bas-fonds de Séoul avec « Hopeless ». Le choix, c’est l’embarras, alors pour ne pas se tromper de salle, il suffit d’aller plus loin… Lire la suite