Jodorowsky’s DUNE

En ver et contre tous

Le palais de l’Empereur, dessin préparatoire de Chris Foss pour Dune, 1975

« Dieu a créé Arrakis pour éprouver les fidèles. »

Extrait de La Sagesse de Muad’Dib, par la princesse Irulan.

Pendant très longtemps, l’évocation du film « Dune », adapté du roman-monde de Frank Herbert, renvoyait exclusivement à la part la moins personnelle de l’œuvre de David Lynch. Sous l’emprise du magnat italien Dino de Laurentiis qui comptait bien profiter de l’aspiration provoquée par le succès colossal de la saga Star Wars, le film s’est d’abord abîmé sur les récifs du box-office, avant d’être totalement renié par son metteur en scène à l’occasion d’une diffusion en version longue pour la télévision. Depuis, « Dune » est devenu la chose du réalisateur canadien Denis Villeneuve, une adaptation bipartite qui pourrait bien devenir, loin devant « la Guerre des Etoiles », la plus convaincante boussole space-opératique que le cinéma ait produit. La plupart des spectateurs ignorent en revanche que ces films font suite à un projet pharaonique entamé au mitan des années soixante-dix par l’artiste surréaliste chilien Alejandro Jodorowsky et abandonné à la fin de cette même décennie faute de studio pour le financer. « Dune existe dans ce monde en tant que rêve » nous dit Jodorowsky. Il existe également sous la forme d’un passionnant documentaire de Frank Pavich intitulé explicitement « Jodorowsky’ Dune ». Lire la suite

DUNE, 2ème partie

Le retour du Jihad

« Que l’illuminé se fasse des disciples aussi nombreux que le sable de la mer ; le sable est du sable.
Sois pour moi la perle, ô toi, mon judicieux ami ! »

Johann Wolfgang von Goethe, Epigrammes vénitiens, 1790.

Et de deux. Le roulement percussif de Hans Zimmer pétarade, le rideau s’ouvre sur un désert enveloppant. Il aura fallu beaucoup de patience pour passer de « Dune, 1ère partie » à « Dune, 2ème partie ». Cette nouvelle épopée toujours conduite par Denis Villeneuve, retrouve Paul là où elle l’avait abandonné presque trois ans plus tôt. Ceux qui n’avaient pas saisi l’épice du film précédent n’en trouveront sans doute guère davantage à leur goût dans cette seconde partie. Les autres, initiés ou convertis, pourront en revanche se régaler de cette chronique d’un mythe, en suivant l’éveil d’un leader qui vire à l’avènement d’un tyran, et tenter de percer le cœur de ver de Paul Muad’Dib, les desseins intérieurs de Celui Qui Nous Conduira Au Paradis. Lire la suite

DUNE, 1ère partie

Rêve de sable

« Si l’on accepte le cinéma comme une passerelle entre le monde des songes et la réalité, et que ce rêve éveillé que propose l’adaptation de « Dune » s’inspire du roman et des trajectoires que nous avons collectivement empruntées, comme Frank Herbert, je ne peux qu’anticiper avec crainte les violences qu’inspirera une nature finalement acculée au pied du mur. De toute évidence, si nous ne modifions pas notre trajectoire, comme Paul Atréides, il nous faudra apprendre à nager dans des eaux étranges. »

Denis Villeneuve, préface de « Dune » de Frank Herbert, Robert Laffont, 2021.

« Tell me of your homeworld, Usul »

Chani in « Dune » de David Lynch, 1984.

Sous le sable ondulant du désert, nul ne sait la teneur du péril qui nous guette. Observant les effets des sables conquérants de l’Oregon, l’écrivain Frank Herbert avait préféré diriger sa plume vers un ciel rempli d’étoiles. De son regard perçant, il a entrevu un futur, celui d’une humanité déchirée par des enjeux de pouvoir, des ambitions galopantes, mais aussi l’espoir d’un réveil salvateur sur une planète asséchée de toutes parts. Le jeune Denis Villeneuve s’est saisi de ce rêve inscrit dans une Bible orange, il s’en est fait le film dans sa tête. Après des décennies de campagnes hallucinogènes, de conquêtes avortées, de voyages immobiles, de calendriers contrariés, le soleil se lève enfin sur Arrakis, l’ombre immense de « Dune » enfin nous submerge. Lire la suite

DUNE (1984)

Prophétique Jihad

« — Ta religion peut-elle donc être réelle quand elle ne te coûte rien et ne comporte aucun risque ? Est-elle réelle dès lors que tu t’engraisses sur elle ? Est-elle réelle alors que tu commets des atrocités en son nom ? D’où vient que vous ayez dégénéré depuis la révélation originale ? Réponds-moi, Prêtre ! »

Frank Herbert, Les enfants de Dune, 1976.

Dans le passionnant documentaire de Frank Pavich « Jodorowsky’s Dune », l’artiste franco-chilien revenait sur ce moment où, pour faire son deuil, il s’était résolu à aller voir en salle le film réalisé par David Lynch, et contempler ce qui aurait dû être sien. Il évoque d’abord son dégoût de voir son inspiration galvaudée par un autre, puis sa crainte de se voir surpassé par un jeune cinéaste doué, et enfin son sourire et son soulagement à mesure que les scènes se succédaient à l’écran. « C’était horrible ! » lâche-t-il à demi-hilare. « Dune » de David Lynch ne serait donc pas ce chef d’œuvre SF qui devait chambouler l’ordonnancement de l’univers. Ce qui est plus surprenant, c’est que ce jugement lapidaire et définitif, le réalisateur du film n’est pas loin de le partager également. « Je considère ce film comme un échec tragique » peut-on lire dans un hors-série des Inrocks. Et c’est peu dire que la presse lui emboîtera le pas, invitant la plupart des spectateurs à passer au large de cette « adaptation éléphantesque ». Lire la suite