L’INNOCENT

Sérénade à quatre

« Afin de coincer la bulle dans ta bulle,
De poser mon cœur bancal dans ton bocal,
Ton aquarium »

Etienne Daho, Week-end à Rome, 1984.

Louis Garrel, avec ses cheveux bouclés, ses petits yeux perçants et son éternelle allure d’étudiant rive gauche, n’a certes pas une tête de coupable. Il s’était d’ailleurs fait connaître il y a vingt ans parmi « les Innocents » de Bertolucci, et voilà maintenant qu’il fait « L’Innocent » dans une comédie délicieuse et de son cru. Louis Garrel n’est peut-être coupable de rien, mais il aime jouer. Il joue avec les genres, jongle avec les émotions, étale la palette des possibles et cela embellit la vie. Il joue, joue avec nous et, confidence pour confidence, cela fait un bien fou. Lire la suite

Les BANSHEES d’INISHERIN

Comme les doigts de la main

« You remember that foul evening when you heard the banshees howl »

Shane McGohan, The Sick Bed of Cúchulainn, 1985.

Êtes-vous déjà allé sur l’île d’Inisherin ? Sans doute jamais, car ce petit morceau d’Irlande battu par les flots de l’océan Atlantique n’existe que dans la tête de Martin McDonagh. Ce sont sûrement les fées locales aux effluves de Guinness amère qui lui ont soufflé cette idée dans l’oreille. Là-bas, on les appelle « Les Banshees d’Inisherin », mais personne ne saura vous dire à quoi elles ressemblent vraiment. Ce qui est certain, c’est qu’elles rient bien de ces hommes pas si tranquilles qui se pensent tous plus malins qu’ils ne le sont. Lire la suite

GLASS ONION

The walrus was Paul

« Une mer calme, dit Poirot d’un ton définitif, est une chose qui n’existe pas. La mer, ça bouge toujours. Toujours ! »

Agatha Christie, Les vacances d’Hercule Poirot, 1941.

Rian Johnson est visiblement un homme heureux. Après ses égarements dans la SF temporelle, après avoir assassiné « les Derniers Jedis », le voici désormais aux manettes d’une franchise dont il ne soupçonnait sans doute pas le potentiel. « A couteaux tirés » fut le succès surprise de 2019, misant sur son casting de prestige et sa façon toute particulière de revisiter les codes poussiéreux du whodunit. Exfiltrant une fois encore Daniel Craig de sa retraite d’agent secret, il s’apprête à faire de nouvelles révélations dans « Glass Onion », les Beatles et Bowie comme bande-son haut de gamme et le soleil pour témoin. Lire la suite

Le PARFUM VERT

Hitchcock en stock

« C’est un film que j’ai fait pour celui que j’étais à 10 ans. »

Nicolas Pariser

Ça sent le sapin du côté de chez Nicolas Pariser, les cadavres s’amoncellent. Abandonnant derrière lui Lyon, « Alice et le Maire », il monte à Paris emportant dans ses bagages Thomas Chabrol (et un peu de l’esprit de son père) et Léonie Simaga qui lui ouvre les portes du Théâtre-Français. Pris au piège dans les cases et les bulles de son enfance, il fait le pari d’un mélange « Hitchcocko-hergéen » qu’il nomme « le Parfum Vert », une fragrance aux vieux relents d’espionnage et de grand complot européen. Mais c’est là que les ennuis commencèrent… Lire la suite

Les BONNES ETOILES

Baby blues

« Petit baigneur
Fait des longueurs à longueur d’odyssée
Brasse petit verni
A bras raccourcis
Brasse petit gabarit »

Alain Bashung, ode à la vie, 1998.

Il est né le divin enfant. Et ils sont nombreux à se pencher sur son berceau. En guise de rois mages, le cinéaste japonais Kore-eda Hirokazu lui a dégoté trois pieds nickelés qui vont le balader à travers le pays. Après avoir clamé sa « Vérité » chez les Français, il a suivi « les Bonnes Etoiles » qui l’ont mené vers les rives des Matins Calmes. Il y a recruté une belle poignée de stars made in Korea car, lorsqu’il est question de famille et d’aventures, plus on est de fous et moins la vie est dure. Lire la suite

AVATAR : la Voie de l’Eau

Sur la piste des géants

« – Nous n’abimerons pas Mars, c’est un monde vaste et trop avantageux.
– Vous croyez ? Nous autres, les Terriens, avons le don d’abimer les belles et grandes choses. »

Ray Bradbury, Chroniques martiennes, 1954.

Treize ans. Il s’en est passé en treize ans. Toute une génération a grandi avec l’« Avatar » de James Cameron quelque part dans son cortex, première perle d’une saga encore en gestation. Puis l’usine aux grandes oreilles a phagocyté la Fox. Elle a assis sa domination sur l’univers du blockbuster avec ses super-pouvoirs et ses guerres des étoiles. Alors, englouti le captain Cameron ? Noyé dans les entrailles du « Titanic », porté disparu dans les abysses de son projet pharaonique. Remontant des profondeurs insondables d’Hollywood, « Avatar : la voie de l’eau » émerge soudain, éclaboussant de sa 3D tous les écrans du monde pour une apnée de plus trois heures aux images à couper le souffle. Lire la suite

FUMER fait TOUSSER

Wrong clopes

« Injures un jour se dissiperont comme volutes Gitane. »

Serge Gainsbourg, « aéroplanes » in L’homme à tête de chou, 1976.

Ammoniaque, Benzène, Nicotine, Méthanol, Mercure sont les charmantes petites substances qui viennent tapisser les poumons à chaque bouffée tirée d’une cigarette allumée. Quentin Dupieux (dont on se demande s’il n’a fumé que tu tabac) décide d’en faire les figures principales d’une équipe de « justiciers » costumés et livre, « Incroyable mais vrai », sa seconde cartouche de l’année : « Fumer fait tousser ». Un titre en forme d’évidence qui promet une bonne tranche de comédie « déréglée », mais qui ne doit pas nous faire oublier que, pendant que la cigarette brûle, nous regardons ailleurs. Lire la suite

ARMAGEDDON TIME

Le temps retrouvé

« Il reste toujours quelque chose de l’enfance, toujours… »

Marguerite Duras, des journées entières dans les arbres, 1954.

Dans une œuvre désormais ancrée dans le patrimoine littéraire universel, un auteur prétend qu’à la dégustation d’une madeleine agrémentée d’une tasse de thé parfaitement infusé, les sensations d’un temps lointain ressurgissent soudainement avec émotion. Le vague écho reggae d’un vieux titre oublié du Clash, quelques images d’un parc du Queens, un tableau à craie dans une salle de classe suffisent à James Gray pour le ramener en arrière, et convoquer deux ou trois souvenirs de sa jeunesse qui accompagnent sa rentrée au collège. Ce moment très précis, qui conduit un jeune garçon à la croisée des chemins de son existence, il le baptise « Armageddon Time », comme si le temps était venu, plus de quarante ans après, de réveiller les morts. Lire la suite

PREY

Pas une gueule de porte-bonheur

« Qu’importe le danger
Je l’affronterai
Qu’importe le nombre de flèches
Je les traverserai
Mon cœur est viril ! »

Chant du guerrier Crow

Depuis les fameux trophées rapportés sur son île par le Comte Zaroff dans les années 30, le cinéma rouvre périodiquement la saison de la chasse à l’homme. Un de ces jeux les plus dangereux reste peut-être celui qui opposa le « Predator » tombé du ciel à un groupe de mercenaires surarmés et lourdement testostéronés dans un film primal et remarqué signé John McTiernan. La Terre étant devenue son terrain de chasse privilégié, nombreux furent les giboyeurs à vouloir le croiser à toutes les sauces et même à d’autres espèces. Le dernier en date se nomme Dan Trachtenberg, réalisateur connu pour son très confiné « 10 Cloverfield Lane ». Suivi de près par les grands manitous de la Fox, il part à la conquête des Grandes Plaines, à la rencontre du grand « oiseau-tempête » et d’une jeune Indienne dont il espère faire une « Prey » plus consistante que les précédentes. Lire la suite

NOVEMBRE

Vendredi 13

« Je me promenais sur un sentier avec deux amis – les soleil se couchait – tout d’un coup le ciel devint rouge sang. Je m’arrêtai, fatigué, et m’appuyai sur une clôture – il y avait du sang et des langues de feu au-dessus du fjord bleu-noir de la ville – mes amis continuèrent, et j’y restait tremblant d’anxiété – je sentais un cri infini qui passait à travers l’univers et qui déchirait la nature.  »

Journal intime d’Edvard Munch, 22 janvier 1892.

Tout le monde se souvient de ce qu’il faisait ce soir de « Novembre ». Certains étaient peut-être devant leur télé en train de regarder le match de foot, d’autres prenaient un verre entre amis profitant d’une soirée plutôt douce pour la saison. Et soudain ce fut la sidération, une horreur, un choc. « Plus que le choc, j’ai voulu travailler sur l’onde de choc » déclare Olivier Demangel, scénariste qui ravive l’effroi des cinq jours qui suivirent la nuit 13, Cédric Jimenez se chargeant de mettre en scène la frénésie qui s’ensuivit, cinq jours qui mirent la France en état d’urgence. Lire la suite